Elle n’a que 26 ans, mais sait déjà résolument ce qu’elle veut : exercer à la campagne, là où l’on manque de généralistes. Tout juste thésée, Anaïs Werestchack a entamé début janvier un tour de France des remplacements avec son compagnon, masseur-kinésithérapeute. Durant un an, les tourtereaux vont sillonner en fourgon les villages de l’Hexagone pour soigner une population souvent démunie face aux difficultés d’accès aux soins. Forte de son expérience en tant que Miss Auvergne 2021, la jeune femme partage cette nouvelle aventure sur ses réseaux sociaux, avec un objectif en tête : sensibiliser ses 20 000 abonnés à la grande cause des déserts médicaux.

 

Grand-Serre. Un petit village “vraiment perdu” de la Drôme. Population : 900 habitants à tout casser. C’est ici qu’Anaïs Werestchack, médecin généraliste, a commencé son tour de France des remplacements, il y a un peu plus de deux semaines. Une “aventure” un peu folle que la jeune femme de 26 ans partage avec son compagnon, Brice, masseur-kinésithérapeute, et qui n’est pas sans rappeler celle de Martial Jardel, fondateur du collectif Médecins solidaires. Le projet est né il y a quelques mois, alors que les tourtereaux se baladaient sur les plages de sable fin et arpentaient les forêts verdoyantes de Polynésie, où la jeune femme a terminé son internat de médecine générale. “On n’avait pas envie de s’installer tout de suite en revenant en métropole. On s’est dit qu’on pouvait continuer notre vadrouille, parce qu’il y a plein de régions françaises que l’on ne connaît pas.” Décision est prise de sillonner les routes de France pendant douze mois.

À peine rentrés de leur parenthèse paradisiaque dans l’océan Pacifique, ils achètent un fourgon aménagé avec banquette, kitchenette et salle d’eau intégrées. Et élaborant le tracé de leur “road trip” : “On voulait un parcours qui respecte une certaine logique”, explique la jeune femme, très organisée. Le couple décide de commencer par la Drôme pour remonter en Haute-Savoie en février, puis ce sera la Bourgogne-Franche-Comté, les Hauts-de-France, la Bretagne, l’Aquitaine, l’Occitanie… Destination : l’Auvergne natale d’Anaïs, où elle pense un jour poser définitivement ses valises. “Mais peut-être pas maintenant : je vis au jour le jour !” Pas question toutefois d’attendre un an avant d’exercer. La généraliste et le kiné ont décidé d’alterner deux semaines de remplacement et deux semaines de découverte des territoires.

 

 

 

“Faire passer un message”

Une expérience que la jeune femme, qui a été élue Miss Auvergne 2021 après avoir passé les ECN, a choisi de partager sur ses réseaux sociaux, où elle cumule plus de 20 000 abonnés. Avant de se présenter au concours de beauté, elle tenait déjà un compte Instagram, “Journal d’une interne”, où elle faisait de la prévention et de la vulgarisation scientifique. “Puis ma communauté s’est développée sur mon compte personnel, et j’ai fait le choix de privilégier ce profil-là pour toucher plus de personnes.” Si elle affiche ainsi son périple, c’est parce qu’elle veut aujourd’hui “faire passer un message”. C’est d’ailleurs ce qu’elle a apprécié dans l’expérience Miss France : “J’ai beaucoup aimé le fait de pouvoir défendre des causes, s’investir auprès d’associations. J’ai fait pas mal de choses avec l’EFS autour du don du sang, et auprès d’associations pour les enfants malades.”

Cette fois, la jeune femme veut sensibiliser à la question de l’accès aux soins dans les déserts médicaux. “Venant d’Auvergne, on était déjà sensibles à cette problématique. J’ai aussi une partie de ma famille qui vit en Corrèze, qui est un désert médical pur. Porter ce message donne du sens à notre aventure. Et puis ça correspond à notre philosophie de vie. On n’a pas du tout envie de vivre en ville plus tard !” Les tourtereaux remplaceront donc le plus possible dans des villages reculés, comme à Grand-Serre. Pour le plus grand bonheur des médecins et kinés, et de leurs patients… “Une patiente m’a prise dans ses bras. Je n’ai jamais vu ça en 9 ans de médecine ! Il y a beaucoup de reconnaissance. Et quand on prend du retard, il y a aussi beaucoup de compréhension. C’est hyper appréciable”, souligne Anaïs, qui vient de terminer son premier remplacement.

 

 

Grâce à la médiatisation de leur aventure, de petits moments de vie, la jeune femme, militante, veut “montrer ce que c’est de vivre dans les déserts médicaux, et surtout dédramatiser la situation auprès des professionnels de santé”. “Il y a aussi des structures très bien faites dans ces territoires ! Et comme je le disais, les gens sont hyper sympas ici, c’est un bonheur de venir remplacer.” Elle reconnaît toutefois que l’exercice en zone sous-dotée n’est pas une mince affaire. “On n’a pas facilement accès aux urgences, cela implique de voir ses prises en charge un peu différemment. Il faut se débrouiller…” A Grand-Serre, les urgences sont à 40 minutes en voiture. Une “perte de chance” dont les patients ont “conscience“, assure Anaïs Werestchack. “J’ai fait un transfert aux urgences pour une crise hypertensive en appelant le 15. Il a fallu 1h30 pour que l’ambulance arrive…”, rapporte la jeune femme, contrariée.

