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EGORA – Risques infectieux émergents : à quoi s’attendre ?

Le réchauffement climatique, la fonte du pergélisol, la perturbation de zones naturelles vierges par exemple, favorisent l’émergence de risques infectieux. Les explorations scientifiques posent aussi questions, surtout dans le contexte, encore flou, de l’origine du Sars-CoV-2. Le Pr Jean-Michel Claverie, virologue et spécialiste de génomique, ancien directeur de l’Institut de Microbiologie de la Méditerranée, fait le point sur les risques infectieux émergents auxquels il faut s’attendre à l’avenir.

 

Egora-Le Panorama du médecin : D’après vous, quelles sont les perspectives d’émergence de risques infectieux dans un avenir proche et à plus long terme ?

Pr Jean-Michel Claverie : Cela ne veut pas dire grand-chose car ce qui peut se passer dans 100 ans pourrait très bien arriver demain. Des familles de virus sont déjà établies et d’autres sont encore à découvrir. Par mutation, d’une dizaine de souches peuvent en sortir des milliers. Nous travaillons sur des virus affectant les protozoaires pour lesquels le nombre d’espèces est incommensurable et chaque espèce de protozoaires a des virus propres. Nous pouvons parler d’un nombre astronomique de virus à découvrir.

Concernant le VIH, nous n’arrêtons pas d’en égrainer les variations. Le sida tue près d’un million de personnes par an et en infecte chaque année plus de 1,5 million. Ce qui est plus inquiétant, c’est que même si nous connaissions toutes les familles de virus pathogènes, nous sommes totalement incapables à l’heure actuelle de prévoir la diversité des pathogénies qui pourraient être engendrées.

Concernant le Sars-CoV-2, nous n’avions pas anticipé sa gravité et pourtant ces dix dernières années, nous avions connu des épidémies de Sras. Quant au poxvirus, virus de la variole au départ, il est revenu avec une variante affectant l’homme, ni très contagieuse, ni très grave. Malheureusement, une famille de virus est un catalogue en devenir.

 

Quels facteurs favorisent l’émergence ou la réémergence d’agents pathogènes ?

Un risque, c’est toujours la combinaison d’un danger avéré et d’une exposition.

D’une part, la colonisation humaine sur de nouveaux territoires (déforestations de l’Amazonie, explorations des zones arctiques,…) favorise l’exposition des hommes à des agents pathogènes non connus.

D’autre part, la recherche de virus menaçants dans les zones jamais explorées pour les ramener dans les laboratoires, les étudier et vérifier s’ils ne peuvent pas devenir pathogènes pour l’homme n’est pas non plus dénuée de tout danger.

C’est un débat qui monte au sein de la communauté scientifique des virologues faisant suite à l’incertitude qui entoure encore l’origine du Sars-CoV-2. Un certain nombre de personnes, dont je suis, pensent qu’il n’est pas arrivé par hasard avec une zoonose directement sur un marché, mais qu’il est probablement sorti d’un laboratoire de Wuhan qui dispose de trois instituts leaders mondiaux dans l’étude du Sars-CoV et a pour vocation de collectionner tous ceux de la planète. La coïncidence de son émergence à Wuhan, à mon avis, est absolument trop incroyable. Que penserions-nous de l’origine d’une épidémie de rage dans le 15ème arrondissement de Paris, à proximité de l’Institut Pasteur qui héberge un des rares laboratoires français qui travaille sur ce virus ?

Nous sommes de nombreux scientifiques rationnels à penser que lorsque nous faisons de la virologie environnementale, un risque existe. En effet, des échantillons de sang de chauve-souris sont couramment ramenés. Ils sont mis en culture (dans des souris, ou sur des cultures de cellules humaines) en laboratoire alors qu’on ne sait rien de ce qu’ils contiennent en termes de virus, puisque c’est précisément l’objet de cette recherche. À ce stade, personne ne travaille au niveau P4 ni P3 mais au niveau P2 au maximum. En effet, l’accès à un laboratoire de haute sécurité nécessite l’identification préalable du virus, et de montrer qu’il constitue un grand danger en l’absence de tout traitement. Or, cela n’est pas connu à l’avance. Mais si l’échantillon se révèle contenir un virus capable d’infecter des cellules humaines, des millions de copies sont alors fabriquées. Et à ce moment-là, un technicien ou un chercheur peut s’infecter sans s’en rendre compte, infecter ses proches, et démarrer une pandémie. Des collègues du Groupe de Paris (animé par Virginie Courtier, de l’Institut Jacques Monod, CNRS / Université Paris Cité), ont participé à sortir ce scénario de la censure. Maintenant, beaucoup de scientifiques pensent qu’aller prospecter l’Amazonie, la Chine… est finalement relativement dangereux. Cela force la mise en contact d’humains avec des virus que nous n’aurions jamais rencontrés. C’est pourtant l’objectif de projets très en vogue, notamment aux USA, sous la bannière du concept « one health ».

Le réchauffement climatique représente une autre menace pour nous, pays tempérés. Les menaces du Sud sont bien connues maintenant avec les virus vectoriels (chikungunya, virus du Nil…) remontant du Sud avec les insectes acclimatés désormais au Nord. Côté Nord, l’Arctique se réchauffe trois fois plus vite que les régions tempérées. Le risque émanant du pergélisol s’accélère. Celui-ci contient de nombreux virus et bactéries emprisonnés et probablement pathogènes pour les humains et les animaux. Nous savons qu’ils peuvent être antérieurs à l’apparition de l’espèce homo sapiens ce qui veut dire que notre système immunitaire n’y a jamais été exposé ce qui, en général, est assez catastrophique. Mais à ma connaissance, il n’y a pas encore eu d’accident dans ce sens-là. Pour l’instant, ce risque est théorique.

