Le 6 avril dernier, le Premier ministre a annoncé une série de mesures visant à améliorer l’accès aux soins en ville, à commencer par l’expérimentation de l’accès direct aux médecins spécialistes. Cette annonce, associée à l’iniquité de financement de l’hospitalisation privée par rapport à l’hospitalisation publique, a provoqué la colère des syndicats de libéraux dans un contexte de suspension de la négociation conventionnelle avec la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam). Pour le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, « en remettant en cause le statut de médecin traitant », le gouvernement « fait tout pour amener à un échec des négociations conventionnelles ».
Vous attendiez-vous à ces annonces du Premier ministre sur la santé ?
Non, nous avons été très surpris. Trois jours avant les déclarations de Gabriel Attal, nous avions rencontré le ministre délégué à la Santé, Frédéric Valletoux, qui ne nous avait parlé de rien. Nous avons appris par la suite qu’il n’était pas informé de ces annonces. On peut se demander si ces déclarations ne servaient pas uniquement à améliorer le score de la majorité aux prochaines élections européennes, puisque l’on sait que l’accès aux soins est la première préoccupation des Français…
Gabriel Attal a annoncé l’expérimentation dans treize départements de l’accès direct aux médecins spécialistes. Est-ce que cela permettra vraiment de faciliter l’accès aux soins et de libérer du temps médical aux généralistes ?
En dehors de Paris, dans les territoires où l’on manque de généralistes, on manque aussi de spécialistes. Dans le nord de la Mayenne, nous avons deux cardiologues libéraux. Les prochains rendez-vous sont fixés à septembre 2025. Si ces cardiologues acceptent de recevoir des patients en accès direct, ceux que je vais vouloir leur adresser de mon côté ne pourront être vus qu’en février 2026…
Prenons l’exemple de la douleur thoracique qui peut être, entre autres, d’origine digestive ou pneumologique ou cardiaque. Si un patient, de son propre choix, décide d’aller voir le cardiologue, puis le pneumologue, et finalement le gastroentérologue, il va bloquer trois rendez-vous de spécialistes… Et moi, en tant que médecin traitant, je vais recevoir des courriers de plusieurs spécialistes pour ce même patient. En plus d’être surpris de ces consultations, je vais devoir en faire la synthèse.
Cette mesure va compliquer ma vie de médecin traitant, augmenter ma charge administrative, et détériorer l’accès aux soins aux spécialistes.
Est-ce, selon vous, une remise en cause du rôle de médecin traitant ?
Court-circuiter le médecin traitant pour accéder à un spécialiste, oui, c’est une remise en cause de la réforme de 2004. C’est aussi une remise en cause globale de notre système de santé en ambulatoire…
Avez-vous le sentiment que le gouvernement a saboté la négociation conventionnelle, aujourd’hui suspendue ?
Nous avons rencontré mercredi 17 avril les conseillers santé de Gabriel Attal à Matignon. Nous leur avons redit que le gouvernement était, à nos yeux, responsable de l’échec de la négociation de février 2023 puisqu’il a imposé à la Cnam le contrat d’engagement territorial qu’aucun syndicat ne pouvait accepter. Dans le cadre de ce nouveau round de négociation, il ne nous restait que deux séances – prévues les 4 et 18 avril. La Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) devait présenter le calendrier des revalorisations à ce moment-là…
Nous avons le sentiment que le gouvernement fait tout, malgré ce qu’il dit, pour amener à un échec de cette négociation, pour nous laisser pendant cinq ans avec le règlement arbitral. Remettre en cause le médecin traitant quand on voit à quel point ce rôle est difficile… Nous n’avons pourtant pas arrêté de dire que la convention médicale devait permettre de créer un choc d’attractivité pour devenir médecin traitant. Sans ce choc d’attractivité, les médecins traitants seront de moins en moins nombreux, et nous aurons un système de santé en ambulatoire à deux vitesses, avec ou sans médecin traitant.
