Les syndicats, unis, promettaient un « vendredi noir » le 13 octobre, appelant les médecins libéraux à cesser toute activité dans le cadre d’une grève « reconductible ». Objectif : obtenir la révision de la proposition de loi Valletoux, jugée coercitive, et une réouverture imminente des négociations conventionnelles. La mobilisation a été suspendue le 17 octobre après qu’Aurélien Rousseau a envoyé la lettre de cadrage au directeur général de la Cnam. Pour le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, « il y a eu une prise de conscience de la part du ministre de la Santé ». Mais certaines inquiétudes demeurent.

 

Qu’est-ce qui a poussé les généralistes à s’engager dans le mouvement de grève du 13 octobre ?

Le mouvement de fermeture des cabinets a été lancé au début de l’été par le syndicat Le Bloc en réaction à la proposition de la loi Valletoux. À ce moment-là, on avait pris conscience des risques que pouvait faire peser ce texte sur les médecins généralistes, en particulier à travers un amendement gouvernemental qui laissait la possibilité aux agences régionales de santé de réquisitionner des généralistes pour aller boucher des trous à l’hôpital dans des services d’urgence. Nous nous sentions donc évidemment concernés, mais pas au point de déclencher un tel mouvement de grève…

Mais, dans le courant de l’été, la colère des généralistes est devenue de plus en plus évidente, notamment du fait de l’absence de convention médicale. L’humiliation des 26,50 € (31,40 € pour les DROM) approchait de plus en plus, avec une entrée en vigueur prévue pour le 1er novembre. Cela s’ajoutait au constat que le métier de médecin de famille en libéral non seulement n’attire plus, mais refoule… Les médecins en cumul emploi-retraite n’envisagent pas de continuer ; ceux qui ont la possibilité de faire autre chose que médecin traitant le font – travailler en centre de soins non programmés, par exemple – et des internes abandonnent la spécialité médecine générale à la fin de leur premier ou deuxième stage…

Les médecins généralistes ont-ils été nombreux à se mobiliser ?

Oui. Le mouvement a été massivement suivi dès le 13 octobre par les médecins généralistes, aussi bien sur le front de la fermeture de cabinets que de la grève de la permanence des soins ambulatoires (PDSA). Dans mon département, on est 185 généralistes. Lors d’une réunion en amont de la grève, le 2 octobre, 102 généralistes étaient présents. Je n’avais pas vu de telle mobilisation du terrain depuis 2002 ! Les gendarmes ne voulaient plus réquisitionner les médecins, c’étaient des huissiers de justice qui le faisaient !

L’intersyndicale a décidé de suspendre la grève mardi 17 octobre, quatre jours après son lancement. Estimez-vous avoir été entendus par le gouvernement ?

Je pense qu’il y a eu une prise de conscience de la situation dans laquelle se trouvent, entre autres, les médecins généralistes de la part du ministre de la Santé. Après ce vendredi 13 octobre, tout s’est précipité : le ministre a envoyé la lettre de cadrage au directeur général de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam), et celle-ci n’a pas attendu le conseil de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam) pour organiser des rencontres avec les syndicats représentatifs cette semaine.

Certains médecins libéraux ont reproché aux syndicats d’avoir interrompu le mouvement trop tôt…

C’est la première fois que je vois ça ! Certains voulaient continuer la grève. Moi-même, j’avais bloqué mon agenda en ligne du 13 au 20 octobre.

Cette suspension ne veut cependant pas dire que vous baissez la garde…

Quand on commence une grève, il faut toujours savoir l’arrêter : là, on n’a pas dit qu’on arrêtait la grève, mais qu’on la suspendait… Car il reste deux interrogations en suspens : d’abord, quid de la proposition de loi Valletoux ? Très clairement, ça peut être le pire comme le meilleur. On a toujours des inquiétudes… Certains parlementaires ont l’impression qu’avec des mesures coercitives, on va rendre la médecine libérale plus attractive, or ce sera tout l’inverse. Et puis on commence une négociation conventionnelle. On ne sait pas quelle va être la capacité de financement… Même si le ministre de la Santé a dit qu’il n’avait pas donné de cadre financier à Thomas Fatôme, on sait très bien qu’il y en a un. L’enveloppe ne se décide pas Porte de Montreuil, au siège de la Cnam, ni Avenue de Ségur, mais à l’Élysée. Donc, on verra lors de ces rencontres qui auront lieu cette semaine.

À quoi allez-vous être attentif durant cette prochaine négociation ?

Il y a deux choses dans une convention conventionnelle : la méthode et le fond. Sur la méthode, on ne peut pas recommencer comme la dernière fois où on arrive en séance, on nous passe des diaporamas, on ne peut rien ajouter, on peut seulement discuter sur des détails. Sur le fond, je pense qu’on va probablement partager le constat qu’il faut rendre plus attractives les spécialités cliniques. S’agissant des médecins généralistes, il faut valoriser le rôle de médecin traitant, de médecin de famille. Sinon, nous, médecins de famille, allons devenir les derniers des Mohicans ! Faire des consultations de 30 à 45 minutes pour 25 euros, ce n’est très clairement plus possible. Entendre des confrères dire qu’ils ont fait un prêt pour payer leurs charges, ce n’est plus possible !

Il va falloir être plus incitatif sur le forfait médecin traitant. Beaucoup de généralistes participent à la permanence des soins, au service d’accès aux soins, sont maîtres de stage… Il faut reconnaître cet investissement et que cette reconnaissance se traduise dans la rémunération, plutôt que d’aller vers la coercition, comme ce qui avait été proposé en janvier dernier avec le contrat d’engagement territorial (CET)… Cette convention doit aussi inciter les médecins à travailler autrement pour prendre en charge plus de patients sans travailler plus.

Si l’État ne peut pas, pour des raisons que l’on ne cesse de nous répéter – comme le déficit budgétaire, par exemple – répondre aux demandes urgentes des médecins libéraux, il faudra d’emblée travailler sur le champ de l’élargissement de l’Option pratique tarifaire maîtrisée (Optam) pour tous. On se dit qu’il n’y a probablement pas d’autre possibilité.