Passer au contenu principal

EGORA – Plaintes pour “viol”, endométriose, HPV : que retenir des journées Infogyn ?

Les 36e journées d’Infogyn se sont tenues à Pau du 6 au 8 octobre. Elles ont été l’occasion de faire le point sur l’actualité médicale et professionnelle dans le domaine de la santé de la femme. Une part importante du congrès a été accordée à l’endométriose dont la prise en charge est en pleine évolution. En outre, actualité oblige, le sujet des plaintes pour viol en gynécologie a aussi été abordé. Enfin, une communication a fait le point sur l’intérêt de dépister et traiter les lésions anales liées à l’HPV.

Au sommaire de ce dossier sur les 36ème journées d’Infogyn :

– Endométriose, où en sommes-nous dans la prise en charge ?
– Plaintes pour viol : une discussion juridique s’impose
– HPV : quand et comment explorer la sphère anale

 

Endométriose : où en sommes-nous dans la prise en charge ?

Recherche, filières de soins régionales, dépistage précoce, diagnostic rapide, amélioration des pratiques… la profession s’organise pour une meilleure prise en charge de l’endométriose.

« Bien qu’une femme sur 10 soit concernée par l’endométriose, le retard au diagnostic reste d’environ sept ans. Lancée en 2022, la stratégie nationale endométriose comporte trois grands axes. Le premier concerne la recherche avec une vraie volonté que la France soit aux avant-postes dans ce domaine au niveau international. Le deuxième vise à diagnostiquer plus rapidement cette maladie et faciliter l’accès aux soins sur l’ensemble du territoire avec une gradation des établissements. Le troisième est l’information de la population et la formation des professionnels de santé », rappelle le Pr Pierre Collinet, chirurgien gynécologue (Hôpital privé Le Bois, Clinique de la Victoire, Ramsay Santé, Lille), Secrétaire général pour la chirurgie du Collège national des gynécologues obstétriciens français (CNGOF), et co-président du congrès Infogyn. Ainsi, « le programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR), doté de 20 millions d’euros sur cinq ans, prévoit la création de la plus grande base de données sur l’endométriose regroupant 6 cohortes nationales », complète le Pr François Golfier (CHU Lyon). Le comité de pilotage chargé de l’élaboration de la structuration de la recherche a déjà reçu un financement de 300 000 €.

Développement des filières de soins

En outre, « d’ici fin 2023, chaque région devrait avoir une filière de soins identifiée. Des régions sont déjà bien avancées, d’autres moins. L’idée est de créer un réseau endométriose avec un secrétariat et un coordinateur de projet qui va réguler l’information, organiser la structuration des soins, mettre en place des réunions de concertation multidisciplinaires », précise le Pr Collinet. Trois niveaux de soins sont définis en fonction de la compétence des établissements professionnels. Le niveau 1 concerne les soins primaires et donc les médecins généralistes, les sages-femmes, les gynécologues, les radiologues. Le niveau 2 regroupe les établissements de gynécologie obstétrique ayant des compétences en imagerie mais également en chirurgie gynécologique pour des interventions liées à l’endométriose considérée comme non complexe. Le niveau 3 serait constitué des centres de référence qui auraient la mission de prendre en charge des endométrioses complexes imposant une collaboration multidisciplinaire (médecin de la reproduction, chirurgien gynécologue, chirurgien digestif, chirurgien urologue).

Pour le Pr Collinet : « Au niveau national et régional, il existe une véritable volonté d’élaborer ces filières, d’avoir un maillage territorial et une relation ville / hôpital plus organisés. La prise en charge ne doit plus être centralisée sur les établissements de chirurgie, ni sur les CHU mais élargie afin de réduire l’errance diagnostique et raccourcir le délai de prise de rendez-vous. D’autre part, le dépistage doit être plus précoce, en particulier lors de la consultation obligatoire adolescence. La reconnaissance en invalidité (un ajout aux 30 ALD existantes) des patientes présentant un dossier d’endométriose en situation de pathologies chroniques a également été proposée ».

Une maladie encore mal connue

La physiopathologie de cette maladie reste encore mystérieuse. « Complexe et hétérogène, elle fait probablement intervenir de nombreux mécanismes : hormonaux certes mais probablement aussi environnementaux. La pollution a peut-être un rôle. La génétique également. Même si la première théorie expliquée est celle du reflux, des facteurs bactériologiques peuvent aussi participer au développement de cette maladie », poursuit le Pr Collinet. Pour le Dr Chadi Yazbeck (Institut médical Reprogynes, Paris) : « Il est probable que le microbiote, dans un état de dysbiose, puisse contribuer à l’activation immunitaire qui renforce et prolonge l’inflammation péritonéale et éventuellement la progression de l’endométriose ».

