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Covid-19 : “On a su trop tard qu’un tsunami allait arriver avec cette pandémie”

Alors que le nombre de cas augmente tous les jours et que la France s’enfonce dans la crise liée au Covid-19, le Dr Luc Duquesnel, Président Les Généralistes-CSMF estime que cette vague aurait pu être mieux anticipée. Devant le manque d’équipements et de moyens alloués aux médecins généralistes, il les incite à la prudence et veut souligner l’organisation coordonnée mise en place depuis le début de l’épidémie.

 

Plus de 30.000 Français sont touchés par le Covid-19 aujourd’hui. Comment jugez-vous l’anticipation qu’il y a eu face à ce nouveau virus ?

Je dirai qu’aujourd’hui il y a deux types de territoires, donc deux situations radicalement différentes auxquelles sont confrontés les médecins généralistes. D’abord, je pense aux régions Grand-Est, Hauts-de-France, Corse et Ile de France où finalement, par impossibilité d’anticiper, les médecins généralistes, les établissements de soins, les hôpitaux, les services d’urgences ou de réanimation, se sont pris un tsunami sans être prévenus. Et puis un second cas de figure, qui concerne les autres régions, où finalement, on sait qu’un tsunami va arriver avec cette pandémie de Covid-19. On sent les frémissements de cette énorme vague et on a le temps de mieux se préparer au travers de tous les retours qu’on a eus de la part des généralistes des premières régions touchées.

 

Très vite, les médecins généralistes ont malgré tout tenté de s’organiser face au nombre de patients atteints…

Effectivement, cette situation nous a permis de mettre en place des organisations totalement différentes selon les départements. Les médecins généralistes ont adapté leurs cabinets médicaux et leurs rendez-vous, ont étendu la régulation Covid 24h/24 pour donner des conseils, répondre au téléphone et envoyer des patients qui nécessitent un examen clinique vers des centres Covid. Ces centres sont mis en place par des généralistes avec d’autres professionnels de santé, des infirmières par exemple. Autre avantage : dans ces cas, il est possible de s’équiper avec tout l’équipement et la désinfection nécessaires. On sait que dans l’Oise ou en Alsace, les généralistes ont fait ces consultations sans aucune protection ou presque. C’est la raison pour laquelle on a autant de professionnels contaminés aujourd’hui.

 

Ce qui est en train de se passer aujourd’hui est un vrai accélérateur d’exercice coordonné.

Ce qu’on est en train de faire en ce moment, on ne l’a jamais fait. Même les médecins installés depuis 30, 35 ans n’ont jamais été confrontés à ce type de situation. L’ancienne Ministre de la Santé, Agnès Buzyn, avait demandé que le Service d’accès aux soins (SAS) soit mis en place pour le 30 juin. Aujourd’hui, dans beaucoup de départements en France, le SAS est mis en place. On prend en charge tout le monde, y compris les patients qui n’ont pas de médecins traitants.

 

Les généralistes ont le droit à 18 masques par semaine, ils ne peuvent pas tester leurs patients et manquent d’équipement. Comment réagissez-vous ?

Il y a un manque criant de protections. Au départ, avant qu’on soit mieux organisés, on nous donnait des masques chirurgicaux en nombre très limité pour accueillir des patients suspects Covid+ et nous n’avions même pas de masques à leur donner. Très clairement, le masque chirurgical pour le professionnel de santé n’est concevable, quand on reçoit un patient suspect Covid+, que si ce dernier a également un masque. Sinon, il faut des FFP2. D’ailleurs, on voit aujourd’hui, dans beaucoup de maisons médicales de garde Covid, que l’on manque d’équipements de protection. Chaque patient qui arrive devrait se voir remettre un masque chirurgical. Le problème se pose donc à la fois pour les soignants, mais aussi pour les malades, car ils risquent de contaminer leur famille en rentrant chez eux. Il faut enfin préciser l’aberration de ne pas pouvoir faire plus de tests et tout particulièrement pour les professionnels de santé qui, symptomatiques, se retrouvent en quatorzaine sans certitude d’être contaminés et alors que l’on manque de professionnels dans bon nombre d’établissements.

