Dernières ECNi, création d’une quatrième année d’internat de médecine générale, aménagement de la réforme du premier cycle… 2023 est une année charnière pour les études de médecine, tous niveaux confondus. A la tête de la Conférence nationale des doyens des facultés de médecine, le Pr Didier Samuel est chargé de piloter l’ensemble de ces dossiers “prioritaires”. S’il ne cache pas que le numerus apertus pourrait encore être élargi “sous conditions”, le Doyen des doyens s’inquiète en revanche de la mise en place des Ecos dont le fonctionnement est à “alléger”. Interview.

 

Egora : Fin des ECN, premiers Ecos et EDN, allongement de l’internat de médecine générale, aménagement de la réforme de la Paces… Les chantiers sont nombreux cette année. Y a-t-il des dossiers prioritaires ?

Pr Didier Samuel : Effectivement, ils sont nombreux ! Tout à son importance. Nous allons travailler en parallèle sur les différents sujets. Pour la réforme du premier cycle, il faut continuer à l’accompagner, à l’améliorer. Il y a des travaux à faire sur la Pass/LAS en général, à commencer par savoir si on garde ce système comme le souhaitent en majorité les facultés ou si on va vers un système tout LAS. Deuxièmement, il faut qu’on arrive à avoir un consensus sur le poids et le contenu de l’oral, dans les notes d’admission des deuxièmes années médecine-maïeutique-odontologie-pharmacie (MMOP). Je rajouterais aussi qu’il faut travailler sur l’accès via Parcoursup.

La réforme du deuxième cycle* quant à elle est forcément une priorité absolue car elle est en train de se mettre en place : nous avons le premier EDN* en octobre 2023. Nous travaillons sur les points d’interrogation qui restent en suspens afin que le système ne soit pas trop lourd ni infaisable, notamment dans le cadre des examens cliniques objectifs et structurés (Ecos*). Enfin, en ce qui concerne la quatrième année de médecine générale, les membres de la mission lancée par le ministère de la Santé n’ont pas encore rendu leurs conclusions. Ils ont cependant fait un point d’étape en indiquant certaines grandes lignes : un soutien à l’idée d’une année supplémentaire au DES** qui doit se faire dans le cadre d’une phase de consolidation.

 

La R2C est une “priorité absolue”, dites-vous : en quoi les EDN et les Ecos, qui remplacent les ECN désormais, risquent-ils d’être “lourds et infaisables” ?

L’EDN*, c’est un examen similaire à celui des ECN mais c’est tout de même un nouvel outil, un nouveau type d’examen avec des items de rang A*, de rang B* qu’il faut appréhender. Le gros sujet qui concerne la R2C, c’est l’organisation des Ecos qui auront lieu en mai 2024, en particulier sur la composition des jurys et sur le nombre d’observateurs.

Pour nous, l’organisation telle qu’elle est prévue actuellement est trop lourde. Par exemple, le Conseil d’Etat nous impose d’avoir des jurés qui viennent de plusieurs facultés différentes mais nous avons demandé un allègement sur ce point. L’Ecos national va mobiliser, d’après nos calculs, 2 000 observateurs* pendant 3-4 jours, ce qui est absolument énorme. Dans un climat où les hôpitaux sont en souffrance, il ne faut pas qu’on paralyse les services. On a fait des propositions au ministère et nous sommes en discussion avec les syndicats étudiants pour partir sur un système allégé, afin de le rendre réalisable. Comme c’est un Ecos national, où tous les étudiants passent l’épreuve en même temps, il ne faut pas qu’on se rate.

 

Comment ce système, qui n’a jamais été testé encore, pourrait-il être allégé selon vous ?

Dans les Ecos tels qu’ils étaient conçus initialement, on nous a dit que les observateurs, les jurés donc, ne devaient être que des titulaires, essentiellement hospitalo-universitaires (HU) : on veut assouplir cela. Nous avons par exemple demandé à ce que les chefs de cliniques soient inclus dans la liste, afin de pouvoir augmenter le pool d’observateurs et éviter de paralyser le système. D’autre part, il faut qu’on forme les observateurs. Avant d’être des évaluateurs des Ecos, il faut qu’ils aient tous accédé à une formation, soit avant le mois de mai 2024. L’un des plus gros enjeux de cet examen national, c’est d’arriver à ce que les notes soient homogènes dans toutes les facultés de France.

