On a montré du doigt les assurés sociaux. Nous aurait-on menti ? Après la salve politique soutenue en direction des fraudeurs aux arrêts maladie (voir par ailleurs), le temps est peut-être venu de se pencher plus calmement sur les bilans chiffrés, seuls à même de dire la réalité des faits. Or ceux-ci sont très déstabilisants : 80 % des fraudes à l’assurance maladie sont le fait des professionnels de santé eux-mêmes.

C’est ce que l’on apprend  en parcourant le bilan 2010 de la lutte contre la fraude à la sécurité sociale, établi par la Délégation nationale à la lutte contre la fraude, au ministère du Budget. Pour l’assurance maladie où 156,3 millions de fraudes (16 559 dossiers)  ont été détectés l’an passé, les professionnels de santé  sont à l’origine de 80 % des sommes litigieuses en cause. A noter toutefois que cette somme tient compte des 44,8 millions d’euros imputables aux établissements de santé : Ephad, HAD, secteur public et privé, épinglés à la suite de campagnes de vérification, notamment de l’application de la T2A. 

Comme l’a expliqué le Dr Pierre Finder, responsable de la lutte contre la fraude à l’Assurance maladie à l’émission Zone interdite sur M6 dimanche soir, l’énorme proportion imputable aux professionnels de santé tient essentiellement au fait que lorsque ces derniers – notamment les pharmaciens – se mettent à frauder, ils ne le font pas pour rien. « Plusieurs centaines de milliers d’euros » à chaque fois, pour facturation de médicaments non prescrits ou facturations non conformes par exemple, devait-il expliquer. Ainsi, on identifie de très gros dossiers : 104 d’entre eux – qui ont d’ailleurs donné lieu à une plainte pénale – ont toutes professions de santé confondues, totalisé 24,8 millions d’euros de fraudes (dont 3,1 millions concernent  les  pharmacies)

Faire le ménage dans ses rangs

Autre donnée : 40 % des fraudes à l’assurance maladie  (62,52 millions d’euros) sont le fait de deux professions : les infirmiers et les transporteurs sanitaires.

Les infirmiers d’abord. Les infractions constatées en 2010 (12,7 millions d’euros), sont en net progression par rapport à 2008 (4,7 millions d’euros) et 2009 (11,7 millions). Les prestations fictives et les facturations multiples constituent à elles seules, la moitié de ces sommes.

Les transporteurs ensuite. Ils présentent, comme en 2009, le montant moyen de dossier de fraude le plus élevé : plus de 16 000 euros (suivis par les fournisseurs, 14 000 euros). Le montant de leur fraude s’élève à 49,82 millions. Pour truander la sécu, les transporteurs n’innovent pas vraiment : non respect des règles de facturation, prestations fictives, facturations multiples frauduleuses, fraude à l’agrément aux véhicules…  Mais on ne connaît pas encore le responsable politique qui osera se colleter frontalement à la corporation pour lui demander de faire le ménage dans ses rangs. Surtout en période électorale.

A côte de ces seigneurs de la route, les médecins généralistes font figure de petits joueurs : 2,8 millions d’euros de prestations fictives, en 2010, facturations multiples frauduleuses pour l’essentiel. Les médecins spécialistes suivent avec 2,1 million d’euros.

Après la cohorte des médecins, vient celle des dentistes : 3,8 millions d’euros, puis des masseurs-kinésithérapeutes : 2,5 millions.

Derrière cette avalanche de chiffres, ceux relatifs aux assurés sociaux apparaissent nettement plus modestes. La Délégation nationale de lutte contres les fraudes relève une somme de 2,5 millions d’euros en 2010, concernant la Cmu(c) ou l’AME (étrangers) pour 0,8 millions d’euros (mensonges sur conditions de ressources essentiellement) et 1,7 millions (usurpation ou faux papiers d’identité notamment).

S’agissant des contentieux de l’assurance maladie pour les prestations en espèce, notamment les indemnités journalières,  les sommes sont un peu plus conséquentes puisque l’ensemble représente 5,4 millions d’euros dont 3 millions d’euros concernent le cumul indemnités journalières avec d’autres revenus.

«La plus insidieuse des trahisons de l’esprit de 1945»…

Ce bilan ne manque pas d’étonner lorsqu’on se remémore les propos du Chef de l’Etat, stigmatisant ceux qui volent la sécurité sociale, « la plus insidieuse des trahisons de l’esprit de 1945 ». Et les conclusions de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) qui en juin dernier, avait estimé jusqu’à 10,4 milliards d’euros, le montant du manque à gagner pour la sécu, du travail au noir….

En tout état de cause, l’assurance maladie a opéré 1 592 saisines du Parquet en 2010, année au cours de laquelle les instances pénales ont prononcé 219 peines de prison avec ou sans sursis et des condamnations financières de 3,1 millions d’euros. Il y a également eu 161 procédures civiles engagées en 2010 (contre 343 une année auparavant).

Légère décrue également de dépôts de saisines ordinales : 393 en 2010 contre 426 en 2009. En matière de décision, les conseils régionaux des ordres professionnels ont prononcé 240 interdictions de donner des soins aux assurés sociaux contre 305 en 2009 et 289 en 2008. 15 % de ces interdictions sont d’une durée supérieure ou égale à 6 mois.

En outre, l’assurance maladie a prononcé en 2010 1 132 pénalités financières dont 378 à des professionnels de santé, 722 à des assurés et 32 à des employeurs pour un montant total de 1,4 millions d’euros.

En prévention de la récidive, 1 457 lettres ont été adressées dont 708 à des assurés, 286 à des infirmiers, 27 à des médecins généralistes et 62 à des spécialistes. 213 sanctions financières du contrôle externe T2A ont été décidées par les directeurs généraux d’ARS.

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Le Borgne