Négociation conventionnelle : « Il faut mettre le paquet pour donner envie d’être médecin traitant »

En février dernier, la négociation pour la future convention médicale se soldait par un échec, laissant les médecins libéraux livrés à un règlement arbitral, qui ne leur a accordé qu’une revalorisation de 1,50 euro des tarifs des consultations. Après un mouvement de grève de grande ampleur à la mi-octobre, le dialogue a repris entre les syndicats et la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam), avec une première séance multilatérale de négociation qui s’est déroulée mercredi 15 novembre. Le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, appelle à « mettre le paquet pour donner envie d’être médecin traitant », à l’heure où « certains n’hésitent pas à dire que l’on pourrait s’en passer ».

 

Comment s’est déroulée la première séance de négociation conventionnelle avec la Cnam ?

Cela s’est mieux passé que lors de la négociation de l’hiver dernier où, souvenons-nous, il y avait eu d’emblée une suspension de séance. Aujourd’hui, nous n’en sommes pas là. Nous avons tous fait le bilan de l’échec de la négociation précédente. Nous sommes par ailleurs dans une situation particulière. Toutes les données qui nous arrivent confirment le constat de plus en plus criant que nous faisons depuis des années : le métier de médecin généraliste traitant n’est plus attractif, les médecins se détournent de cet exercice et les jeunes ne sont pas intéressés… En même temps, les Français éprouvent de plus en plus de difficultés pour trouver un médecin traitant. C’est dramatique pour tous ceux qui sont atteints de pathologies chroniques, polypathologiques.

 

La veille de la reprise de la négociation, le directeur général de la Cnam, Thomas Fatôme, déclarait dans Le Figaro être prêt à « aller plus loin dans la revalorisation tarifaire ». Vous réjouissiez-vous de cette annonce ?

Cela va dans le bon sens, mais nous n’avons pas d’annonce concernant l’enveloppe qui sera dédiée à cette convention médicale. Nous la devinons toujours vers la fin des négociations. Nous partageons néanmoins plusieurs constats concernant la médecine générale. Il faut trouver des solutions pour les généralistes en matière de revalorisation, identifier comment cibler cette revalorisation par rapport aux besoins – ce qui relève de l’acte et ce qui relève des forfaits –, prendre en compte la complexité de plus en plus importante de l’exercice du médecin traitant. Une fois que l’on aura dit « voilà ce qu’il faudrait faire », le directeur de la Cnam nous dira « voilà ce que l’on peut faire ». C’est là que cela risque d’être très conflictuel, car inacceptable au regard des enjeux.

 

La Cnam et le ministère de la Santé s’attendent à une négociation difficile. Vous aussi ? Pour quelle(s) raison(s) ?

Oui, ce sera une négociation difficile, pour des raisons financières. En janvier, ce qui était proposé en termes de revalorisation – notamment le C à 30 euros et la consultation complexe à 60 euros – ne concernait que 60 % des médecins traitants, et 20 % des autres médecins spécialistes. Cela écartait de nombreux médecins des revalorisations parce qu’il n’y avait pas les moyens financiers suffisants. Le tout, c’est de savoir si, cette fois, on va nous proposer à nouveau la même chose, mais pour tout le monde…

 

La première séance thématique organisée mercredi 22 novembre était consacrée à la revalorisation de la fonction de médecin traitant. Que faut-il mettre sur la table pour donner envie aux généralistes d’embrasser cet exercice ?

Nous n’avons pas encore parlé de tarif. On en parlera à la fin. Mais pour redonner de l’attractivité au métier, il faut à la fois miser sur le tarif de la consultation et sur les forfaits. La tarification à l’acte doit prendre en compte la complexité de certaines consultations du médecin traitant. Il faudrait par ailleurs un forfait qui soit majoré pour les médecins généralistes participant à la permanence des soins, au service d’accès aux soins, pour ceux qui sont maîtres de stage ou exercent dans une zone très sous-dotée. On doit dire merci à ces généralistes. Aujourd’hui, il n’y a rien de tout cela. Pour valoriser ces rôles, on pourrait envisager de miser sur le forfait avec des coefficients différents.

 

Vous craigniez toutefois que surviennent des « effets d’aubaine »…

La première partie de la réunion était de définir à partir de quand on considère qu’un médecin généraliste est médecin traitant. La Cnam nous a montré des courbes, des chiffres, des percentiles, montrant que finalement, à partir du moment où on est le médecin traitant d’une personne, on est considéré comme médecin traitant. Mais il y a plein de généralistes qui ne sont pas médecins traitants mais qui sont au moins médecins traitants d’eux-mêmes ! Doit-on intégrer ces médecins-là ? C’est un sujet. Qui va-t-on exclure ? Si je ne prends en charge que 50 patients, dois-je être considéré comme médecin traitant ? On sait qu’aujourd’hui environ 12 % de la population est sans médecin traitant, mais ce que nous a toujours dit l’Assurance maladie, c’est que 6 % des Français n’en veulent pas : parce qu’ils ne sont pas malades, n’ont pas de pathologies chroniques, etc. Il ne faudrait pas que l’on se dirige vers des effets d’aubaine où des médecins travaillant dans des centres de soins non programmés se déclareraient médecins traitants de tous ces patients qui ne nécessitent pas un suivi, de façon à être considérés ainsi aux yeux de l’Assurance maladie.

Il faut absolument mettre le paquet pour donner envie d’être médecin traitant. C’est nécessaire, sinon cela va être dramatique pour la médecine générale. Certains, profitant des problèmes d’accès aux soins, n’hésitent pas à dire que l’on pourrait se passer du médecin traitant en France…

 

Vous avez également travaillé la semaine dernière sur la pertinence et la qualité des soins…

C’est quelque chose de nouveau. La question qui est posée, c’est : que peut-on faire, avec les moyens dont nous disposons en termes de ressources humaines, pour améliorer la prise en charge, les parcours de soins, des patients atteints de pathologies chroniques ? Nous avons fait des propositions. Il existe également des expérimentations article 51 qui vont bientôt se terminer. Des généralistes avec d’autres professionnels de santé libéraux travaillent sur ces sujets depuis quatre ans, on aimerait avoir les évaluations. Sur le parcours de soins de la personne âgée, il y a aussi des Groupes qualité de médecins généralistes dans plusieurs régions qui réunissent des pairs chaque mois pour travailler sur ces sujets.

Nous avons aussi évoqué les prescriptions de médicaments et de biologie. Pour les personnes âgées polypathologiques, les diabétiques, les insuffisants cardiaques, les patients atteints de BPCO et ceux chez qui on vient de découvrir un cancer de la prostate, on compte parfois, voire souvent, plus de dix médicaments ! À la CSMF, nous demandons la mise en place d’une consultation longue pour ces patients polypathologiques, qui soit dédiée à travailler sur l’ordonnance. Elle durerait trente à quarante minutes et permettrait d’évaluer les interactions médicamenteuses, mais aussi d’expliquer au patient, sans qu’il éprouve un sentiment d’abandon, pourquoi on lui fait arrêter un traitement qu’il a depuis cinq ans.