De nouveaux atouts pour le diagnostic

Le premier élément du diagnostic est un interrogatoire précis et objectif identifiant les 5D : dysménorrhées, dyspareunies, dyschésie, dysurie, douleurs pelviennes chroniques. Des applications numériques dotées d’intelligence artificielle permettent, à l’aide d’un questionnaire, de calculer un score de risque d’endométriose. En France, à ce jour, aucun test de diagnostic (urinaire, biologique ou salivaire) n’est encore disponible en pratique courante. Mais à moyen terme, sa perspective par voie salivaire ou sanguine se précise. Actuellement évalués, ces tests prometteurs seront vraisemblablement accessibles sur prescription.

Lorsque l’interrogatoire suspecte une endométriose, l’examen clinique permet de préciser le diagnostic. Ensuite, l’échographie est l’examen de première intention. « Le principal réflexe est de réaliser un test thérapeutique consistant à donner une pilule en continu bloquant les règles pendant trois mois. Si les douleurs de la patiente sont soulagées, cela signe à l’évidence la maladie », précise le Pr Collinet. Si une endométriose plus complexe est suspectée, l’IRM est l’examen de deuxième intention. Une fois que le diagnostic principal est posé, des traitements hormonaux, pour la plupart contraceptifs, soulagent les symptômes. À ce jour, il n’existe pas de traitement curatif. « Le deuxième volet concerne la prise en charge des patientes ayant une symptomatologie douloureuse importante non soulagée par les traitements. Dans certaines situations, la question de la chirurgie se pose alors avec des indications précises. Une endométriose peut aussi impacter la fertilité. Des interventions pour retirer les foyers d’endométriose et respectant l’appareil génital en particulier les trompes peuvent être envisagées », conclut le Pr Collinet.

[Avec 36èmes journées d’Infogyn (Pau, 6 au 8 octobre). D’après un entretien et une conférence avec le Pr Pierre Collinet, (Hôpital privé Le Bois, Clinique de la Victoire, Ramsay Santé, Lille), et des communications du Pr François Golfier (CHU Lyon), et du Dr Chadi Yazbeck (Institut médical Reprogynes, Paris).]

 

Plaintes pour viol : une discussion juridique s’impose

Les récentes plaintes pour viol à l’encontre de gynécologues, dans l’exercice de leurs fonctions, ont ému la communauté médicale. L’acte médical de pénétration vaginale et rectale non consenti doit interroger la qualification juridique du viol.

« Lorsque que le mot viol est utilisé, une intentionnalité sexuelle est sous-entendue mais en aucun cas il ne peut être employé pour un geste réalisé dans le cadre de la médecine et pour le soin. J’exclus bien sûr de mon propos, les pervers autant présents dans la population générale que chez les gynécologues… Et ces exceptions, se servant des patients pour leur plaisir personnel, doivent aller en prison pour abus de position dominante », déclare le Pr Israël Nisand, gynécologue, chef du service maternité (Hôpital américain de Paris).

Concernant le phénomène du franchissement de la ligne rouge dans le domaine de la santé, une étude scandinave* réalisée auprès de 7 200 femmes avait estimé la prévalence de la « maltraitance vécue » dans 6 pays européens. Près de 21 % des femmes décrivaient avoir subi « un abus dans les soins », celui-ci était qualifié de « sévère » dans 0,3 à 2,6 % des cas (soit un usage de la position de subordination pour satisfaire le compte du soignant, assorti de violences physiques et/ou psychologiques). Une étude américaine** réalisée sous le prisme juridique avait également révélé que 1 039 médecins avaient été condamnés aux Etats-Unis pour inconduite sexuelle, soit 9,5 / 10 000 médecins au premier rang desquels les psychiatres, puis les gynécologues suivis par les médecins généralistes. Proportion à peu près équivalente à celle en population générale, a détaillé la Dre Amina Yamgnane, gynécologue (Hôpital américain, Paris).

« En dehors de cela”, poursuit le Pr Nisand, un examen, fut-il brutal, fut-il douloureux pour une femme ou pour un homme d’ailleurs, parce qu’il en va de même pour les examens en gastro-entérologie, ne peut pas être qualifié de viol ou alors c’est mépriser les femmes ayant vraiment été violées. Toute la profession, gynécologues, gastroentérologues, radiologues, généralistes, faisant une médecine de l’intimité, est inquiète de l’utilisation dévoyée du terme de viol pour des actes médicaux n’ayant pas d’intentionnalité sexuelle. Nous l’avons vu avec la ministre Mme Chrysoula Zacharopoulo, femme gynécologue, qui a reçu deux plaintes pour viol quelques jours après avoir été nommée ministre ».

