Alors que les médecins consacrent chaque semaine environ sept heures aux tâches administratives, des plateformes utilisant l’intelligence artificielle (IA) ont cherché à diminuer ce temps, en permettant de rédiger l’intégralité du compte-rendu à partir de la simple conversation entre le soignant et le patient lors d’une consultation. Parmi elles, Nabla qui est déjà utilisée par plus de 30 000 médecins dans le monde, ainsi que Doctolib qui expérimente son outil jusqu’à l’automne sur plus de 300 généralistes.
“Sept heures”, c’est le temps moyen passé par les généralistes sur les tâches administratives, soit environ 14 % de leur temps de travail, révélait une étude de la Mutuelle des médecins en 2018. Face à ce constat, deux plateformes françaises ont décidé d’utiliser l’IA au bénéfice des praticiens. En avril dernier, la plateforme Doctolib a lancé en expérimentation, sur plus de 300 généralistes, l’assistant numérique de consultation. L’outil peut enregistrer la conversation entre le patient et son médecin et restituer les informations essentielles, les structurer et les hiérarchiser afin d’en faire un compte-rendu, comme le ferait à la main le médecin. “Pendant ce temps, le médecin n’a pas à toucher un seul instant au logiciel”, explique Jean-Urbain Hubau, directeur général France de Doctolib.
Lancé en mars 2023, Nabla est lui déjà sur le marché. Cet assistant médical est utilisé par plus de 30 000 médecins dans le monde, dont 3 000 français. “Avec mon équipe, on a évoqué l’idée en 2018-2019 mais on a mis beaucoup de temps [pour la réaliser, NDLR] parce qu’en médecine, il faut un certain seuil de qualité et de sureté”, explique son cofondateur Alexandre Lebrun. Pour preuve, le cofondateur avance un taux de réussite de 95 %. Cela signifie que “dans 5 % des cas, les médecins vont modifier quelque chose, rajouter ou éditer ce qu’a fait l’assistant. Avec l’IA, on ne pourra jamais dire qu’il n’y a aucune erreur”, estime Alexandre Lebrun. Car une fois le compte-rendu écrit par l’outil, le médecin doit vérifier qu’il ne comporte aucune erreur. Encore en expérimentation, l’outil de Doctolib n’a pas encore de chiffre sur son efficacité.
“Cinq ou six fois plus de données qu’en temps normal”
La promesse de ces deux plateformes est d’alléger la charge administrative du médecin, mais pas uniquement. Elles permettent aussi de “renforcer l’échange entre le médecin et son patient”, assure Jean-Urbain Hubau. Le compte-rendu est également plus complet. “Entre l’échange avec le patient et le fait de devoir prendre des notes, il y a souvent des éléments qui sont oubliés ou mal notés, estime Jean-Urbain Hubau. Là, l’assistant de consultation permet d’enregistrer jusqu’à cinq ou six fois plus de données qu’en temps normal en les structurant dans le dossier du patient”.
D’après les estimations de son cofondateur, Nabla permet aux médecins de gagner “entre une et deux heures par jour”, mais l’outil est également utilisé pour une autre raison. “On pensait que les personnes qui achètent Nabla recherchaient avant tout un gain de productivité, mais dans les gros hôpitaux américains, l’objectif numéro un, c’est de faire baisser le taux de burn out chez les médecins”, indique le cofondateur, qui ajoute que son outil le ferait baisser de “20 à 30 %”.
De son côté, Doctolib doit encore expérimenter son outil jusqu’en automne pour pouvoir le tester et emmagasiner un maximum de données. Elles permettent d’alimenter l’algorithme, car “plus il est entraîné plus il est performant”. À l’inverse, Nabla “n’entraîne pas [ses] modèles à partir des données de [leurs] clients”. “On a nos propres données pour ça”, affirme le cofondateur.
Doctolib assure, lui, stocker les données des patients de manière “anonymisée et chiffrée”. “L’enregistrement est supprimé dès que la note [autrement dit la retranscription de l’audio, NDLR] a été analysée”, peut-on également lire sur le logiciel. Même son de cloche chez Nabla. “On traite la note en temps réel, parce qu’on pense que c’est trop sensible. On la stocke jusqu’à ce qu’elle soit exportée dans le logiciel métier”, développe le cofondateur de Nabla.
Des outils ouverts aux autres spécialités
Les deux outils ont cependant quelques différences. Dans le cadre de son expérimentation, l’assistant numérique de consultation de Doctolib est, par exemple, utilisé exclusivement par les généralistes. Mais Jean-Urbain Hubau promet qu’il proposera une fonctionnalité “assez rapidement pour les médecins des autres spécialités, et ensuite probablement pour les autres professionnels de santé”. De son côté, Nabla est utilisé à “50 % par des généralistes” et 50 % par les autres spécialités ou par d’autres professionnels de santé, comme les infirmières ou les kinés.
Si Nabla promet de fournir un compte-rendu structuré et hiérarchisé, l’outil propose également de réaliser des notes de préconsultation. “L’IA peut prendre les comptes-rendus des dernières consultations et faire un brief comme le ferait un interne pour qu’on sache où on en est avec ce patient, poursuit Alexandre Lebrun. En général, les médecins n’ont pas le temps de faire ça. C’est surtout intéressant pour les patients chroniques.”
Le logiciel propose également des notes pour les patients. “Les études montrent qu’ils ne retiennent que 15 % des informations au cours de la consultation. Aux Etats-Unis, certains médecins fournissent des ‘instructions aux patients’. On y retrouve, avec du vocabulaire simple et des explications détaillées, ce qui a été dit [pendant la consultation], la conduite à tenir, les effets secondaires qui doivent pousser à reconsulter”, explique le cofondateur de Nabla. Il précise que cette note écrite est basée uniquement sur les propos du médecin pendant le rendez-vous. Comme pour le compte-rendu, le praticien doit ensuite vérifier l’intégralité de la note avant de la transmettre au patient.
69 euros par mois
Pour utiliser Nabla, il faut compter 69 euros par mois pour un généraliste, “pour un hôpital ou une équipe c’est différent, on fait un contrat qui revient moins cher par médecin”, détaille Alexandre Lebrun, tout en précisant qu’il existe un système permettant de tester l’outil directement sur le site internet de Nabla. L’assistant de Doctolib devrait quant à lui, être commercialisé en octobre prochain. Aucun prix n’a pour l’instant été évoqué.
Avant de pouvoir utiliser ces deux plateformes, ces dernières demandent aux médecins de recueillir le consentement de leurs patients pour pouvoir procéder à l’enregistrement de la conversation. “La majorité des médecins informent les patients et certains écrivent même le consentement dans la note”, explique le cofondateur de Nabla, dont 80 % des médecins utilisateurs sont américains et sont donc régis par des lois différentes. Même procédé pour Doctolib : “une autorisation orale suffit” pour la période d’expérimentation de l’outil. Le médecin doit “cliquer sur un bouton dans le logiciel” mentionnant que le consentement a été obtenu.
Capture d’écran du logiciel de Doctolib demandant le consentement du patient © Doctolib
En France, il n’existe à ce jour pas de texte législatif ou réglementaire spécifique sur le sujet de l’enregistrement audio d’une consultation par un professionnel de santé. Contacté, le Conseil national de l’Ordre des médecins a toutefois assuré à Egora que “l’enregistrement par le médecin, même avec accord du patient, n’est pas autorisé”.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Mathilde Gendron
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