En décembre dernier, les médecins battaient le pavé pour défendre leurs conditions d’exercice et plaider pour une augmentation du tarif de leurs consultations. Ce 13 octobre, les syndicats, unis, appellent à nouveau à une grève massive et reconductible afin de pousser le Gouvernement à débloquer plus de moyens pour la médecine de ville, alors qu’ils attendent toujours une reprise des négociations conventionnelles. Pour le Dr Luc Duquesnel, président Les Généralistes-CSMF, il est urgent de réagir : « Le modèle actuel n’est plus viable pour les médecins libéraux de secteur 1 », prévient-il.

 

Moins d’un an après les grandes grèves de décembre 2022, vous appelez à nouveau à une mobilisation massive à partir du 13 octobre. Pourquoi ?

En effet, nous lançons cet appel avec l’ensemble des syndicats, mais aussi avec Médecins pour demain. Nous partageons tous le même constat : notre système de santé se délite vite, tant à l’hôpital qu’en ville. Au-delà même des professionnels de santé et des médecins, la prise en charge de la santé des Français se détériore. Chaque année, c’est de pire en pire, et cet été l’a encore bien prouvé. Ce que l’on voit se dessiner au travers des annonces du ministre des Finances et des mesures du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), c’est que l’on va vers une non-qualité des soins… La conséquence, c’est que les médecins traitants, les médecins de famille vont déplaquer. Ceux qui sont proches de la retraite vont partir et d’autres vont se tourner vers les centres de soins non programmés.

 

Vous vous inquiétez aussi pour les jeunes médecins…

Bien sûr. Les internes en médecine générale font valoir leur droit au remords et choisissent une autre spécialité médicale… Cela doit nous inquiéter.

 

Cette fois, vous n’appelez pas seulement à manifester. Vous avez décidé d’entamer une grève reconductible. Les médecins sont prêts à laisser leurs cabinets fermés ?

En effet, nous laisserons nos cabinets fermés, il s’agit d’une grève reconductible à partir du 13 octobre. Beaucoup de médecins qui ont des agendas en ligne ont fermé leurs créneaux du 13 octobre et des jours suivants. À titre personnel, j’ai supprimé tous mes rendez-vous sur la semaine qui suit et j’ajusterai en fonction de ce qu’il se passe. C’est nécessaire, la situation actuelle ne peut pas durer.

 

Qu’est-ce qui pourrait vous inciter à cesser votre mouvement et rouvrir vos cabinets ?

Il y a deux sujets : les moyens que l’on va accorder aux médecins libéraux de secteur 1 dans le cadre d’une hypothétique reprise des négociations conventionnelles mais aussi la loi Valletoux. Au sujet de cette loi, on ne peut pas dire que les médecins généralistes ne sont pas concernés, puisque le Gouvernement y a ajouté un amendement lors des dernières discussions qui permet aux agences régionales de santé (ARS) de réquisitionner des généralistes, des médecins traitants pour aller faire des gardes aux urgences. L’autre sujet, le principal, c’est qu’il faut bien comprendre qu’aujourd’hui, on ne peut plus continuer à être médecin de famille : ce n’est plus possible ! Il n’y a plus de modèle économique viable pour nos cabinets. C’est d’autant plus inquiétant que le nombre de médecins traitants va naturellement diminuer dans les années à venir. Et là, on fait fuir ceux qui restent… Qu’est-ce que cela veut dire pour les Français ? Que l’accès aux soins va encore se dégrader.

 

Vous attendez toujours la reprise des négociations conventionnelles…

Leur reprise va être un événement majeur qui va déterminer la poursuite du mouvement. Imaginez un peu : nous sommes la seule profession de santé libérale sans convention ! Mais ce que l’on attend, ce n’est pas seulement une date. Ce que l’on attend, c’est de savoir quels vont être les moyens donnés à la médecine libérale, au travers du montant de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) entre autres. S’il n’y a pas de moyens, cela ne sert à rien de reprendre les négociations, on est sûr d’aller dans le mur. On entend que l’on doit faire des économies sur les dépenses de santé et que le budget est restreint… Et, en même temps, le ministre de la Santé a trouvé 1 milliard d’euros pour financer les gardes des infirmières à l’hôpital. Dans le cadre d’un budget restreint dédié à la santé, c’est 1 milliard qui n’ira pas à la médecine libérale.

 

Maintenez-vous votre revendication d’augmenter le tarif de la consultation ?

Bien sûr, puisqu’aujourd’hui nos cabinets ne sont plus viables. On voit de plus en plus de médecins qui licencient leur secrétariat physique pour prendre des secrétariats téléphoniques ou des agendas en ligne pour diminuer leurs frais, par exemple. Il n’y a pas que cela : aujourd’hui, ceux qui ne font que de la téléconsultation, ceux qui ne travaillent que dans les centres de soins non programmés ne sont pas autant à la peine que les médecins de famille. D’abord, il y a la consultation de base et, ensuite, la hiérarchie des consultations. Ce n’est plus possible de faire des consultations de trente à quarante-cinq minutes pour 25 euros (29,60 euros dans les DROM) ou même demain 26,50 euros (31,40 euros dans les DROM). Et puis, si vraiment, on est face à un gouvernement qui n’a plus les moyens – puisque l’on a un État qui est en situation de faillite – de financer des prises en charge de qualité de la santé des Français, on peut peut-être aller vers des espaces de liberté tarifaire, permettre l’Option pratique tarifaire maîtrisée (Optam) pour tous les médecins libéraux. Cela pourrait faire partie de la négociation, puisque l’on a vu, après l’annonce il y a deux ans du tout-gratuit sur l’audio et l’optique, que la part de l’Assurance maladie obligatoire (AMO) sur les soins dentaires va diminuer ou que le Gouvernement envisage de mettre plus à contribution les Français au travers des franchises sur les médicaments et les consultations. Un espace de liberté tarifaire au travers d’un Optam pour tous les médecins libéraux serait la seule façon de construire une convention médicale qui nous permette de garantir des soins de qualité aux Français.