Un délit et non un crime ?

Juridiquement, le viol est un crime. La profession estime ainsi la nécessité de rechercher une autre incrimination, comme par exemple celle de « violence médicale » qui soit plutôt qualifiée de délit. “Cette autre incrimination permettrait aux femmes de porter plainte si elles l’estiment nécessaire et d’obtenir réparation du préjudice sans pour autant porter plainte pour viol, ce qui se juge à la cour d’assises. Nous voyons déjà des médecins s’arrêtant de faire des examens gynécologiques et se contentant désormais de regarder les radios, les IRM pour ne pas avoir d’ennuis. Or cela dégrade la médecine », regrette le spécialiste.

Demande de consentement nécessaire et renouvelé

Le recueil du consentement avant examen des patientes est un préalable. Pour le Pr Nisand : « Céder n’est pas consentir. Une femme peut accepter d’être examinée à contrecœur. Il s’agit donc de demander à chaque patiente si elle souhaite être examinée ou non. Et même une fois installée, le lui redemander. Un consentement permanent doit être formulé par la patiente. Il ne faut pas oublier qu’un consentement peut être provisoire. Si une femme retire son consentement en disant “stop”, il faut interrompre l’action immédiatement même s’il s’agit de la mise en place d’un stérilet. C’est extrêmement important. Les médecins souvent continuent et terminent ce qu’ils ont commencé. De leur côté, les patient(e)s doivent savoir exprimer leur volonté au moment nécessaire ».

En 2021, une charte de la consultation en gynécologie ou en obstétrique avait déjà été élaborée par le Collège national des gynécologues obstétriciens de France (CNGOF) pour rappeler les droits des patientes et sensibiliser les praticiens.

La prochaine étape, à mon avis, est une discussion avec les juristes et les magistrats pour officialiser une nouvelle incrimination afin qu’il n’y ait plus de chef d’accusation incorrect. Les magistrats peuvent reconnaître un problème de consentement sans intentionnalité sexuelle. Et lorsqu’il n’y a pas d’intentionnalité sexuelle, les plaintes pour viol devraient être refusées. Un acte médical ne peut pas être qualifié de viol, sauf si la patiente arrive à montrer une intentionnalité sexuelle”, conclut le gynécologue.

* Lukasse M. et al. Acta Obstet Gynécol Scand. 2015 May;94(5):508-17.
** Abudagga A. et al. PLoS One. 2016 Feb 3;11(2):e0147800.

[Avec 36èmes journées d’Infogyn (Pau, 6 au 8 octobre). D’après un entretien et et une conférence avec le Pr Israël Nisand (Paris), et les communications de la Dre Amina Yamgnane (Paris), la Pre Brigitte Letombe (Paris), Sophie Paricard (juriste à Toulouse), et du Pr Patrick Madelénat (Paris).]

 

HPV : quand et comment explorer la sphère anale

Explorer la sphère anale dans un contexte de lésions gynécologiques à papillomavirus permet de dépister un éventuel cancer de l’anus à un stade précoce et curable, mais aussi des lésions précancéreuses ou encore des condylomes acuminés anaux à un stade précoce.

« Un cancer anal de grade 1 dépisté à un stade précoce guérit dans plus de 95 % des cas versus moins de 50 % pour les grades 4. D’autre part, pour un cancer < 2 cm, une exérèse chirurgicale suffit. Il n’est pas nécessaire de mettre en place un traitement par radio-chimiothérapie dont les séquelles sont compliquées à gérer », introduit la Dre Anne Laurain, hépato-gastro-entérologue (Hôpital Bichat).

Dans un contexte de lésions gynécologiques à papillomavirus (HPV), le risque de cancer de l’anus reste rare. Il est de 2,5 / 100 000 / an dans la population générale, de 4 à 8 / 100 000 / an chez les patientes avec antécédents de CIN2-3 et de 9 / 100 000 / an chez celles avec antécédents de cancer du col. Mais il augmente en cas d’antécédent de cancer vulvaire à 48 / 100 000 / an.

