Alors que de nombreux praticiens ont dû fermer leur cabinet, faute de patientèle, la téléconsultation s’est imposée, en un temps record, comme une solution de secours pour maintenir une activité en pleine épidémie de Covid-19. Sur la semaine du 30 mars au 5 avril, près d’un million de téléconsultations ont ainsi été facturées à l’Assurance maladie. Alors prise en main difficile ou véritable découverte ? Plusieurs médecins ont expliqué à Egora leurs nouvelles conditions d’exercice.

 

C’est un véritable boom. Une renaissance, presque. Alors que la pratique peinait, depuis septembre 2018, à se développer, l’épidémie de Covid-19 et, en particulier, les mesures de confinement mises en place dans le pays ont ouvert grand les portes à l’usage de la téléconsultation. Face aux patients désertant les cabinets au grand dam des médecins, ces derniers n’ont, pour bon nombre, pas eu d’autre choix que de s’y mettre pour maintenir une activité.

Plusieurs mesures de facilitation ont progressivement été mises en place. Le ministre de la Santé a, dans un premier temps, décidé de lever l’obligation de passer par son médecin traitant et d’avoir eu une consultation présentielle les 12 mois précédant la téléconsultation. Et depuis le 18 mars, l’Assurance maladie prend en charge à 100% l’ensemble de ces actes, jusqu’au 30 avril prochain. En parallèle, plusieurs grandes plateformes, comme Doctolib, ont proposé leurs services gratuitement aux praticiens.

Résultat : le nombre d’actes a explosé en quelques jours. Sur la semaine du 23 au 29 mars, l’Assurance maladie a facturé 486.369 téléconsultations. La semaine suivante, près d’un million d’actes l’ont été (935.746). D’après la Cnam, les médecins libéraux sont 38.240, soit environ 40%, à avoir facturé au moins une téléconsultation la même période.

 

 

“La donne a changé”

“Certains médecins font des journées entières de téléconsultations et voient jusqu’à 40 patients par jour quand ils sont bien organisés”, constate le Dr Jean Tafazzoli, fondateur de MaQuestionMédicale, une plateforme entièrement financée par la communauté médicale lancée en mai 2019. Plus de 2.300 médecins utilisent désormais quotidiennement l’outil, contre 250 en novembre. Et rien que sur le mois de mars, 2 millions de visiteurs ont été comptabilisés. “Avant l’épidémie, 10.000 téléconsultations avaient été réalisées sur le site, aujourd’hui, on est à plusieurs milliers d’actes par jour. On entre dans une autre cour de récrée”, se réjouit le fondateur, également médecin généraliste à La Tour-de-Salvagny (Auvergne-Rhône-Alpes). Sans abonnement la plateforme, qui fonctionne en prélevant un pourcentage de 3% sur le prix des consultations, a décidé de ne pas “se rémunérer pendant la période de l’épidémie sur les tiers payants Sécurité sociale”.

A des centaines de kilomètres de-là, le Dr Jonathan Favre, généraliste à Villeneuve d’Ascq (Nord), a commencé à utiliser la télémédecine en septembre dernier en proposant une plage dédiée. Maître de stage, il souhaitait pouvoir continuer à suivre certains patients lorsque son interne s’occupait du cabinet, mais aussi organiser des consultations à orientation psychiatrique. “Je prenais en charge des personnes anorexiques, par exemple, qui étaient plus à l’aise chez elles”, explique-t-il.

Hormis ces quelques exceptions, sa patientèle n’était pas véritablement “proactive” avant l’épidémie. La demande a explosé à l’annonce du confinement. “La première semaine de confinement, comme on était encore peu à proposer de la téléconsultation, j’ai eu des patients qui n’étaient pas habitués du cabinet voire pas de la région : de Bordeaux, de Nantes, de région parisienne”, raconte-t-il. Ces actes représentent aujourd’hui les deux-tiers, voire les trois-quarts de ses consultations.

 

 

Pour le Nordiste, cet outil est indubitablement devenu un réel moyen de “filtrer pour savoir qui on doit faire venir au cabinet afin d’éviter de prendre des risques de dissémination du virus”. Un avis partagé par le Dr Thibault Puszkarek qui exerce depuis peu à Locronan (Finistère), un petit village de 800 habitants. Si le jeune praticien ne voyait pas l’intérêt de cet outil pour prendre en charge sa patientèle très âgée, “la donne a changé”. Pour protéger ses patients, il a allongé la durée des consultations en présentiel pour éviter que deux personnes se croisent et privilégie les téléconsultations quand cela est possible. “Les consultations en présentiel sont devenues l’exception”, constate le praticien

 

Consumérisme

Continuité des soins oblige, nombre de professionnels de santé ont aujourd’hui changé d’avis sur cette pratique, longtemps délaissée. “Clairement ça va changer la donne, ne serait-ce que parce que les médecins ont dû faire la démarche d’apprendre l’outil, assure Jonathan Favre. J’ai l’impression qu’il y a des confrères qui commencent à entrevoir des possibilités de continuer à utiliser la télémédecine après pour certains motifs de consultation.” “Le Covid, c’est malheureux à dire, va faire un grand bien au monde de la santé numérique”, assure, persuadé, Jean Tafazzoli de MaQuestionMédicale.

