Le 12 juin prochain, Frédéric Valletoux, député Horizons, va défendre à l’Assemblée nationale une proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels de santé. Permanence des soins obligatoire pour tous, adhésion obligatoire à une CPTS, interdiction de faire de l’intérim en début de carrière… Certaines mesures provoquent d’ores et déjà la colère des médecins, échaudés par des mois de mobilisation pour protester contre leurs conditions d’exercice. Dans une interview accordée à Egora, l’ex-président de la FHF revient en détail sur les dix propositions marquantes de son texte.

 

Votre proposition de loi vise à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels de santé. C’est essentiel de travailler sur l’échelon territorial ?

En tant qu’élus, nous essayons de trouver des solutions qui permettent de répondre à la problématique de l’accès aux soins dans un contexte où on sait que la tension démographique sera encore forte pendant plusieurs années. Pour moi, le sujet se joue effectivement sur la proximité et le terrain. Je pense qu’on a poussé trop loin la bureaucratisation et l’approche normative dans notre système de santé. Aujourd’hui, il faut faire confiance aux professionnels de terrain quels qu’ils soient pour arriver à répondre, territoire par territoire, à ces enjeux. La réponse sera évidemment différente aux quatre coins de la France, car les besoins de santé ne sont pas les mêmes et les forces médicales ne sont pas les mêmes non plus.

Dans votre texte, vous consacrez l’une des mesures à l’instauration d’une permanence des soins (PDS) obligatoire pour tous. Que défendez-vous exactement ?

L’idée, c’est dorénavant que la permanence des soins soit pleinement partagée par l’ensemble des acteurs, en ambulatoire comme dans les spécialités. Il y avait déjà eu des avancées sur la permanence des soins de premiers recours avec la loi Rist, mais nous nous proposons d’élargir cela, y compris en intégrant les cliniques.

Mais les médecins y sont fermement opposés… ils sont d’ailleurs prêts à se mettre à nouveau en grève avant l’examen de votre texte à l’Assemblée nationale. Les comprenez-vous ?

Je vois beaucoup de médecins qui participent à la permanence des soins : environ 40 % le font déjà. Je n’ai jamais dit, contrairement à ce qu’on répète parfois, que l’hôpital est seul sur ce front. Cependant, aujourd’hui on change d’époque. On doit revenir à ce qu’on a connu par le passé avec des professionnels de santé qui portent des missions d’intérêt général : c’est le résultat d’un système qui est en grande partie financé par la solidarité nationale mais aussi la contrepartie de ce système où les acteurs sont solvabilisés par la communauté nationale. Aujourd’hui, dans un contexte de tensions démographiques très fortes et de difficultés d’accès aux soins, c’est compliqué que tout le monde ne soit pas embarqué dans les mêmes obligations. Les libéraux qui sont sur le front de la permanence de soins me le disent.

 

 

Vous misez énormément sur le “Conseil territorial de santé” comme “organe de gouvernance” qui définirait et mettrait en œuvre les projets territoriaux de santé. L’idée, c’est de donner plus de lisibilité au fonctionnement actuel ?

Dans le cadre de cette proposition de loi, nous avons étudié comment s’organisait la déclinaison des politiques nationales de santé sur le territoire : c’est une imbrication de structures et de différents dispositifs auxquels plus personne ne comprend rien. Oui, il faut donner de la lisibilité et un cadre cohérent à la déclinaison territoriale des politiques de santé. Ce cadre, c’est reprendre un outil qui existe sur le papier mais qui a aujourd’hui peu de pertinence car il n’est pas mis à l’œuvre comme il devrait l’être : le territoire de santé. Notre proposition de loi telle que nous l’avons imaginée veut mettre fin à un objet hyper administratif, dessiné par les ARS. Demain, la volonté c’est aussi d’ouvrir éventuellement une révision des périmètres si les acteurs l’estiment nécessaire.

Concrètement, à quoi pourraient ressembler ces territoires de santé ?

Ils devront être le lieu où on décline territorialement les grandes politiques de santé comme… la permanence des soins, les coopérations diverses et variées, la prévention et éventuellement la mise en application de certains plans d’urgence. Il doit être le lieu où certains professionnels peuvent mettre en place une réponse coordonnée sur une pathologie particulière. C’est à cette échelle que se réfléchira la bonne répartition de l’offre de soin.

Vous croyez en ces territoires de santé, mais vous souhaitez rendre l’adhésion des professionnels de santé aux CPTS obligatoire. Pourquoi ?

Car ces territoires de santé, ce sont aussi les lieux de la démocratie sanitaire où tout le monde discute autour de la table. A partir de là, il faut revoir la gouvernance avec un bureau exécutif. Ces conseils des territoires de santé doivent regrouper des professionnels de tous statuts avec des élus locaux et des représentants de patients. C’est dans ce cadre-là que sera discutée la mise en œuvre des missions que j’ai déjà évoquées. Pour que ce soit efficace, il faut que la médecine libérale puisse, sans qu’on touche à son statut, s’intégrer dans ce système… L’idée en tout cas, c’est qu’il y ait des CPTS partout et qu’elles soient représentatives de tous. C’est pourquoi nous avons inclus dans cette proposition de loi le fait qu’un médecin sera automatiquement membre de la CPTS de son territoire. S’il souhaite la quitter, il pourra le faire : la démarche ne sera plus d’adhérer mais de quitter.

Vous souhaitez par ailleurs miser sur l’ouverture du Contrat d’engagement territorial (CESP) pour tous les étudiants en médecine dès la deuxième année alors que les carabins de premier cycle en ont été exclus il y a deux ans. Le bilan de ce dispositif est mitigé avec seulement 3 300 volontaires en dix ans… En quoi pourrait-il être la solution ?