« Une méta-analyse intéressante (Gary M. Clifford et al., Int. J. Cancer 2021) indique le risque de cancer de l’anus en fonction de différentes populations à risque, stratifiées sur l’âge. Les femmes les plus à risque sont d’abord celles transplantées d’organes depuis plus de dix ans et celles avec des antécédents de cancer de la vulve ou des lésions précancéreuses. Ensuite viennent les femmes > 45 ans vivant avec le VIH puis celles avec des antécédents CIN2-3 qui ont un sur-risque après 60 ans », précise la médecin.

Tous deux liés à l’activité oncogène du HPV, le cancer de l’anus est plus rare que le cancer du col de l’utérus. Il concerne plus de 1 100 nouveaux cas par an en France chez les femmes versus 3 000 pour le cancer du col. Mais son incidence est en constante augmentation (x4) depuis 30 ans, alors que celle du cancer du col est en baisse grâce au dépistage. Son pic d’incidence est plus tardif (autour de 60 ans) versus 40 ans pour le col. L’évolution des dysplasies de haut grade vers le cancer de l’anus est plus rare. Une étude (L. Abramowitz, PLoS One 2018) montre qu’une lésion de haut grade sur 4 000 par an évolue vers le cancer chez les patients (hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes non VIH). C’était plus fréquent (1 / 600) pour les hommes VIH+. En revanche, une lésion de haut grade sur 80 par an évolue vers le cancer du col.

Traiter les dysplasies de haut grade

Une récente étude (J.M. Palefsky, New England Journal of Medicine, 2022) a montré pour la première fois que traiter les dysplasies de haut grade de l’anus permettait de diminuer l’incidence du cancer anal. Une cohorte d’hommes VIH+ avec des lésions de haut grade de l’anus avaient des anuscopies haute résolution (AHR) tous les six mois répartis en deux bras (traitement et surveillance). Dans le bras traitement, le risque de cancer a diminué de 57 %. « Nous pouvons toutefois remarquer qu’il aura fallu faire 11158 AHR pour éviter douze cancers », indique la gastroentérologue.

Les stratégies de dépistages

Trois stratégies sont envisageables pour dépister un cancer de l’anus. La première est l’examen de la marge anale et le toucher anal réalisés par les médecins. Extrêmement sensible, le toucher anal peut identifier des lésions < 3 mm mais il ne permet pas de rechercher les lésions de haut grade.

Ensuite l’examen proctologique avec anuscopie standard est réalisé par le gastroentérologue. Il permet de détecter les lésions macroscopiques de haut grade mais pas celles microscopiques.

Et enfin le frottis puis l’AHR permettent de voir des lésions de haut grade, même microscopiques. En revanche, moins de quinze proctologues en France font de l’AHR. « Le risque de cette stratégie est celui d’un surtraitement car les lésions de haut grade microscopiques de l’anus régressent spontanément dans plus de 25% des cas. Aujourd’hui, il n’existe pas de consensus concernant les lésions de dysplasie de haut grade. Nous attendons les résultats des grandes cohortes et la rédaction des RPC de la société de proctologie », complète la Dre Laurain qui conclut « dans la pratique quotidienne, il est important de questionner les patientes pour savoir si elles ont des symptômes, une gêne au niveau de l’anus (saignements, douleurs, tuméfaction, prurit anal). Il ne faut pas se laisser influencer par une réponse de type : ‘Tout va bien, j’ai juste des hémorroïdes de temps en temps’. L’objectif est de détecter les petits cancers T1, de traiter les autres pathologies anales et d’adresser ces patientes vers le proctologue et bien sûr de transmettre les messages de prévention (vaccination et arrêt du tabac). »

[Avec 36èmes journées d’Infogyn (Pau, 6 au 8 octobre). D’après une communication de la Dre Anne Laurain (Hôpital Bichat, Paris)]

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Alexandra Verbecq

Sur les mêmes thèmes :
Suivi gynécologique : quelle est cette norme qui pousse les femmes à (trop) consulter ?
Endométriose : un test diagnostique basé sur des micro-ARN
Endométriose : la stratégie nationale sur les rails
La place de l’urologue dans la prise en charge de l’endométriose
Violences gynécologiques : ”Il est possible qu’on évolue vers un consentement écrit” avant tout examen, estime le président de l’Ordre des médecins
“Quand on pénètre un vagin sans consentement, même pour soigner, c’est un viol” : un débat qui “va trop loin” pour les gynécologues
Violences gynécologiques : le collège des gynécos alerte sur l’usage du mot “viol”
Vaccination contre les infections à HPV : encore beaucoup de réticences
HPV : l’Académie veut booster la vaccination
Cancers ORL HPV induits : chassez les stéréotypes !