Le Dr Alexandre Malmartel, généraliste à Morsang-sur-Orge (Essonne) et chef de clinique à Paris V, faisait partie des praticiens réticents à l’égard de la télémédecine. “Avant, on avait très peu de données sur la télémédecine, c’était essentiellement des données américaines, explique le praticien. Elles montraient que les médecins ruraux étaient beaucoup plus équipés pour faire de la télémédecine que les médecins urbains, et pourtant que toutes les demandes étaient en majorité urbaines. On constatait un certain consumérisme, une certaine ubérisation de la médecine.”

Depuis le début de l’épidémie, il n’a pas souhaité fermer son cabinet, partagé avec trois confrères, mais a toutefois fait la démarche de s’inscrire sur MaQuestionMédicale “parce que la plateforme est gérée par des médecins”. “Le ressenti qu’on a avec mes confrères, c’est que c’est très fatiguant. On voit moins de patients, mais les journées sont vécues comme épuisantes. On n’est pas à l’aise pour examiner un patient comme ça, déplore le généraliste. Ce qu’on pourrait obtenir avec un examen clinique en voyant le patient, là il faut qu’on lui demande, qu’on lui explique ce qu’il faut faire. Mais il ne comprend pas forcément du premier coup. Et puis les caméras, c’est bien, mais ça saute. Donc tenir une minute pour bien voir les mouvements respiratoires, ce n’est pas ça…”

 

 

“On perd une partie du non-verbal”

Au vu du boom très rapide de la télémédecine, plusieurs praticiens ont également pointé du doigt des problèmes techniques, comme des serveurs saturés. MaQuestionMédicale, qui a observé des pics de plus de de 3.000 consultations par heure, a de fait accélérer son calendrier des évolutions du site pour permettre aux médecins de s’approprier l’outil. “On essaie d’avoir la plus grande robustesse informatique, mais c’est clair qu’on n’avait pas prévu cette vague. Certains voudraient que ça aille plus vite que la musique, mais la technologie d’aujourd’hui est là où elle est”, répond le fondateur, Jean Tafazzoli, précisant que la plateforme avait reçu la note de 10/10 pour sécurité et fonctionnalités de la part du ministère.

Au-delà de cet aspect, le contact avec le patient a, lui aussi, été bouleversé par ces nouvelles pratiques. “On perd une partie du non-verbal. On ne voit pas les bras, les jambes, on perd beaucoup de renseignements”, regrette pour sa part le Dr Thibault Puszkarek, un peu perdu. “J’ai l’impression de faire moins bien mon travail que d’habitude.” “Même pour les patients chroniques, on va un peu à l’essentiel. On fait le suivi des médicaments principaux, on regarde les prises de sang, mais on sait qu’ils ne pourront pas faire d’examen d’imagerie, pas voir de spécialistes car ils ont fermé leurs cabinets. Finalement, on est dans une médecine très basique”, constate Jonathan Favre.

 

 

Basique ou pas, la télémédecine est aujourd’hui plus qu’indispensable pour assurer la prise en charge des malades. “Beaucoup de patients ont peur de déranger. Or les pathologies qu’on voyait tous les jours avant existent toujours, alerte le Dr Thibault Puszkarek. Ce que l’on craint, c’est la dégradation de la santé de ces patients.”

 

“On est un peu entre le marteau et l’enclume”, témoigne un kiné

Jean-François Coquillard, 36 ans, exerce depuis 12 ans à Saint-Mars-La-Jaille en tant que masseur-kinésitherapeute du sport. Appelé par son Ordre à fermer son cabinet, le praticien s’est retrouvé du jour au lendemain avec une activité quasiment nulle, à l’exception des rares visites à domicile pour des urgences. Alors pour suivre l’évolution de quelques patients, il a testé pour la première fois les séances en téléconsultations. “En tant que kiné, je vois des gens depuis des semaines voire des mois une, deux à trois fois par semaine. Il était nécessaire de maintenir le lien social au-delà même de l’aspect douleur”, explique Jean-François Coquillard.
Si, pour l’heure, le professionnel n’effectue que quelques actes par semaine, il espère pouvoir en faire davantage, une fois qu’un cadre légal sera défini. En effet, jusqu’ici, le praticien n’avait pas la possibilité de facturer les séances. “On est un peu entre le marteau et l’enclume, constate-t-il. On se demande si on peut proposer cette alternative à nos patients alors que rien ne nous l’autorise.” Toutefois, lundi 6 avril, Olivier Véran a confirmé que les kinésithérapeutes pourraient bientôt pratiquer le télésoin dans le cadre de la crise sanitaire. Un arrêté devrait, en ce sens, être publié prochainement. “Il permettra aux professionnels d’exercer sereinement”, estime Sébastien Guérard, président de la FFMKR. Pour Pascale Matthieu, “c’est une véritable victoire pour les patients”. “Certains me disent déjà qu’ils perdent en autonomie, qu’ils deviennent plus raides. Ils me demandent de les aider.” C’est chose faite.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Louise Claereboudt

Rubrique “Coronavirus” sur Egora

Sur le même thème :
Bronchiolite : pourquoi il ne faut pas tirer un trait sur les kinés
Signature d’un avenant pour déployer la télémédecine
“De telles situations peuvent détruire le moral” : comment l’entraide s’organise pour soutenir les médecins
“La baisse d’activité peut aller jusqu’à 98 %” : les spécialistes libéraux tirent la sonnette d’alarme