Alors que la profession lutte en vain depuis un an pour obtenir une revalorisation conséquente de ses honoraires et que la reprise des négociations conventionnelles se fait attendre, le président de la Caisse autonome de retraite des médecins de France (Carmf) a lancé l’alerte lors d’un colloque à Paris, vendredi 15 septembre : le “désengagement” de la jeune génération vis-à-vis de l’exercice libéral met en péril la pérennité du régime de retraite.
Et si demain il n’y avait plus assez de médecins libéraux en activité pour financer, par leurs cotisations, les pensions de retraite de leurs ainés ? C’est la crainte formulée, vendredi 15 septembre, par le Dr Thierry Lardenois, président de la Carmf, lors d’un colloque célébrant les 75 ans de la caisse de retraite des médecins libéraux. 75 ans de réformes qui ont permis à la Carmf de s’adapter aux évolutions législatives et sociétales et de maintenir le régime complémentaire, qu’elle gère en autonomie, à l’équilibre sur le long terme.
Alors qu’en 1993, on comptait 4.38 cotisants pour 1 allocataire retraité, ils ne sont aujourd’hui plus que 1.14. Depuis 2015, la Carmf pioche donc dans ses réserves, constituées dès 1996 par un système de surcotisations visant à anticiper le creux démographique de la profession, afin de verser les droits du régime complémentaire. “Si rien n’avait été fait, il aurait fallu diviser par quatre les pensions, ou multiplier par quatre les cotisations… ou couper la poire en deux”, rappelle le Dr Olivier Petit, vice-président de la Carmf. Ce à quoi les médecins libéraux n’ont pas échappé avec le régime ASV…
Grâce au rendement des placements, le magot du régime complémentaire, qui attire bien des convoitises, a néanmoins continué de croître jusqu’en 2021. Désormais, il diminue inexorablement, au rythme de 400 millions d’euros par an… et il fondra d’autant plus vite si le Gouvernement continue de faire des “cadeaux” aux frais de la caisse, remarque Thierry Lardenois : l’exonération totale des cotisations retraite dues en 2023 par les médecins libéraux en cumul (dont la cotisation de la complémentaire) a créé un “manque à gagner” de 25 millions d’euros dans les comptes, pointe-t-il. Au 1er janvier 2023, il restait encore 5.27 milliards d’euros en réserve. “L’argent que les médecins ont surcotisé, ils le retrouvent maintenant. Cet argent est le nôtre, personne n’a le droit de venir nous le prendre”, défend Olivier Petit.
Nouveaux droits pour les médecins en cumul
Si la réforme des retraites de 2023 a introduit la possibilité pour les médecins en cumul intégral d’acquérir de nouveaux points dans le régime de base afin de gonfler leur pension*, à compter du 1er janvier 2024, il n’est pour l’heure pas question d’étendre ce système au régime complémentaire (ou à l’ASV). Pour cela, en effet, “il faudrait augmenter le taux de cotisations de 10 à 12.5 %”, explique Olivier Petit. “Prendre aux confrères l’argent qu’ils n’ont pas ? Ce sont les rois qui faisaient ça !” réagit Thierry Lardenois. Et “les réserves ne sont pas prévues pour ça”, martèle Olivier Petit. Pas question non plus de piocher aveuglément dans ces “dépenses provisionnées” pour financer une nouvelle augmentation de la valeur du point** de retraite complémentaire face à l’inflation, comme le réclament parfois les syndicats.
La hausse de 1.5 euro du tarif des consultations au 1er novembre, prévue dans le règlement arbitral, devrait toutefois améliorer les comptes de la Carmf, souligne Thierry Lardenois. La caisse attend d’ailleurs beaucoup de la reprise des négociations conventionnelles. Dans ses projections, elle a misé sur une revalorisation – “prudente” – de 10 % de la valeur du C, soit 27.5 euros pour l’acte de base du généraliste. “On adorerait que ce soit 30 euros !”, lance Thierry Lardenois.
“La Carmf ne peut exister que s’il y a des cotisations”
Mais surtout, de la revalorisation de l’exercice libéral dépend la survie du régime de retraite. “La Carmf ne peut exister que s’il y a des cotisations. Pour qu’il y ait des cotisations, il faut qu’il y ait des médecins… et qu’ils travaillent en libéral”, s’est inquiété le président. “Ce dont j’ai peur, c’est du désengagement de la jeunesse vis-à-vis de la médecine libérale, soit pour un exercice salarié, soit carrément pour se reconvertir – il y en a certains qui sont prêts à ouvrir des baraques à frites ! C’est étonnant et très bouleversant de voir le niveau de souffrance de cette jeune génération qui a le sentiment d’être mal considérée, confie le président de la Carmf. Le Gouvernement multiplie les erreurs vis-à-vis de cette génération. Non seulement il n’y a pas de revalorisation des honoraires, mais il y a des transferts de compétences massifs qui font que les jeunes ont l’impression d’être pris pour des moins que rien. Y a-t-il un intérêt à faire 10 ans d’études pour exercer ce métier, alors que l’infirmière ou le pharmacien auront quasiment les mêmes prérogatives ?”
Un désamour de l’exercice libéral qui pourrait bien casser la “dynamique très positive de remontée du nombre de cotisants” à la Carmf enclenchée avec la mise en place en 2021 du régime simplifiée des professions médicales (RSPM) pour les médecins remplaçants, et surtout avec le rehaussement du numerus clausus, qui commence à porter ses fruits. “La tendance est à la hausse des affiliations à la Carmf, de l’ordre de 6 000 par an alors qu’on était tombé à 3 500-4 500, et à la baisse du nombre de radiations, qui est désormais équivalente”, relève Henri Chaffiotte, le directeur de la caisse.
La Carmf, qui a su s’adapter durant 75 ans aux multiples réformes des retraites, à l’hémorragie du Mica, à la féminisation de la profession et au “papy boom” des dernières années, pourra-t-elle faire face à ce nouveau défi sociétal ? Le doute est permis.
2 791. C’est le nombre de promesses de déconventionnement enregistrées jusqu’à ce jour par l’UFML. Autant de médecins qui, s’ils venaient à franchir le pas, ne bénéficieraient plus de la prise en charge aux deux tiers des cotisations ASV par l’Assurance maladie. Au-delà des conséquences personnelles pour les médecins concernés (et pour leurs patients), “un déconventionnement massif aurait des conséquences sur l’ensemble des médecins, alerte Olivier Petit, vice-président de la Carmf et élu FMF. Les médecins qui passent en secteur 3 continuent de cotiser au régime de base, au régime complémentaire, mais ne cotisent plus au régime ASV. Si de trop nombreux médecins ne cotisent plus, les recettes du régime ASV chuteraient drastiquement. Comment ferait-on pour payer les allocations des années à venir ?”
* Le régime de base représente 22 % de la pension moyenne versée en juin 2023.
* 73.35 euros. La valeur du point a été réhaussée de 4.7 % au 1er janvier 2023.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques
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