 

“De la vraie médecine”

Durant les deux premières semaines de remplacement, les journées ont été par ailleurs très intenses : au moins 10 heures de travail par jour. Car qui dit désert, dit demandes considérables. La médecin généraliste qu’Anaïs Werestchack remplace a une patientèle de 600 patients (hors file active). “Les villages des alentours n’ont plus de médecin, les gens vont où ils peuvent… Des patients attendent deux mois voire trois pour avoir un rendez-vous, je trouve ça hallucinant. Je n’avais jamais vu ça ! J’ai aussi vu des renouvellements d’ordonnance pour 9 mois, c’est quelque chose qu’on ne fait jamais en ville”, explique la praticienne de 26 ans.

Si elle n’en est qu’au début de l’aventure, la remplaçante semble conquise par cette pratique en milieu rural : “C’est de la vraie médecine comme on l’a apprise.” “En décembre, j’ai fait un remplacement à côté de Clermont-Ferrand, les patients venaient souvent au cabinet pour pas grand-chose, pour ne pas dire rien du tout… Un nez qui coule, de la toux, des choses sans aucun signe de gravité, et sans antécédent particulier. Faire 9 ans d’études – maintenant 10 – pour prescrire du Doliprane, c’est un peu triste quand même… Ici, ce n’est pas quelque chose que l’on va rencontrer. Les gens viennent parce qu’ils en ont besoin. Ce sont souvent des patients polypathologiques. Bref, des consultations très riches et intéressantes”, explique la jeune femme, qui déplore que l’image du métier de généraliste ait été “ternie” par ce consumérisme.

 

 

Cette passionnée comprend cependant que certains jeunes aillent dans des cabinets de ville ou de soins non programmés. “Il y a un cruel manque d’attractivité dans les villages”, déplore la jeune femme, qui se montre très critique vis-à-vis de la politique en matière de santé menée par les Gouvernements successifs : “Rien n’est fait pour attirer les jeunes à venir dans les déserts médicaux. Il faut que les villes proposent des logements aux médecins et paramédicaux qui souhaiteraient venir faire des remplacements. Personne ne voudra venir dans un endroit où il ne pourra pas se loger”, explique la jeune femme qui a été logée dans un studio de 17 m² mis à disposition gratuitement au sein de la maison de santé de Grand-Serre.

Lorsqu’elle était interne, Anaïs s’est beaucoup engagée pour le droit des étudiants, participant à toutes les grèves et militant contre la réforme de l’internat de médecine générale, et pour le respect des “promesses faites par Monsieur le Président durant le Covid”. Thésée depuis le mois d’avril dernier, elle déplore la dégradation du système de santé : “Il y a encore moins de budget pour la santé, il y a encore plus de lits fermés, c’est désastreux ! Rien n’a été fait, au contraire, c’est même encore pire. Je pense que c’est une véritable volonté de la part du Gouvernement de ne pas écouter les soignants en détresse”, dénonce la remplaçante, qui émet de fortes craintes pour l’avenir : “On va vers un système de santé à deux vitesses : les plus riches pourront se soigner et les plus pauvres, tant pis pour eux… C’est malheureux à dire, mais je pense que c’est ce qui va se passer. Aujourd’hui, les médecins sont en train de se déconventionner en masse.”

 

“Médecine de guerre”

Anaïs Werestchack appelle aujourd’hui à un sursaut politique. Avec, en tête, l’espoir que son initiative interpelle “là-haut”. “On n’a rien sans rien, sourit-elle. Si ça pouvait faire bouger les choses et si le ministère de la Santé pouvait écouter…” La remplaçante se prépare même à “argumenter si un jour je venais à devoir expliquer la réalité sur le terrain à un politique”. Chaque jour, elle note “les choses qui [l’]ont choquée”. Comme la fois où une patiente en hypertension est venue en consultation à “190 de systolique”. “Elle m’a dit que ça faisait plus d’un mois qu’elle ne prenait pas de traitement car c’était impossible de trouver un rendez-vous…” Elle poursuit : “La médecin que je remplace n’a même pas la possibilité de payer un secrétariat, c’est un répondeur automatique qui propose des rendez-vous. Les patients n’y arrivent pas du tout. S’ils ont vraiment besoin de quelque chose, ils sont obligés d’appeler le 15. C’est désastreux, mais le Gouvernement ferme les yeux là-dessus.”

 

 

Loin d’être apeurée, la jeune femme veut prendre part au combat. “Une consœur m’a dit qu’ici, c’est de la médecine de guerre. C’est effectivement compliqué. Mais il y a une belle solidarité avec les confrères, y compris spécialistes. On arrive à plutôt bien s’en sortir”, relativise Anaïs, qui a toujours voulu faire un métier “qui ait du sens” : “Me dire que si je me lève tous les matins, ça va faire une différence.”  

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Louise Claereboudt

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