Les généralistes accueillant des étudiants de l’université de Poitiers dans leurs cabinets n’ont toujours pas été rémunérés pour le semestre d’hiver, près de quatre mois après la date de paiement théorique. Las de quémander, ils ont lancé un mouvement de grève reconductible à partir du 2 septembre. De quoi bousculer l’université…

 

Quatre mois qu’ils attendent. Les maîtres de stages universitaires (MSU) de la fac de Poitiers n’ont toujours pas été payés pour l’accueil des internes et des externes de la fac dans leur cabinet lors du semestre d’hiver, de novembre 2018 à avril 2019. “L’année dernière c’était la même chose, l’année d’avant c’était la même chose, donc ça ne peut donner qu’un signal négatif sur le fait qu’il n’y a pas un engagement très fort envers la MG”, s’agace le Dr Anne-Laure Heintz, présidente du Collège des généralistes enseignants et maîtres de stage (Cogems) de Poitou-Charentes, jointe au téléphone par Egora. Pour faire pression sur l’université, les quelque 350 MSU de la région ont décidé de se mettre en grève pour une semaine reconductible à compter de la rentrée du 2 septembre.

Pour recevoir des étudiants dans leur cabinet, les MSU sont rémunérés à hauteur de 600 euros brut par mois et par interne (moitié moins pour un externe) à l’issue du semestre écoulé. Une façon de compenser la perte d’honoraires liée à l’accueil du stagiaire (forcément chronophage) et de valoriser l’engagement du maître de stage. “Ce n’est pas ça dont on a besoin pour vivre, on est bien d’accord, mais c’est finalement la seule reconnaissance officielle de notre travail”, plaide Anne-Laure Heintz. D’autant que les maîtres de stage participent aussi – bénévolement – à l’encadrement des thèses et des mémoires de DES. Avec 130 internes et 50 externes, le semestre d’hiver non payé représente environ 400 000 euros. “Ça commence à faire beaucoup d’argent dans la nature”, glisse la généraliste des Deux-Sèvres.

Ces retards de paiement ne sont pas propres au Poitou-Charentes, même si l’université de Poitiers semble faire partie des mauvais élèves. “La moitié des maîtres de stage du territoire n’ont toujours pas été payés”, estime le Dr Anas Taha, président du Syndicat national des enseignants de médecine générale (SNEMG). Soit plus de 5000 MSU en attente de paiement…. Bobigny, Marseille, Lyon, Lille, certaines facultés parisiennes : la liste des mauvais payeurs est longue, et la colère gronde. “Il va y avoir plusieurs mouvements d’ici la fin de l’année si les choses ne changent pas”, prédit-il.

 

Obstacles administratifs ou mauvaise volonté

Pourquoi tant de retards pour des montants somme toute modestes à l’échelle d’une université ? Le circuit financier est d’une complexité effroyable, mêlant assurance maladie, ARS, CHU et université. À cela s’ajoute la possibilité récente pour les MSU d’être payés en salaire au titre de collaborateurs occasionnels de service public (COSP) : la réforme est en cours de mise en œuvre, de sorte que les deux systèmes cohabitent. À Poitiers, le retard est au moins en partie dû à la décision de régler le semestre d’hiver, comme le semestre d’été en cours, avec ce nouveau système. Mais la mise en œuvre a été trop tardive, et la torpeur estivale a fait le reste.

Simple imbroglio administratif ? Du côté du SNJMG, on pointe également la mauvaise volonté de certaines universités. D’autant que les maîtres de stage n’ont pas l’impression d’être toujours considérés. “Il faut quémander pour obtenir des choses”, souligne Anne-Laure Heintz. “Par exemple, on n’a pas accès aux ressources bibliographiques parce que, soi-disant, il n’y a pas assez d’argent : moi je dirige une thèse et je n’ai pas accès aux ressources, donc je me débrouille.” Pas très maternante, l’alma mater. Au plan national, Anas Taha pointe des difficultés pour les MSU à accéder au conseil de gestion facultaire – “on ne sait toujours pas si on peut voter” – et un manque d’engagement paradoxal des ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur, alors que la formation de généralistes figure au rang des priorités majeures de santé publique.

Quant aux carabins de Poitiers, ils courent le risque de se trouver en porte-à-faux dans un conflit qui les concerne peu. “Nous sommes très inquiets des conséquences des actions envisagées en ce qui concerne les stages, mémoires, thèses et autres enseignements”, confirme Adrien Rivaud, président du Comité de la région Poitou-Charentes des internes de médecine générale (CRP-IMG), qui dit néanmoins “comprendre la colère” des maîtres de stage. Le risque d’invalidation des stages d’internat est heureusement faible, puisque les textes imposent quatre mois de stage minimum et que la mobilisation des MSU débutera précisément 4 mois + 1 jour après le début du semestre d’été. Par souci de ne pas se mettre les internes à dos ? “Disons que c’est une conséquence favorable pour eux…”, reconnaît Anne-Laure Heintz à demi-mot, sans exclure d’autres modes de mobilisation plus urticants.

 

Noël en août

Et du côté de l’université ? L’affaire est remontée au-dessus de la faculté de médecine – avec qui les MSU entretiennent de bons rapports – pour atterrir sur le bureau d’Yves Jean, président de l’université. Dans un courrier adressé au Cogems-PC le 2 août, en réponse à une première alerte des MSU, il admet que “les services centraux et l’UFR de Médecine-Pharmacie de l’université de Poitiers ont dû faire face à quelques difficultés” et présente ses excuses “pour les désagréments causés par ce dysfonctionnement”. Mais aucune mesure concrète pour accélérer les paiements, toujours prévus en octobre “si toute les conditions sont réunies”.

Joint au téléphone mardi 27 août, le président de l’université poitevine semble avoir amendé son discours face à la perspective d’une grève des maîtres de stage. “Je viens d’envoyer un message à la présidente [du Cogems-PC] : les maitres de stage vont être rémunérés à la fin de la semaine pour le premier semestre, sous forme de gratification, et fin octobre pour le second semestre, sous forme de gratification ou de rémunération selon leur choix”, indique-t-il. “On a décidé de débloquer les montants sur notre masse salariale”, précise Yves Jean, avant de louer le travail des MSU. Traduction : pour accélérer le tempo, l’université avancera la somme due au titre du semestre d’hiver. Qui a dit que les miracles n’avaient lieu qu’en décembre ?

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Yvan Pandelé

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