Marche arrière toute. Quelques semaines après avoir engagé un mouvement de fermeture des centres de vaccination, diminuant au passage la rémunération des professionnels, le gouvernement appelle désormais à les rouvrir afin d’administrer au plus vite les doses de rappel à l’ensemble de la population adulte face à la cinquième vague de Covid. Épuisés par un an de revirements, les soignants libéraux sont malgré tout au rendez-vous. Tensions d’approvisionnement, vaccination des enfants… Le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, fait le point sur les défis qui les attendent.

 

Il y a quelques semaines, vous mettiez en garde les autorités contre la fermeture des centres de vaccination, soulignant qu’il sera difficile de les « réarmer » en cas de généralisation de la dose de rappel. Qu’en est-il ?

Dr Luc Duquesnel. Dans les territoires où l’on n’a pas fermé les centres de vaccination, on se félicite d’avoir convaincu le préfet et l’ARS de ne pas le faire ! Même si les dernières annonces de Jean Castex ont provoqué une grosse désorganisation…

Mais, dans les territoires où les centres qui étaient tenus par les libéraux ont fermé, les professionnels se refusent fréquemment à les rouvrir. Cela mobilise tellement d’énergie que, quand on arrête, ce n’est pas pour recommencer… Ce sont de véritables petites entreprises à gérer en plus de l’activité des professionnels de santé dans leurs cabinets.

 

Les dernières annonces vous ont mis en difficulté ?

Dire aux plus de 65 ans qu’ils peuvent aller en centre se vacciner sans rendez-vous, c’est marcher sur la tête ! Les gens se sont précipités alors que les distributions de doses Pfizer sont contingentées. Les quelques centaines de doses disponibles chaque jour dans les centres ont été commandées en prévision de rendez-vous qui ont été spécifiquement pris sur Doctolib pour du Pfizer… Certains centres proposent donc du Moderna aux gens qui viennent sans rendez-vous. Et là, c’est le tollé ! Les professionnels sont insultés, accusés de discrimination, et de nombreuses personnes repartent en refusant la vaccination…

Par ailleurs, le rapport de l’EMA [Agence européenne du médicament, NDLR] tombé le 7 décembre, valide la vaccination hétérologue Janssen ou AstraZeneca et vaccin à ARNm, mais souligne le manque de données sur le switch entre deux vaccins à ARNm différents.

Mis en difficulté, certains centres préfèrent donc ne pas vacciner les gens sans rendez-vous faute de vaccins Pfizer. C’est une façon de faire porter la responsabilité à l’État. Sachant que l’on nous dit de ne pas ouvrir de vacations avec du Pfizer en janvier et février car on ne sait pas quand aura lieu l’approvisionnement national de Pfizer, alors qu’il y a un stock important de Moderna…

Voilà la situation dans les centres, où les professionnels sont épuisés, agressés verbalement. Insultes, coup de pied dans la porte… on n’est pas là pour ça !

 

Comment abordez-vous la possible ouverture de la vaccination aux enfants de moins de 11 ans ?

Vacciner les enfants, ce n’est pas la même organisation que pour les adultes, tant sur le plan de la logistique que sur les ressources humaines nécessaires, car il faudra théoriquement aussi réaliser des tests rapides d’orientation diagnostique (Trod) au préalable. C’est donc une inquiétude car ce serait dans quelques jours…

 

Cela fait près d’un an que la campagne de vaccination a été lancée. Quel bilan dressez-vous ?

En début d’année, nous avons eu une montée en charge délicate car les doses n’arrivaient pas. Puis une routine s’est mise en place. Cet été et cet automne, nous pouvions vacciner tous les volontaires car nous n’avions pas de problèmes d’approvisionnement… Et, aujourd’hui, nous subissons à nouveau des tensions d’approvisionnement alors que les gens se précipitent de peur de voir leur pass sanitaire invalidé*. On a le sentiment que le gouvernement ne se préoccupe pas de l’impact de ces annonces sur les professionnels dans les centres… Des professionnels libéraux qui, je le rappelle, sont aussi sur le front dans leur cabinet, font des gardes et s’apprêtent, pour certains, à prendre en charge la patientèle de leurs confrères non remplacés à Noël ! On a vraiment le sentiment d’une absence de considération à ce niveau-là…

Le fait marquant depuis deux ans que nous traversons cette crise sanitaire, c’est la capacité des médecins généralistes, avec les autres professionnels de santé, à faire preuve d’une grande agilité pour mettre en place très rapidement des organisations territoriales performantes au plus près de la population : les centres Covid en 2020 et les centres de vaccination en 2021.

 

Cet été, alors que les médecins remplaçants étaient investis dans la campagne de vaccination, un grand nombre de médecins installés ont dû fermer leur cabinet. Qu’en sera-t-il pour cette fin d’année ?

Les vaccinodromes qui rouvrent vont recruter parmi les médecins retraités, parmi les remplaçants… On va vivre la même chose que cet été. Mais, à la différence de l’hiver dernier, on a de la pathologie virale… On tend le dos pour que la grippe n’arrive pas à Noël…

 

Est-il question de revenir sur la baisse de la rémunération des professionnels en centre de vaccination ?

C’est assez risible : cette baisse de la rémunération visait explicitement à inciter les professionnels libéraux à vacciner dans leur cabinet plutôt qu’en centres. Et quelques semaines après, on les invite à y retourner !

Sur la rémunération de la vacation, il y a eu de rares abus que nous avons désapprouvés. On ne va pas revenir dessus mais nous avons blâmé la décision inique du ministre de la Santé de sanctionner l’ensemble des professionnels de santé en diminuant leurs rémunérations.

En revanche, ce qui nous gêne, surtout, c’est le plafonnement quotidien et mensuel des forfaits de déclaration des vaccins. C’est assez choquant pour des professionnels qui s’arrangent pour se libérer pour vacciner en centres de vaccination. Et ce alors qu’on manque de ressources humaines !

Ordres, contre-ordres… ça fait un an qu’on subit ces mesures contradictoires. On manque de cohérence.

 

Comment se passe la vaccination en cabinet ?

Les médecins qui vaccinaient au cabinet continuent de vacciner au cabinet et les médecins qui vaccinaient en centre continuent de vacciner en centre… Il est vrai que l’on y est beaucoup plus performant. Sur une matinée, un médecin en centre peut assurer au moins 200 vaccins. Au cabinet, on perd du temps avec l’administratif. Sans parler de la gestion entre Pfizer (dose complète) et Moderna (demi-dose) et des livraisons qui ne sont pas forcément conformes aux commandes et aux rendez-vous. La détermination de ces médecins a été mise à rude épreuve…

Pour autant, il faut saluer l’organisation en cabinet de certains médecins qui, à deux dans une maison médicale, arrivent à vacciner 200 personnes par jour avec l’aide de deux assistantes médicales.

Malgré toutes ces injonctions contradictoires, on a récemment battu le record quotidien du nombre d’injections. Cela veut dire que, quelles que soient les organisations mises en place, les professionnels répondent présents et c’est quand même à mettre à leur crédit sachant ce que l’on a vécu avec la campagne de vaccination H1-N1.

 

* À compter du 15 décembre pour les plus de 65 ans et du 15 janvier pour les plus de 18 ans.