Mardi 16 janvier, le président de la République a donné une conférence de presse à l’Élysée, devant un parterre de 200 journalistes. Une prise de parole particulièrement attendue, quelques jours à peine après un énième remaniement. Emmanuel Macron s’est vu longuement interrogé sur la problématique des déserts médicaux, et notamment sur l’accès à un médecin traitant, source d’inquiétude pour de nombreux Français. Il a listé plusieurs leviers qui seront actionnés par le gouvernement Attal pour répondre aux besoins de santé de la population. Mais pour le président des Généralistes-CSMF, le Dr Luc Duquesnel, les solutions avancées sont loin d’être à la hauteur des enjeux. « On perd du temps, c’est regrettable. »

 

Le président de la République s’est opposé à toute régulation à l’installation des médecins. Ce mirage risquerait de chasser de la profession des jeunes praticiens qui ont « fait tourner l’hôpital » en tant qu’externes puis internes, a-t-il affirmé. Saluez-vous cette prise de position ?

C’est la première fois que ce dernier argument est dans la bouche du président de la République. Je n’ai pas non plus le souvenir d’avoir entendu un ministre de la Santé tenir ce type de discours. Les députés Guillaume Garot et Yannick Favennec, qui plaident pour des contraintes à l’installation, défendent que celles-ci sont justifiées parce que les médecins ont été formés aux frais de l’État et sont, en quelque sorte, redevables. Or, un article d’egora-Le Panorama du médecin montrait que non seulement les étudiants en médecine ne sont redevables de rien mais que l’État et la nation ont fait des économies grâce à eux puisqu’ils ont souvent suppléé des médecins à l’hôpital.

Ce qu’a dit le président, et ce qu’on ne cesse de dire depuis des années, c’est que si on impose des contraintes à l’installation dans cette période de grave pénurie, les médecins vont faire autre chose. La contrainte n’a par ailleurs pas de sens puisqu’on manque de médecins généralistes, de médecins traitants, partout en France.

Sur ce sujet-là, nous ne pouvons donc que partager l’avis du président de la République, et apprécier la façon dont il a repris cela. La seule chose qui m’interroge, c’est qu’il a laissé une porte entrouverte à des expérimentations de cette régulation. Yannick Favennec a sauté dessus en proposant que la Mayenne soit un terrain d’expérimentation. C’est ahurissant, puisque dans ce département qui est le mien, on manque de médecins généralistes partout ! Où veut-il interdire à des médecins de s’installer ? C’est toute la difficulté du débat actuel au Parlement et dans nos départements, où des élus laissent penser à la population que les contraintes vont améliorer les choses. On n’est pas loin du populisme !

 

Pour libérer du temps médical, le chef de l’État s’est engagé à « accélérer la délégation d’actes » vers d’autres professionnels de santé…

On a déjà eu la loi Rist, la loi Valletoux… Pour économiser du temps médical, la négociation conventionnelle d’il y a un an voulait aussi permettre aux médecins de faire plus de la moitié de leur activité en téléconsultations. Par une moindre qualité des soins, on veut donner le sentiment qu’il n’y a pas de problème d’accès aux soins…

De plus en plus de médecins travaillent avec des assistants médicaux, en exercice coordonné dans le cadre des MSP, des CPTS, avec des infirmières en pratique avancée. L’enjeu de la négociation conventionnelle en cours est d’identifier les freins à aller vers cet exercice-là. Car certains médecins voudraient y aller mais ne peuvent pas pour de multiples raisons.

Plutôt que de vouloir tout réglementer, les agences régionales de santé devraient plutôt accompagner les professionnels sur le terrain pour leur permettre de répondre aux besoins de santé de la population en modifiant leurs organisations professionnelles.