Les seules épidémies pathogènes avérées ont eu lieu avec les bactéries, l’anthrax. La dernière de 2016 a exterminé des dizaines de milliers de rennes et quelques bergers. L’été, beaucoup plus chaud, avait fait fondre le pergélisol sur une plus grande profondeur jusqu’à une couche datant d’une ancienne épidémie.

L’Arctique devient accessible aux aventures industrielles comme la création de profondes mines à ciel ouvert amenant à creuser le pergélisol pour atteindre le diamant, l’or, les métaux rares… Ce danger d’exposition ne va que s’accroître avec le réchauffement climatique relarguant toujours plus de virus et de bactéries. Les Russes ont d’ailleurs mis au point des centrales nucléaires flottantes capables d’alimenter plus de 100 000 personnes. Nous ne parlons pas de petites colonies ! Si de nouvelles maladies virales se déclenchent, elles peuvent faire des dégâts d’autant plus s’ils n’ont pas de médecin compétent sur place capable de s’en rendre compte.

Je pense que nous allons voir de plus en plus d’agents infectieux arriver de Chine et de toute la région asiatique du fait de leur climat, de l’énorme densité de population, de leurs mégapoles. Et à part dans les grands centres, leur système hospitalo-universitaire n’est pas forcément de très grande qualité. Ce sont des poudrières !

Ces risques sont aussi bien à court terme qu’à long terme.

 

Comment détecter en amont ces risques infectieux ?

L’approche « one health » dont l’objectif est d’aller dans ces zones inexplorées afin de cataloguer tous les virus existant actuellement pour tenter de prédire s’ils peuvent faire un passage d’espèce est critiquable. C’est d’abord un danger d’y aller. Ensuite sur un plan scientifique sérieux, je pense que les capacités de prédiction d’évolution d’un virus en étudiant sa séquence ne sont pas méthologiquement au point. Le Sars-CoV-2 a permis de mettre à l’épreuve toutes les théories d’évolution des virus. Vous voyez à quel point les mutations de quelques nucléotides changent totalement la transmissibilité et la gravité de l’infection. Et cela n’est pas prédictible.

Une autre problématique abordée dans le Groupe de Paris est que ces recherches impliquent des manipulations de virus conduisant à des gains de fonctions qui n’existeraient pas dans la nature et pourraient être cent fois plus mortelles. La frontière éthique est pour l’instant très floue.

Luigi Ferrucci du National Institute of Health – NIH, le plus grand centre de financement américain de la biologie, finance ce type de recherches dans ce domaine dont notamment les gains de fonctions pour les virus respiratoires. Cela a fait l’objet d’une collaboration avec le centre de recherche de Wuhan. Ce qui a alimenté les complotistes.

Un encadrement beaucoup plus sérieux est nécessaire. Chaque année, plusieurs accidents, bien répertoriés, surviennent dans ces laboratoires de sécurité.

Il existe une véritable ambiguïté sur le gain de fonctions. C’est un débat non tranché.

 

D’après vous, quelles sont les perspectives en termes d’arsenal thérapeutique ?

D’un point de vue évolutif, même si les bactéries sont phylogénétiquement extrêmement différentes, elles ont conservé un grand nombre de voies métaboliques communes qui sont autant de cibles aux antibiotiques. Et donc, même si des bactéries non connues ou provenant du passé (pergélisol) émergent, cette acquisition d’un métabolisme commun datant de 3 milliards d’années permettra une sensibilité aux antibiotiques disponibles aujourd’hui.

En revanche chez les virus, aucune fonction, aucun gêne, aucune protéine ne leur sont communs. Et même, dans une catégorie de virus comme ceux à ADN versus ceux à ARN, ou même dans une certaine famille de virus, extrêmement peu de gènes leurs sont communs.

Ainsi, lorsqu’un nouveau virus ou le nouveau variant d’un virus connu arrive, nous ne pouvons absolument pas prévoir à l’avance quels seront les antiviraux et/ou vaccins qui fonctionneront contre ceux-ci y compris par rapport à des virus qui appartiennent à la même famille (comme les coronavirus, notamment).

La (péritonite infectieuse féline (FIP) du chat est due à un coronavirus ressemblant au Sars-CoV-2. Les vétérinaires avaient tenté de créer un vaccin contre cette maladie mortelle. Non seulement il s’est révélé totalement inefficace mais il produisait des anticorps facilitants.

Un autre exemple est l’hydroxychloroquine qui marche très bien in vitro mais semble inefficace in vivo.

Le problème avec les virus est qu’il n’existe pas de loi donc toutes les voies de recherche sont bonnes. C’est pour cette raison que nous nous intéressons surtout aux aspects des épidémies causées par les virus car ils constituent le vrai danger.

Il faut d’une part persévérer dans la mise au point de nouveaux antibiotiques pour les bactéries et promouvoir la recherche d’antiviraux à spectre large sans attendre qu’un nouveau virus n’émerge. Par exemple, je ne sais pas si l’industrie pharmaceutique a lancé une exploration systématique de dérivés de l’hydroxychloroquine dont l’efficacité in vitro pourrait être transposée in vivo, ou si toute tentative dans ce sens a été abandonnée, suite à l’opprobre désormais attachée à ce nom.

 

[Entretien avec le Pr Jean-Michel Claverie, virologue et spécialiste de génomique, Professeur d’université et praticien hospitalier émérite, ancien directeur de l’Institut de Microbiologie de la Méditerranée (CNRS & Université d’Aix-Marseille). Le Pr Jean-Michel Claverie déclare n’avoir aucun lien d’intérêt.]

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Alexandra Verbecq

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