Moins d’un mois après l’échec des négociations conventionnelles avec la Caisse nationale d’Assurance maladie, les syndicats représentatifs attendent désormais de connaître les modalités du règlement arbitral qui seront imposées par l’arbitre désigné, Annick Morel. Si la CSMF espère pouvoir reprendre rapidement les discussions avec la Cnam, le Dr Luc Duquesnel, président Les Généralistes-CSMF, rappelle sa ferme opposition à la signature de contrats individuels entre la caisse et les médecins. « La ligne rouge a été franchie », dénonce-t-il, plaidant au contraire pour la « valorisation » de l’engagement des libéraux sur le terrain.

 

La CSMF a décidé de voter contre la proposition de convention médicale. Pourquoi ?
Cela n’a pas forcément été simple. Beaucoup de généralistes, ceux qui cochaient les cases du contrat d’engagement territorial (CET), pouvaient tirer un avantage financier conséquent de cette convention médicale. Pour autant, ce qui était inacceptable pour une grande majorité (80 %) des médecins généralistes syndiqués à la CSMF, c’était le fait de devoir travailler avec des confrères au sein de leurs maisons médicales, de leurs maisons de santé pluriprofessionnelles et de faire le même travail qu’eux en consultation… sans pouvoir tarifer leurs actes de façon identique. Par exemple, si un généraliste qui rentre dans le cadre du CET reçoit un patient de 80 ans en ALD, sa consultation aurait été à 60 euros. Non signataire du CET, la consultation serait à 26,50 euros ! C’est particulièrement problématique pour les médecins à exercice partiel, ceux en cumul emploi-retraite et les jeunes qui ne pouvait pas rentrer dans le CET. Pour nous, il s’agit d’une ligne rouge. Nous dénonçons ce principe de « à travail égal, rémunération inégale ». Malgré tout, le rejet de la proposition de convention n’a pas été unanime car le texte présentait aussi des évolutions indispensables au sujet des assistants médicaux notamment, ou encore une amélioration pour les médecins en zones d’intervention prioritaires.

 

Des améliorations qui n’ont donc pas suffit à faire pencher la balance…

Non, car le danger, ce sont aussi les conséquences sur l’attractivité de notre spécialité. Le métier de généraliste traitant libéral est moins attractif et ce contrat individuel allait aggraver cette situation. Une telle proposition de la Caisse nationale d’Assurance maladie (Cnam) allait inciter certains médecins à cesser leur activité. On voit déjà des médecins qui déplaquent, des internes qui veulent exercer leur droit au remords… Cela veut dire que pour ceux qui restent, les conditions de travail sur le terrain seraient encore plus difficiles.

 

Désormais, c’est la procédure du règlement arbitral qui s’applique. Comment allez-vous travailler avec l’arbitre dessiné, Annick Morel ?

Dès début mars, une fois les négociations terminées avec la Cnam, nous l’avons rencontrée. C’est une personne qui connaît l’histoire des conventions médicales et le projet porté par la CSMF et Les Généralistes-CSMF. Elle nous a dit qu’elle n’avait aucune pression quant au contenu de ce règlement arbitral, ce dont nous doutons. Ce qui va déterminer ce contenu, c’est surtout la perspective – ou non – d’une reprise rapide des négociations conventionnelles.

 

Est-ce envisageable ?

Il faudrait que l’on puisse reprendre rapidement les discussions avec l’Assurance Maladie sur le principal point de blocage : la difficulté pour la Caisse de se projeter sur des revalorisations tarifaires et d’avoir en même temps l’assurance que cela peut améliorer l’accès aux soins. Globalement, elle considère que certaines revalorisations tarifaires peuvent inciter à travailler moins et donc faire l’effet inverse. Si on arrive à trouver la solution, sans que ce soit dans le cadre d’un contrat individuel, on peut imaginer que l’on parviendra rapidement à un accord et que le règlement arbitral ne s’appliquera que sur une courte durée. Attention : si la posture de l’État est de continuer à vouloir imposer des contrats individuels et à ne pas mettre les moyens financiers nécessaires pour nous permettre d’exercer sereinement, cela ne sert à rien de redémarrer une négociation car nous serons dans l’incapacité de signer cette nouvelle convention.

 

Comment va se traduire l’application du règlement arbitral sur le terrain ?

Ce règlement arbitral consistera sûrement à appliquer la convention actuelle avec peut-être quelques améliorations tarifaires. En l’absence d’accord conventionnel avec la CNAM dans les deux ans, alors il pourra s’appliquer pendant cinq ans. On peut difficilement imaginer qu’il n’inclue pas les avancées sur les assistants médicaux, sur le forfait médecin-traitant. Madame Morel nous a fait savoir qu’elle souhaitait travailler rapidement, nous pourrions avoir ses conclusions d’ici fin avril.

 

Peut-on espérer une augmentation de la valeur du C, principal point de revendications des syndicats et des médecins ?

Annick Morel n’a pas indiqué quelles étaient ses intentions mais nous lui avons rappelé les revendications de la CSMF sur le sujet. Ce que nous défendons, c’est la hiérarchisation des consultations. Il faut aussi valoriser l’engagement des médecins libéraux et tout particulièrement des généralistes dans des organisations populationnelles territoriales.

 

Un règlement arbitral, c’est rare… Qu’est-ce que cela dit des relations entre le Gouvernement et les médecins ?

D’abord, cela interroge globalement sur la méthode qui a été appliquée pour ces négociations. Le lendemain des deux seules plénières de négociations, nous avons reçu un texte de 300 pages à signer pour quatre jours plus tard… C’est du jamais vu. Ensuite, cela interroge sur le contenu. Ces négociations ont été hyper violentes. Aussi bien les dernières bilatérales que les plénières. On s’est retrouvés à chaque fois face à ces cases à cocher par les médecins pour un contrat individuel dont on ne voulait pas. Cela ne s’appelle pas des négociations. Il n’y a pas eu de véritable écoute de nos propositions qui avaient pourtant pour but d’améliorer l’accès aux soins de façon incitative et non contraignante.

 

Malgré une mobilisation sans précédent depuis la fin d’année 2022, avez-vous le sentiment que la détresse des généralistes a été entendue ?

Non. On nous écoute quand on parle, mais on ne nous entend pas. Il faudrait que ces décideurs viennent voir ce qu’est la vie dans nos cabinets. Aujourd’hui, on fait le parallèle entre ce qui se passe en libéral et la situation de l’hôpital qui est aussi en grande difficulté. Ces hospitaliers le manifestent probablement plus que les médecins de ville. Les généralistes, les médecins de famille, vont très mal. On médiatise moins leur souffrance, pourtant elle est réelle et s’aggrave de jour en jour. Je vois aujourd’hui une situation que je n’ai jamais connue en 35 ans d’exercice.