Je pense que le dispositif est malgré tout positif dans sa conception, il s’agit peut-être plus d’un défaut de communication auprès des étudiants. Il n’y a certes pas une déferlante de contrats signés mais malgré tout, il y a une appréciation positive sur le système en lui-même. On reviendrait en arrière mais nous souhaitons aussi l’étendre aux étudiants en pharmacie, aux sage-femmes et en odontologie.

Vous souhaitez également interdire l’intérim médical en début de carrière. Pourquoi cette mesure ne concernerait-elle que les futurs médecins ?

C’est pour lutter contre l’intérim médical de manière générale, qui est un cancer pour l’hôpital. Cette mesure est complémentaire et cohérente avec le plafonnement des rémunérations qui a été prévu notamment dans la loi Rist. L’intérim est nécessaire, aucun système ne fonctionne sans. Cette proposition ne veut pas l’interdire complètement mais réduire les excès. Quand on s’engage dans les études de médecine, on est là encore accompagné par la collectivité nationale… Ces études sont exigeantes, difficiles, mais pour moi il est bien aussi de pouvoir s’inscrire dans un schéma d’installation d’entrée de jeu.

 

 

En ciblant ainsi les jeunes, n’avez-vous pas peur de toucher à l’attractivité du métier de médecin et des études médicales ?

Je ne crois pas. L’attractivité ne passe pas forcément toujours par plus d’aides d’un côté et plus de facilité de l’autre. Dans un système financé par la solidarité nationale, il n’est pas anormal que les règles soient définies selon la conception qu’on peut porter de l’intérêt général. L’intérêt général aujourd’hui, c’est consolider des organisations, à la fois celle de la médecine libérale et celle de la médecine en établissement. Aujourd’hui, on voit que l’attractivité de l’intérim nuit à la pérennité du modèle de santé tel qu’on le veut.

Deux articles de votre proposition de loi concernent les praticiens à diplôme hors Union européenne dont vous souhaitez faciliter le travail en France. Comment ?

L’idée, c’est d’intégrer à notre proposition de loi un dispositif qui aurait dû être dans la loi immigration pour le rendre effectif le plus rapidement possible, toujours dans la perspective d’améliorer l’accès aux soins. Ce que nous proposons est simple : créer une autorisation temporaire d’exercice en établissement pour que ces médecins Padhue puissent s’inscrire dans une démarche de reconnaissance de leur diplôme. Ensuite, nous souhaitons créer une nouvelle carte de séjour pluriannuelle de talent profession médicale et de la pharmacie pour répondre aux besoins de recrutement. Les délais de traitement des dossiers doivent être plus courts que ceux actuels, sans fermer les yeux sur qui sont ces médecins qui arrivent et la procédure plus adaptée à ce qu’on vit aujourd’hui avec un long et difficile chemin administratif.

Vos deux dernières propositions concernent les groupements hospitaliers de territoires (GHT). Vous souhaitez d’abord les doter de personnalité morale. Qu’est-ce que cela changerait ?

A partir du moment où toutes les parties prenantes, y compris les élus locaux, travaillent ensemble de manière simplifiée et finissent par parler le même langage et porter les mêmes ambitions collectives, les établissements hospitaliers doivent eux aussi pouvoir adapter leur fonctionnement. Doter les GHT de personnalité morale va permettre de faciliter leur chemin d’intégration dans cette nouvelle organisation pour rendre plus efficace la prise en charge des patients selon leurs pathologies. Ils pourraient ainsi réaliser plus facilement certaines formalités administratives. Il s’agira d’un droit d’option, seuls ceux qui le souhaitent le feront.

Enfin, vous proposez aussi de donner plus de compétences au conseil de surveillance…

C’est en effet important, nous souhaitons faire en sorte que le conseil de surveillance, tel qu’il a été créé dans la loi de 2009, puisse être aussi un vrai lieu de débat de la stratégie de l’établissement comme de la stratégie de l’établissement dans son territoire. Pour lui donner du corps et de la force, nous proposons que le conseil de surveillance puisse voter le budget de l’établissement. On sait bien que le débat autour du budget, c’est le débat autour des priorités, c’est l’appropriation par chacun des membres des enjeux de l’hôpital. Le vote est important.

Les médecins libéraux manifestent et dénoncent leurs conditions d’exercice depuis plusieurs mois. Comment cette proposition de loi peut-elle les soulager ?

Ce n’est pas cette proposition de loi qui va supprimer le trop de bureaucratie ou qui va valider une demande de meilleure reconnaissance financière de l’acte. Cette proposition de loi doit permettre de leur faire confiance pour répondre aux enjeux d’accès aux soins. Le pari que je fais, c’est de dire que plutôt que de durcir les obligations, contraindre un peu plus la profession libérale, il faut leur faire confiance car ils sont capables de trouver les réponses adaptées. Je suis intimement convaincu que ça peut marcher. Maintenant, il faut que les médecins libéraux prennent conscience que l’accès aux soins est une crise majeure et qu’ils ne peuvent pas toujours être dans le refus de tout. Ils ont raison de se battre pour une meilleure reconnaissance de leurs consultations mais la contrepartie du financement, c’est une meilleure prise en compte des missions d’intérêt général. Je vois en cette proposition de loi une opportunité, pour eux, de montrer qu’ils ne sont pas complètement dans le “contre-tout” et la revendication financière tout le temps et qu’ils sont prêts à évoluer, dans le partage et la coordination. J’ai l’impression que c’est aussi ce qu’attendent les nouvelles générations de soignants.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Marion Jort

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