Un mois après son coup d’envoi, la négociation conventionnelle entre la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam) et les syndicats de médecins libéraux se poursuit. Pour cette partition, les séances multilatérales sont entrecoupées de réunions thématiques, appelées focus. Deux ont concerné spécifiquement les généralistes avec, notamment, l’idée de définir administrativement ce qu’est un médecin traitant. Pour le président des Généralistes-CSMF, le Dr Luc Duquesnel, l’enjeu de cette négociation sera de ne laisser personne « sur le bord de la route ».

 

Fin novembre, lors d’un premier focus consacré à la médecine générale, la Cnam a chargé les syndicats d’identifier des indicateurs permettant de définir ce qu’est un médecin traitant. Avez-vous avancé dans ce travail ?

D’abord, il faut rappeler pourquoi il est important de définir qui est médecin traitant et qui ne l’est pas parmi les médecins généralistes. Aujourd’hui, le métier de médecin traitant intéresse de moins en moins. Des généralistes installés se dirigent vers d’autres horizons – travaillant, par exemple, pour des plateformes de téléconsultation, dans des centres de soins non programmés ou s’orientant vers la médecine esthétique. Les futurs médecins généralistes en formation se détournent aussi du métier… Cette convention doit valoriser la fonction de médecin traitant, au travers de la rémunération, mais aussi au niveau de ses conditions d’exercice.

S’agissant des indicateurs, on peut s’appuyer sur les déclarations « médecin traitant ». Mais les données de l’Assurance maladie montrent qu’il suffit d’être généraliste et de déclarer un seul patient pour être considéré comme médecin traitant. Or la plupart des généralistes sont le médecin traitant d’eux-mêmes ! On ne peut pas se contenter d’une telle définition… Deux autres indicateurs peuvent être ajoutés : la patientèle du médecin traitant et le pourcentage de patients en affection de longue durée (ALD). Avoir seulement des patients déclarés qui n’ont pas de pathologies chroniques et que l’on voit tous les cinq ans n’est pas représentatif des contraintes qui pèsent aujourd’hui sur l’exercice du médecin traitant…

Il est hors de question que l’on laisse des médecins traitants sur le bord de la route sans véritables revalorisations. Ce sera l’enjeu de cette définition. Il faudra donc aussi trouver un moyen de prendre en compte l’exercice à temps partiel de ceux qui, par exemple, exercent en même temps à l’hôpital ou qui sont médecins coordonnateurs en Ehpad. Autre élément qui a été avancé lors des discussions, chaque cabinet, maison médicale ou maison de santé pluriprofessionnelle pourrait avoir des codes d’identification : certaines structures seraient identifiées comme des lieux où exercent des médecins traitants, d’autres où ce sont des généralistes qui ne sont pas médecins traitants.

 

Comment revaloriser l’activité de médecin traitant en dehors du forfait patientèle médecin traitant (FPMT) ?

Nous n’avons pas encore parlé du tarif de l’acte lors de ces négociations. Mais, comme l’a dit le ministre de la Santé, l’acte de base à 30 euros est devenu un totem, d’autant que de plus en plus de médecins généralistes ont franchi le pas de la désobéissance tarifaire en appliquant avec tact et mesure 30 € pour la consultation de base avec presque systématiquement l’approbation de leurs patients. Nous demandons également une GL, c’est-à-dire une consultation longue pour les patients âgés, polypathologiques, en affection longue durée (ALD), vus au cabinet. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation totalement ubuesque : si nous voyons des patients de plus de 80 ans en ALD en visite à domicile quatre fois par an, nous avons droit à quatre actes à 70 euros, mais si nous les voyons au cabinet, nous avons seulement droit à quatre actes à 26,50 euros… C’est complètement aberrant, alors que le travail est même de meilleure qualité au cabinet car on dispose facilement du dossier médical du patient ! La limite des 80 ans doit par ailleurs être abaissée à 75 ans, voire 70 ans. On devra aussi parler du tarif de la visite à domicile qui amène beaucoup de médecins, dont SOS Médecins, à ne plus en faire. De ce fait, beaucoup de patients n’ont plus que la possibilité d’utiliser un moyen de transport prescrit (taxi, VSL ambulance) pour se rendre dans un service d’urgence.

Nous devrons aussi nous emparer du sujet de la téléconsultation, afin de dissocier le tarif quand celle-ci est réalisée par le médecin traitant ou par un médecin d’une plateforme. Il faut, en outre, mettre fin aux majorations de nuit et les week-ends et jours fériés pour les téléconsultations.

 

Comment valoriser l’engagement des médecins généralistes dans des missions annexes ?

Il existe un forfait patientèle médecin traitant (FPMT), c’est très bien. Il faut aller plus loin. Les généralistes qui participent à la permanence des soins, au service d’accès aux soins, à la recherche en soins primaires, qui sont maîtres de stage, ou travaillent en exercice coordonné, devraient pouvoir bénéficier d’un coefficient multiplicateur au niveau du FPMT. Nous devons valoriser ces missions.

 

Vous avez aussi réfléchi aux façons d’améliorer le travail en équipe dans le cadre d’un autre focus. Qu’est-ce qui en ressort ?

Presque toute la réunion a été consacrée aux assistants médicaux, très peu aux infirmières Asalée et aux infirmières en pratique avancée, faute de temps. Tous les médecins nous disent que l’assistant médical a transformé leurs conditions d’exercice et qu’ils ne reviendraient pas en arrière. Demeurent néanmoins quelques bémols. Si on fait faire beaucoup d’actes techniques à l’assistant médical, le modèle économique semble tenir la route. En revanche, quand il s’agit d’une aide à la consultation, le modèle économique est totalement déficitaire pour les médecins. Cela s’explique notamment par le fait qu’on ne paie pas au même tarif une infirmière et une secrétaire, et que si l’on consulte avec une infirmière sur deux cabinets médicaux pour prendre en charge un nombre plus important de patients sans travailler plus, tout en maintenant une bonne qualité des soins, le modèle économique est très déficitaire puisque l’on multiplie par deux le montant des loyers et des charges. Il faut en tenir compte.

Contrairement à ce que pensent le directeur général de la Cnam, Thomas Fatôme, et la directrice déléguée, Marguerite Cazeneuve, les généralistes ne gagnent pas plus d’argent avec un assistant médical. Embaucher cette aide est parfois très compliqué pour les professionnels, cela veut dire modifier leurs organisations professionnelles, avec, parfois, des problématiques immobilières… Cela doit être pris en compte par l’Assurance maladie dans le cadre de cette négociation, car il s’agit de la principale voie pour améliorer l’accès aux soins.

 

Vos propositions ont-elles une chance d’être entendues ?

On est au mois de décembre, Noël n’est pas encore passé. Ces focus ressemblent parfois un peu à une commande au Père Noël. En janvier ou février, la descente du sapin risque d’être difficile. Car après avoir identifié ce qu’il faudrait faire, le directeur de la Cnam va probablement nous dire : « Voilà ce que l’on a les moyens de faire. » C’est à ce moment qu’il risque d’y avoir une situation très conflictuelle.