Alors que professionnels de santé et élus craignaient un été noir dans les hôpitaux, la mobilisation des soignants, des libéraux en particulier, a permis d’éviter une crise majeure de l’accès aux soins. Saluant l’organisation exceptionnelle des praticiens sur le terrain, le Dr Luc Duquesnel, président Les Généralistes-CSMF, prévient toutefois que cette crise n’est pas « qu’une crise estivale ». Il appelle à tirer les leçons de ce qui a fonctionné et ce qui a manqué aux médecins, généralistes notamment, pour prendre en charge les soins non programmés.

 

François Braun considère que « les choses se passent moins mal que ce que l’on pouvait craindre » dans les services d’urgence depuis le début de l’été. Partagez-vous son constat ?

Beaucoup de services d’urgence ont fermé ces dernières semaines. Pourtant, en effet, la crise de l’accès aux soins qu’on annonçait n’a pas eu lieu. Lorsque l’on a rencontré le ministre, il nous a dit que c’était grâce à la mobilisation des médecins libéraux et tout particulièrement des médecins généralistes. Beaucoup de professionnels de santé libéraux, ceux où il n’y a pas de service d’accès aux soins (SAS), soit la majorité des départements en France, ont dû mettre en place en urgence des organisations territoriales spécifiques. Ils ont utilisé pour cela des outils que le ministre avait présentés lors de sa mission flash. Il y a eu, par exemple, des listes de médecins généralistes dans les départements à destination du 15 avec des praticiens disponibles pour prendre en charge des soins non programmés.

 

Vous appeliez les Français à faire preuve de bon sens au début de l’été. Le message est-il passé ?

Oui, le message d’appeler le médecin traitant, le 116-117 ou le 15 est bien passé. En revanche, on a observé des flux d’appels très importants dans les centres 15. Mais la population a joué son rôle, tout comme les médecins.

 

Comment les médecins ont-ils travaillé pour affronter cette crise sur le terrain ?

On a vu des dynamiques se créer, comme c’était le cas pendant la crise sanitaire, avec des réunions hebdomadaires qui associaient des médecins représentant les services d’urgence, le centre 15, des représentants des médecins libéraux, les ARS. Ces réunions continuent à se tenir, car cette crise n’est pas qu’une crise estivale. Dans mon département par exemple, en Mayenne, le service d’urgence de l’établissement pilote du groupement hospitalier de territoire (GHT) va être fermé neuf nuits rien que sur le mois de septembre, et cela dure depuis plus d’un an.

 

Faut-il pérenniser certaines mesures de la mission flash ?

Oui, mais on doit travailler à ce qu’il y ait un SAS qui fonctionne dans chaque département. On a vu qu’il y avait moins de problèmes dans les départements qui en ont un, avec des médecins généralistes disponibles pour prendre en charge les soins non programmés. Toutefois, ce qui a été incitatif, même s’il n’a pas toujours été facile de le coter, c’est la majoration de 15 euros qui prend en compte l’effort fait par les médecins d’accepter des patients supplémentaires.

 

À l’inverse, y a-t-il des mesures dans la « boîte à outils » du ministre qui n’ont pas fonctionné ?

Oui, nous n’avons pas pu mobiliser les médecins retraités. Dans les départements où il y a une très faible démographie médicale, la seule mine d’or qui existe, c’est celle des médecins retraités. Bon nombre d’entre eux sont prêts à continuer à travailler ou à retravailler. Les recommandations de la mission flash datant de juillet, le délai était trop court pour mobiliser ces médecins dont l’été était déjà programmé. Pour les mois et années qui viennent, il faut tout faire pour favoriser le cumul emploi-retraite en libéral. Ce qui n’a pas marché non plus, c’est la mobilisation des transports pour acheminer les patients des soins non programmés vers les cabinets médicaux. Aujourd’hui, dans les territoires ruraux à faible démographie médicale, la problématique de l’accès aux soins n’est pas que celle du nombre de médecins mais c’est aussi celle de se rendre chez le médecin. Il s’agit là d’un problème d’aménagement du territoire, et il est aberrant de passer autant de temps médical à piloter sa voiture pour faire des visites à domicile parce que le patient n’a pas de moyen de transport. Enfin, on a aussi vu la difficulté des centres 15, par manque d’assistants de régulation médicale, à vraiment faire le lien entre les demandes de soins non programmés et les médecins qui avaient accepté d’en recevoir. Beaucoup de généralistes n’ont ainsi pas pu coter la majoration de 15 euros alors qu’ils ont pris en charge ces patients.

 

L’idée de la régulation des soins non programmés fait son chemin. Le ministre a estimé qu’il était inacceptable qu’on ne puisse pas avoir accès à un médecin le soir et le week-end. Des solutions « urgentes » pourraient être prises, a-t-il prévenu…

Globalement, je partage son avis, tout en relativisant ce qu’il dit. En 2021, si on regarde l’atlas du Conseil national de l’Ordre des médecins sur la permanence des soins, 95 % des territoires étaient couverts en soirée et 96 % le week-end. Donc, il existe 4 à 5 % du territoire national où il n’y a pas de couverture. Il faut essayer de comprendre pourquoi, alors que sur la grande majorité du territoire national, on a une permanence des soins ambulatoires qui fonctionne chez les généralistes. Il faut réfléchir à ce que l’on peut mettre en place, mais je préfèrerais que notre ministre commence par voir la bouteille à 95 % pleine et dire aux généralistes « bravo » pour assurer les gardes le soir et les jours fériés en plus du travail de la journée.

 

Y a-t-il des points sur lesquels vous serez particulièrement vigilant ?

Il faut savoir ce qu’on entend par « le soir », est-ce que c’est le soir ou la nuit profonde ? Il ne va pas non plus falloir oublier qu’un médecin généraliste, quand il est de garde du lundi au mardi, il a travaillé le lundi toute la journée et va travailler le mardi toute la journée. Il n’aura pas de repos compensateur. Les mesures dont parle François Braun peuvent exister, mais elles ne doivent concerner que le petit pourcentage de territoires où ces missions-là ne sont pas remplies et répondre à de réels besoins. Enfin, dans les départements avec la plus faible démographie médicale, la problématique de l’accès aux soins, ce n’est pas le soir ou le week-end, car la permanence des soins (PDSA) fonctionne. C’est du lundi au vendredi, de 8 h à 20 h, et le samedi matin qui devrait être inclus dans la PDSA du week-end.