Et puis, comme je le disais, nous posons la question du nombre d’observateurs qui ne sont pas locaux, ceux qui viennent d’autres facultés pour évaluer les Ecos. Chaque étudiant doit faire 10 stations* : multiplié par le nombre d’inscrits, c’est énorme… Nous proposons donc de diminuer le nombre d’observateurs venant d’autres facultés. On ne voudrait pas que ce soit bloquant. Il faut qu’on arrive à une organisation juste et fiable. C’est lourd d’organiser un Ecos national, au même moment, dans toutes les facs, avec le même sujet, bloquant des milliers d’administratifs, de profs et d’observateurs. Ces personnes ne seront pas à l’hôpital.

Il faut enfin qu’on travaille enfin sur l’appariement*, puisqu’en fin de deuxième cycle les étudiants vont faire des vœux de spécialité et de subdivisions. Il faut que ce soit le moins contraignant possible et que soit le plus proche de ce qu’ils veulent.

 

Des étudiants critiquent la répartition des connaissances entre le rang A et B pour les EDN. Cela est-il amené à être modifié?

Je pense que c’est acté, au moins pour la première année. Il y a un comité de suivi qui travaille sur la R2C avec le Centre national de gestion (CNG) et le ministère pour résoudre les problèmes qui se posent dans le cadre de la finalisation de la mise en place de la réforme.

 

 

Beaucoup de regards sont tournés vers la quatrième année de médecine générale en ce début d’année. La mission créée par le ministère de la Santé doit rendre ses conclusions à la fin du mois. Des points font-ils déjà consensus ?

Nous en saurons plus fin janvier, mais il semble que le comité ne recommandera pas de mesures coercitives, uniquement des mesures incitatives qui n’ont pas encore été précisées. L’idée, c’est d’être assez incitatifs pour que cette année dite de “Docteur Junior” se déroule dans les zones sous-denses. Les stages devront essentiellement être ambulatoires, ou alors hospitaliers par dérogation et toujours dans des terrains de stage agréés avec des maîtres de stages universitaires (MSU) présents ou au contact des étudiants.

 

C’est un des éléments qui fait peur aux étudiants. Selon les syndicats, il faudrait 24 000 MSU pour que les carabins soient correctement encadrés… Est-ce réalisable?

La conférence des Doyens s’est positionnée sur ce sujet : nous avons effectivement besoin de maîtres de stages supplémentaires. Actuellement, il y en a 12 000 et il faudrait 14 000 MSU en 2026, selon nos calculs. Cela nous paraît faisable mais il faut inciter les personnes qui ne sont pas maîtres de stage à le devenir.

 

Quelles questions restent encore en suspens concernant l’allongement du DES* de médecine générale ?

Les questions qui portent essentiellement sur la permanence des soins, les gardes et le type de rémunération des “Docteurs juniors”. Nous ne sommes pas très favorables à la rémunération à l’acte, mais en faveur d’un “plus” financier pour ceux qui font le choix d’aller travailler en zone sous-dense. Il y a également un travail important à faire sur l’organisation de la thèse du DES de médecine générale. Les internes en médecine générale, contrairement à d’autres spécialités, ont des difficultés à effectuer leur thèse en trois ans. Or pour être Dr Junior, il faut avoir passé sa thèse.

 

Selon une enquête de l’Association nationale des étudiants en médecine de France, la moitié des étudiants dont le premier choix était médecine générale aux ECNi cette année remettent leur choix en question. Cela vous inquiète-t-il ?

Bien sûr, c’est un sujet. J’espère qu’on n’aura pas de déficit en médecine générale. Il faut qu’on travaille à rassurer les étudiants. Je pense qu’il faut tout de même sortir d’un discours trop négatif sur le métier de médecin. C’est un très beau métier, où on peut faire énormément de choses et beaucoup de bien à la population. C’est aussi un métier qui est utile et c’est important d’en rappeler les fondamentaux. C’est à nous de faire en sorte que la spécialité soit attractive et entendre les difficultés qu’elle traverse.

 

A propos de la controversée réforme du premier cycle, certaines facultés se posent la question d’un modèle “tout LAS” et d’abandonner la Pass. Pourquoi ?

Actuellement, il y a 7 facultés de médecine qui ont un modèle “tout LAS“, c’est-à-dire qui ne proposent pas de Pass aux étudiants pour intégrer une filière MMOP ; et d’autres sont désireuses de passer à ce mode de fonctionnement. Il existe néanmoins des LAS “majeur santé” ou “sciences de la santé” qui sont ressemblantes à ce qu’est la Pass. La seule chose différente, c’est que c’est une licence au sens universitaire du terme et que les étudiants qui échouent à intégrer médecine, par exemple, peuvent continuer dans cette voie pendant trois ans, contrairement à la Pass. Pour l’instant, le nombre de facultés “tout LAS” est minoritaire. Il y en a 7 et elles devraient être une dizaine sur les 37 existantes l’an prochain. Le ministère ne nous a pas donné de directives particulières et on se prépare toujours à un système Pass/LAS de manière globale, mais les universités en France sont autonomes et elles peuvent opter pour ce fonctionnement si elles le souhaitent, librement.