Dans ces cas-là, j’ai presque envie de dire que l’on doit recommencer la négociation conventionnelle à zéro. Le but ne serait plus de créer un choc d’attractivité pour le médecin traitant… C’est même une remise en cause des lettres de cadrage des ministres pour ces négociations ! Le gouvernement est l’unique responsable de là où nous en sommes aujourd’hui.
La création d’une consultation en soins infirmiers, annoncée par Frédéric Valletoux dans La Tribune Dimanche le 14 avril, est-elle aussi une ligne rouge ?
Je me demande si, dans l’esprit du ministre, il n’y a pas une grande confusion entre l’infirmière de pratique avancée (IPA) et l’infirmière libérale. J’ai l’impression que sa déclaration concernait plus l’IPA. Ces professionnelles font des consultations dans un champ bien défini en lien avec les médecins traitants des patients. Des choses sont à améliorer, notamment sur la prescription, mais elles sont un vrai plus. Tous les médecins généralistes qui travaillent avec des IPA trouvent que cela améliore l’accès aux soins, et qu’elles permettent de dégager du temps médical. En revanche, je n’ai pas vu d’infirmières libérales demander de faire des consultations.
C’est donc un effet d’annonce ?
Tout à fait. Mais aujourd’hui ce n’est que ça… Faute de moyens financiers, le gouvernement fait des opérations de communication qui déstabilisent tout le monde… Les annonces, ça ne coûte pas cher, et ça n’engage que ceux qui les écoutent.
Gabriel Attal a également annoncé que la rémunération des psychologues engagés dans le dispositif « Mon soutien psy » serait revalorisée à 50 euros. L’adressage par un médecin traitant ne sera par ailleurs plus obligatoire…
Les psychologues ne sont pas une profession de santé dans le code de santé publique. Leurs formations sont également très hétérogènes. Ils ne sont pas formés pour poser des diagnostics. On a besoin d’eux, c’est certain. La crise Covid n’a rien arrangé à l’état de santé mentale des Français, en particulier chez les jeunes. Mais en ouvrant l’accès direct aux psychologues, on risque d’être parfois dans du bien-être ou dans des retards de prise en charge de pathologies mentales…
Des consultations d’état dépressif de trente à quarante-cinq minutes, j’en fais plein en tant que médecin de famille. On se bat avec l’Assurance maladie pour obtenir un tarif revalorisé pour les consultations complexes, longues, qui sont aujourd’hui au tarif de 26,50 euros. Et les psychologues vont pouvoir faire douze séances à 50 euros… C’est un grand mépris pour le travail qui est fait tant par les médecins généralistes que par les psychiatres.
Vous êtes le seul syndicat à ne pas avoir suspendu votre participation à la négociation conventionnelle. Pourquoi ?
Une négociation conventionnelle, cela peut durer longtemps. On peut parler de tout, on peut ne pas être d’accord et, à la fin, on signe ou on ne signe pas. Suspendre sa participation à la négociation, cela veut dire prendre le risque que le règlement arbitral s’applique pour cinq ans et pénalise tous les médecins libéraux. Après avoir quitté la table des négociations, il peut être difficile d’y revenir sans perdre la face.
Que faudrait-il pour reprendre la négociation sous les meilleurs auspices ?
C’est aux syndicats qui ont quitté les négociations de décider d’y revenir sans y mettre des préalables qui n’ont aucun lien avec la convention médicale. Concernant la remise en cause du rôle du médecin traitant, le dernier courrier du ministre de la Santé n’apporte aucune assurance, bien au contraire, car il confirme les propos du Premier ministre.
Êtes-vous toujours en contact avec la Cnam ?
Bien sûr. La suspension de la négociation conventionnelle n’est pas du fait de la Cnam. Elle en est autant victime que nous. Il y a encore des choses à négocier, notamment sur la consultation longue.