Alors que l’ajout d’une quatrième année au diplôme de médecine générale est prévu par le PLFSS pour la prochaine rentrée, les internes s’inquiètent d’un défaut d’attractivité de la spécialité et d’une possible pénurie de praticiens dans les territoires dans les années à venir. Attention ! appuie le Dr Luc Duquesnel, président du syndicat Les Généralistes-CSMF, cette année supplémentaire doit servir à appréhender le métier de médecin traitant et à « donner goût » aux jeunes professionnels de santé à se diriger vers le libéral. À ses yeux, il faut miser sur des organisations innovantes plutôt que sur la coercition.
Les futurs généralistes se sont mobilisés contre l’ajout d’une quatrième année d’internat à leur diplôme. Soutenez-vous leur mobilisation ?
Très clairement, nous la comprenons et nous la soutenons. Sur le fond, nous étions favorables à l’ajout d’une quatrième année d’internat pour l’aligner sur les autres spécialités médicales. Nous y étions d’autant plus favorables qu’aujourd’hui on voit de moins en moins de médecins thésés qui acceptent d’aller s’installer comme médecin traitant en ambulatoire, en libéral. La raison principale, c’est qu’ils appréhendent notre métier. Pour nous, cette dernière année, dès qu’il en a été question, faisait consensus si elle était professionnalisante et formatrice pour les internes. Il faut qu’elle soit encadrée par des médecins généralistes. Il ne faut pas forcément imposer la contrainte d’un maître de stage universitaire, car on parle tout de même d’internes qui sont en phase de consolidation et qui ont déjà fait des stages.
Selon les internes, cette quatrième année est une forme de coercition déguisée…
Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est un article paru dans le Journal du dimanche le mois dernier qui disait qu’on allait mettre les internes en quatrième année en priorité dans les déserts médicaux. Exerçant dans un département qui a une très faible démographie médicale, comme tant d’autres, je voyais la réaction des élus qui n’ont plus de médecins depuis trois, quatre, cinq ans dans leurs communes et qui étaient persuadés qu’ils allaient voir arriver, grâce à cette mesure, un médecin junior en formation. Aujourd’hui, on annonce une mesure par une communication déplorable. On n’a même pas encore défini le cadre de ce que doit être et comment doit se dérouler cette nouvelle année de formation. Je comprends donc la réaction des internes qui sont aujourd’hui de la chair à canon dans les hôpitaux, tant au niveau de leurs conditions d’exercice que de leur rémunération, contrairement à ce que disent certains parlementaires qui pensent qu’ils sont redevables à la société. Ils ne sont redevables de rien du tout : s’ils s’arrêtent de travailler dans les hôpitaux, les établissements s’arrêteront de fonctionner, car ils assurent les missions des médecins en étant payés beaucoup moins.
Beaucoup redoutent un défaut d’attractivité de la spécialité lors des épreuves classantes nationales informatisées, alors que la médecine générale ne fait le plein que depuis deux ou trois ans… Les rejoignez-vous ?
Complètement. Si l’on regarde la communication qui a été faite depuis trois semaines sur cette mesure… Il y a de quoi être inquiets, alors que l’on sait que ce n’est pas la vision du ministre, François Braun. À l’Assemblée nationale, un amendement a été adopté par les députés en commission des affaires sociales disant qu’un interne en quatrième année de médecine générale pourrait exercer seul dans un cabinet à partir du moment où, à distance, un médecin ne serait pas loin. Qu’est-ce que cela veut dire ? Où met-on le curseur ? Cet interne en quatrième année doit obligatoirement exercer en étant entouré d’autres médecins sur le lieu où il exercera.
Le gouvernement n’est-il pas allé trop vite en imposant une date d’application à septembre 2023, avant de concerter les syndicats ?
C’est une très grosse erreur. On ne sait même pas vraiment pour quels internes cette mesure va s’appliquer… Pour moi, personne ne doit commencer un internat en étant dans le flou sur sa maquette. Après ça, on peut imaginer des recours devant le Conseil d’État. On aurait dû définir avant ce que devait être la quatrième année avec tout le monde autour de la table. Une fois l’accord trouvé, alors on aurait pu l’inscrire dans un PLFSS ou une loi de santé.
Le gouvernement, les élus… Beaucoup pensent que cette année à réaliser dans une zone sous-dense pourrait tout résoudre. Est-ce vraiment la solution ?
S’il n’y avait qu’une solution, on le saurait. En 2002, quand nous nous sommes mobilisés, on manquait déjà de médecins dans certains départements… C’était il y a vingt ans ! Entre-temps, on n’a rien trouvé qui puisse améliorer les choses. Nous avons un ensemble de mesures à prendre en compte et celle-ci peut en faire partie. Je dirais que, vu les perspectives du nombre de médecins généralistes dans les années à venir et vu le nombre de territoires qui souffrent d’un défaut d’accès aux soins, il faut changer nos organisations. On doit se demander comment faire pour accompagner les médecins, pour prendre en charge plus de patients sans travailler plus, si possible même en travaillant moins. À l’heure actuelle, quand les jeunes regardent nos départements touchés par les problèmes de démographie médicale, le temps qu’on passe au cabinet, à la permanence des soins ou pour le service d’accès aux soins, ils ont peur de devenir médecins libéraux.
Que faudrait-il faire ?
Il faut absolument innover dans les organisations de soins. Comment ? Avec des assistants médicaux à temps plein, avec des infirmières en pratique avancée, en se coordonnant avec les autres professionnels de santé du territoire, avec le médecin traitant comme chef d’orchestre des parcours de santé des patients. Il faut aussi donner le goût à nos jeunes médecins de devenir médecins traitants en libéral.
Les politiques s’intéressent-ils assez à vos problématiques selon vous ?
Pas toujours… Si certains politiques ne nous comprennent pas et sont prêts, tous partis confondus, à proposer des solutions coercitives, c’est pour faire oublier qu’ils sont responsables de la situation démographique actuelle. C’est le résultat de la baisse du numerus clausus. Je rappelle que, dans ces territoires, il n’y a plus de services publics : épicerie, poste, boulangerie… mais on a encore souvent un médecin ! Je vous rappelle que le maillage des généralistes en France est meilleur que celui des pharmaciens.