 

Beaucoup de médecins et de professionnels de santé critiquent les mesures trop “laxistes” d’Emmanuel Macron, y compris sur le confinement. Ces restrictions sont-elles trop faibles à vos yeux ?

Il fallait des mesures plus sévères dès les premières annonces. N’oublions pas que le premier soignant est le Français lui-même. Et il l’est en restant confiné. Beaucoup ont du mal à le comprendre et le perçoivent comme une atteinte à leur liberté. La preuve : à l’annonce du confinement, beaucoup ont pris leurs voitures pour fuir dans leurs résidences secondaires. Avec le risque de mettre en danger les populations locales. On le voit tous les jours : des personnes qui, quand elles arrivent à échapper aux forces de l’ordre, vont par exemple jouer au tennis. Les gens prennent conscience progressivement et cela commence à s’améliorer, mais c’est surtout dans les régions très touchées.

 

Il est très peu question des Ehpad aujourd’hui, or, la situation est très complexe dans bon nombre d’établissements…

C’est dramatique ce qu’il se passe dans les Ehpad. On est dans la sédation parce qu’il n’y a pas de respirateur. Les professionnels de santé sont limités, il n’y a pas l’oxygène à haut débit. D’où le besoin de lits de SSR avec l’oxygène au mur. La situation est inquiétante dans énormément d’établissements. Comme rien n’a été anticipé, de nombreux personnels soignants sont contaminés. Pierre-Marie COQUET, Président du SMCG-CSMF (Syndicat des médecins coordonnateurs, EHPAD et autres structures, généralistes ou gériatres) a fait un travail remarquable, repris par l’ARS des Hauts-de-France, pour la gestion de l’épidémie auprès des Ehpad.

 

L’usage de la téléconsultation fait débat. Pensez-vous qu’elle soit une bonne alternative face à l’épidémie ?

C’est un bon outil pour la gestion des patients en Ehpad, de manière à éviter d’avoir des flux de passages de médecins dans ces établissements lorsque ce n’est pas nécessaire. Et puis surtout, c’est utile pour les patients qui ne sont pas Covid et qui souffrent de pathologies chroniques, comme ceux atteints d’insuffisance cardiaque, par exemple. Le discours qui consiste à dire qu’on ne va voir son médecin traitant que pour des urgences est dangereux car certaines maladies chroniques risquent de se décompenser. Ces patients-là doivent être en lien avec leur médecin traitant, et dans ce cas, la téléconsultation est un bon outil, y compris pour renouveler son traitement. La téléconsultation est aussi un bon moyen d’assurer le suivi des patients contaminés par le Covid, ou suspects de l’être, lorsqu’un examen clinique ne s’impose pas, ce qui est le cas le plus fréquent.

 

La Carmf a proposé de lancer une étude en testant l’hydroxychloroquine (plaquenil) sur les médecins libéraux atteints par le Covid-19 et volontaires. Soutenez-vous cette démarche ?

Nous sommes totalement opposés, Les Généralistes-CSMF, à cette proposition. C’est une aberration de demander cela, alors qu’il y a beaucoup de doutes sur l’efficacité du plaquenil et que les stocks sont limités risquant alors d’en priver les patients déjà sous traitement pour d’autres maladies. Et puis cela voudrait dire que l’on va utiliser sa blouse blanche pour « griller la file d’attente », tel le capitaine d’un navire qui, lors d’un naufrage, est le premier à sauter dans un canot de sauvetage ! J’ai honte qu’une telle demande puisse avoir été formulée et que certains la soutienne.

 

Depuis le début de la crise, plusieurs médecins et professionnels de santé ont succombé au coronavirus. Que souhaitez-vous dire à tous les soignants engagés dans la lutte contre le Covid-19 ?

On a exposé des médecins à cause du manque d’anticipation en pensant que ce coronavirus pouvait être une “petite grippe”. Pour moi, ces personnes sont des héros. On les a mises au front, sans protection. N’oublions pas : la priorité, c’est de se protéger. En disant cela, il y a une extrême émotion, mais aussi de la colère.