 

Vous avez évoqué le sujet des oraux, qui ont provoqué la colère des étudiants, parfois recalés de médecine à cause d’une mauvaise note. A l’heure actuelle, chaque université a son propre fonctionnement… Quels aménagements pourraient être mis en place pour que le système soit plus juste ?

Il y a plusieurs points à régler. D’abord, des facultés font passer tous les étudiants à l’oral et d’autres, seulement ceux qui ne sont pas parmi les grands admis*, c’est-à-dire le “X%”le moins bien classé à l’issue des écrits. Je pense qu’il serait mieux qu’on ait une homogénéisation du poids de l’oral. On sait que certaines facultés se sont retrouvées avec une épreuve qui représentait 70% du poids de la note pour l’admission en deuxième année, personnellement je trouve que c’est trop. Je pense qu’il faut descendre en dessous de 50% et être plus proche des 30%. Par contre, qu’il y ait une redistribution des places dans le classement suite à l’oral, c’est logique. S’il y a un oral, c’est qu’il doit compter, cela existe dans d’autres grandes formations et disciplines.

 

 

Vous l’avez rappelé, les universités sont indépendantes en France. Cela prendrait une forme de préconisation plutôt que d’obligation ?

Oui, absolument. Et je pense que le ministère va dans notre sens. C’est en tout cas ce qu’a laissé entendre Sylvie Retailleau lors des Etats généraux de la Recherche.

 

Les propositions de loi et amendements coercitifs se multiplient à l’Assemblée nationale et au Sénat depuis l’année dernière. Le numerus apertus peut-il encore être élargi ?

Pour le faire, il faut qu’il y ait plus de moyens pour absorber les étudiants. Les facultés ont déjà beaucoup augmenté leurs capacités d’accueil. Sur les trois dernières années, certaines l’ont fait de 80% et désormais, beaucoup sont à saturation de leurs possibilités de stages, d’enseignants, d’amphis ou de salles. On peut encore augmenter le numerus apertus, mais il faut des moyens supplémentaires. Rappelons que nous sommes au chiffre de capacité d’accueil le plus élevé qu’on ait jamais eu car il y a actuellement 10 000 étudiants en deuxième année de médecine. Le plus bas était à 3 500, il y a quelques années. Maintenant, les besoins ont augmenté, on voit que les médecins ne sont pas remplacés, qu’il y a d’autres manières de travailler. Il faut apprendre et organiser la médecine de façon différente. Certains actes faits par les médecins actuellement pourraient être faits par d’autres. Les médecins doivent se concentrer sur le soin, sur certains gestes. Par exemple, des maladies chroniques ne nécessitent pas forcément un rendez-vous quotidien. On peut imaginer un infirmier formé, qui fait des consultations alternées avec le médecin. Il y a en tout cas un modèle économique à réfléchir mais on ne doit plus avoir autant de délais pour avoir des rendez-vous chez les médecins généralistes.

 

Outre la menace coercitive, les médecins généralistes sont à bout, en grève, beaucoup dénoncent leurs conditions de travail et leur rémunération… Craignez-vous que cela démotive de potentiels futurs candidats?

Il faut qu’on arrive à redonner le goût des études de médecine et de la médecine en général aux jeunes. Rappelons que c’est un métier extrêmement vaste, très riche humainement. Je suis médecin depuis 40 ans et quand on soigne quelqu’un, cela apporte beaucoup de satisfaction. Il faut aussi réfléchir à l’évolution des carrières : que ce soit à l’hôpital ou en ville, les professionnels de santé s’épuisent à avoir des patients les uns derrière les autres. Nous devons donc penser à la revalorisation financière et sur le plan des carrières. C’est vrai pour tous les soignants : les infirmiers, les aides-soignantes, les médecins… Le métier souffre qu’on n’ait pas assez travaillé sur la revalorisation des carrières médicales et paramédicales. Ça ne dépend pas que de la Conférence nationale des doyens, mais nous tenons à faire nos propositions.

 

* EDN, Ecos, observateur, note de rang, parcours, station… Retrouvez notre lexique sur la réforme du deuxième cycle des études de médecine en cliquant ici.
** Diplôme d’études spécialisées.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Marion Jort

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