 

S’agissant de la réponse aux soins non programmés, Emmanuel Macron a rappelé que 70 % du territoire était couvert par un service d’accès aux soins (SAS). Il a formulé le vœu d’arriver à 100 % en 2024. Mais cela coince à certains endroits…

Il y a pas mal de services d’accès aux soins qui sont mis en place : certains fonctionnent remarquablement bien, d’autres dysfonctionnent totalement. Je tiens à rappeler que le décret sur le SAS qui devait sortir cet été n’est toujours pas publié… Cela représente un frein pour le montage de certains SAS, car ce texte doit préciser entre autres le rôle de la plateforme nationale (savoir si son utilisation est obligatoire ou non). Nous avons rencontré l’ancienne ministre de la Santé Agnès Firmin Le Bodo, jeudi 11 janvier, qui nous a dit que le projet de décret devait être confronté à certains SAS afin de voir si cela ne remet pas en cause leur fonctionnement. Ensuite, il devrait y avoir une nouvelle concertation avec les syndicats médicaux et le Conseil national de l’Ordre avant sa parution.

 

Au cours de la conférence de presse, Emmanuel Macron a également remis sur le tapis le sujet de la capitation, plaidant pour un « paiement au patient plutôt qu’à l’acte ». Regrettez-vous cette déclaration, en pleine négociation conventionnelle ?

Ce n’est pas la première déclaration qu’il fait par rapport à la capitation. Je crois que cela montre une méconnaissance du sujet, qui est d’une extrême complexité. Nous l’avons encore constaté mercredi 17 janvier lors d’un focus avec l’Assurance maladie consacré, entre autres, à l’expérimentation Peps (paiement en équipe de professionnels de santé en ville) sur la capitation. On nous a proposé un Peps 2 alors que la première expérimentation – dont nous n’aurons l’évaluation qu’au printemps – n’a satisfait que les centres de santé, et trois maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) où les médecins sont en partage d’honoraires. Cette expérimentation n’a donc pas concerné 95 % des médecins généralistes libéraux, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas en partage d’honoraires.

Tous les syndicats de médecins s’y sont donc opposés. Nous ne sommes pas dans des postures. Avoir des financements complémentaires à l’acte est nécessaire. Mais la capitation proposée par la Cnam est ingérable, car elle concerne tous les médecins d’une structure, et il est très compliqué de trouver la clé de répartition pour répartir le forfait de la capitation entre chaque médecin… Treize MSP se sont d’ailleurs retirées de l’expérimentation Peps. Elles avaient pourtant un certain degré de maturité et étaient prêtes à changer leur organisation en abandonnant tout ou partie du paiement à l’acte. Il faut aussi comprendre que la capitation comporte beaucoup d’incertitudes. Aujourd’hui, dans le cadre d’une tarification à l’acte, un professionnel de santé a le sentiment d’avoir une certaine maîtrise de ses revenus. Dans le cadre d’une capitation, il ne maîtrise plus grand-chose.

 

Globalement, que retenez-vous de cette prise de parole ?

Il y a une prise en compte que la santé est une des principales priorités des Français. En revanche, la réponse apportée par le gouvernement ne nous dirige pas vers des soins de qualité, et ne va pas rendre le métier de médecin traitant attractif. Bientôt, nous aurons des télécabines dans les gares ou dans les centres Leclerc… Cela nous préoccupe beaucoup, car les médecins généralistes donnent énormément sur le terrain. Le directeur général de la Cnam, Thomas Fatôme, l’a encore souligné en décembre lors de la négociation : si les médecins traitants n’avaient pas fourni un effort pour prendre en charge plus de patients en ALD, on en aurait eu 200 000 de plus à la fin de l’année 2023.

L’accès à des soins de qualité n’est pas une priorité haute de ce gouvernement. Je vois de plus en plus de médecins généralistes qui s’épuisent, qui décrochent, et de jeunes qui se détournent du métier. Mais cela n’alarme pas encore suffisamment le président de la République et ce gouvernement… Quand les soignants quittent l’hôpital, on déclenche le Ségur de la santé, et les milliards arrivent. Ce n’est pas le cas pour la médecine ambulatoire… C’est regrettable, parce qu’on perd du temps. Je ne sais pas si notre nouvelle ministre de la Santé sera en mesure de faire prendre conscience au gouvernement de là où on nous emmène.