La barre des 10 000 généralistes maîtres de stage universitaires (MSU) est enfin franchie. Pour le Collège national des généralistes enseignants (CNGE), les conditions sont désormais réunies pour mettre en place, sans attendre, la 4e année de DES (diplôme d’études spécialisées) de médecine générale. Une année “professionnalisante” qui doit permettre d’augmenter le taux d’installation des jeunes. Mais les principaux intéressés sont loin d’être convaincus. Interviews croisées du Pr Vincent Renard, président du CNGE, et de Pierre Guillet, interne en médecine générale à Tours et vice-président de l’InterSyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG).

 

“La formation des internes est actuellement insuffisante”

 

Egora.fr : Quelles étaient les conditions fixées par le CNGE pour mettre en place cette 4e année de DES de médecine générale ?

Pr Vincent Renard : Compte tenu des besoins, le CNGE avait estimé lors de son congrès 2017 que l’on devait raisonnablement viser les 12 000 maitres de stage universitaires (MSU) pour envisager cette 4e année. C’était LA condition. A partir du moment où c’est décidé, on aura tout le temps de la mettre en place, puisque ça se fera 4 ans après. Sur cet enjeu extrêmement important, il faut avoir une vision prospective, il faut anticiper. C’est pour ça que l’on dit aujourd’hui que les conditions sont réunies.

Pourquoi il est-il important pour vous d’ajouter une 4e année ?

Il y a deux grandes raisons qui montrent que cette 4e année est nécessaire.
Sur le plan pédagogique, la formation en DES de médecine générale est actuellement insuffisante pour assurer un niveau de compétences satisfaisant des internes au terme des 3 ans. Certes, les choses s’améliorent avec la nouvelle mouture du DES depuis la rentrée 2017. Mais de multiples évaluations montrent que le niveau moyen de compétences à la fin des 3 ans n’est pas suffisant par rapport au référentiel métier. Par ailleurs, même si le nombre de stages ambulatoires a augmenté, leur nombre reste insuffisant. Les internes ne sont pas exposés à un nombre suffisant de situations professionnelles, notamment le suivi des pathologies chroniques, la continuité, la coordination, qui sont des compétences très importantes pour l’exercice professionnel. Six mois de stage en autonomie partagée [le fameux Saspas, NDLR] ce n’est pas suffisant.
Par ailleurs, n’étant pas en situation professionnelle pendant une longue durée, beaucoup d’internes ne se sentent pas prêts à s’installer, d’ailleurs la majorité ne s’installent pas. Ils ne connaissent pas l’étendue des possibilités de la médecine générale, des soins primaires dans les territoires. Comme il est dit dans un certain nombre de rapports, il faut les former à cela et les mettre en situation.

Les organisations de jeunes mettent en avant le fait que toutes les facultés n’arrivent déjà pas à permettre aux internes de faire deux stages ambulatoires.

Dans 4 ans, ce problème sera largement dépassé. Compte tenu du mouvement actuel, les deux stages, on y sera dans un an. C’est maintenant qu’il faut y aller, on sait qu’on peut le faire.

 

 

Ils soulignent également l’inégale répartition des MSU sur le territoire…

C’est faux. Ce n’est pas parfait, mais s’il y a bien une population qui est bien répartie, c’est celle des MSU. Je vous renvoie à la cartographie présentée au congrès du CNGE. Je mets au défi de trouver des médecins aussi bien répartis !

Mais il manque toujours des enseignants en médecine générale.

Il n’y en a évidemment pas assez. Mais s’il avait fallu attendre qu’il y ait assez de professeurs il n’y aurait jamais eu de spécialité médecine générale. C’est la demande qui créé l’offre et pas l’inverse. On continue de réclamer des postes supplémentaires. Je salue le geste d’Isabelle Richard, la conseillère du ministère de l’Enseignement supérieur, qui octroie cette année 25 enseignants associés au lieu des 15 initialement prévus. Il y a dix nouveaux maîtres de conférences titulaires au concours. Les choses avancent. Pas assez vite, ça c’est sûr. Par rapport aux besoins, les ratios enseignants-enseignés sont toujours très médiocres, mais on ne va attendre d’avoir des postes de titulaires universitaires pour faire la 4e année, sinon on risque d’attendre très très longtemps.

Certains internes craignent de servir de bouche-trou lors de cette 4ème année…

Cette remarque est étonnante. On reproche à la médecine générale ce qu’elle fait mieux qu’avant. On n’entendait pas dire ça quand les internes de médecine générale faisaient tourner les services hospitaliers et que tout le monde se moquait de leur formation. C’est la médecine générale universitaire qui a créé les conditions d’un véritable apprentissage, le contenu de l’apprentissage, qui a sélectionné les services hospitaliers pour éviter les moins formateurs, qui a mis toute son énergie pour former les maîtres de stage. Je rappelle que c’est le CNGE qui a demandé que dans les textes, la formation soit obligatoire pour obtenir l’agrément. Avec le SNEMG (Syndicat national des enseignants de médecine générale) et l’Isnar, on a élaboré une charte de maîtres de stage pour éviter les dérives, charte actuellement soumise aux doyens. Jamais une discipline n’a fait autant d’efforts pour la qualité de la formation. Ce reproche, ce n’est vraiment pas à la médecine générale qu’il faut le faire. Il est infondé.

L’Isnar veut une vraie année professionnalisante, avec éventuellement des enseignements en gestion du cabinet.

La gestion du cabinet, c’est un peu un fantasme. Les médecins ont des comptables. L’apprentissage de la médecine, ce n’est pas l’apprentissage de la comptabilité. On peut toujours former les internes à la gestion mais au moment où les forme à ça, ça ne les intéresse pas. C’est quand on en a besoin qu’on est intéressé, quand on se frotte à l’exercice professionnalisant. Mais je suis d’accord avec l’Isnar sur le fait qu’il faudra une adaptation de la maquette.

15% des jeunes s’installent au cours de la première année suivant le DES. Si on rallonge d’un an, peut-on se passer de ces quelques 500 médecins, dans la situation actuelle ?

Cet argument est totalement ridicule. Le pool des remplaçants actuels en médecine générale n’est pas loin de 10 000. Et le but de cette 4e année c’est que les jeunes s’installent. On ne va pas rien faire alors qu’on pourraut favoriser l’installation de milliers généralistes.

 


 

“Il ne faut pas que ce soit du remplacement déguisé”

 

Egora.fr : Quelle est la position de l’Isnar sur l’allongement du DES ?

Pierre Guillet : Pour nous, les conditions ne sont pas réunies pour l’instant. La question se pose depuis plusieurs années. L’année dernière, on a sollicité nos administrateurs pour qu’ils sondent localement les internes pour mesurer la pertinence de cette 4ème année. On a commencé par leur demander s’il y avait des éléments manquants dans la formation actuelle, avec la réforme. Plusieurs points sont remontés : la volonté de pouvoir personnaliser beaucoup plus son parcours de formation (la réforme du 3ème cycle a fait disparaître le stage libre) ; le manque de formation à la santé de la personne âgée avec un stage à l’hôpital en gériatrie ou en ambulatoire avec une équipe mobile de gériatrie ; des formations à la gestion du cabinet, à l’interprofessionnalité… L’enjeu était de savoir s’il y avait besoin ou pas d’une 4ème année pour rajouter ces éléments. Ce n’est pas nécessaire. La réforme du 3ème cycle n’est en place que depuis novembre 2017, il y a encore des cartes à jouer, des éléments à optimiser avant d’allonger la formation. Par exemple, faire revenir le stage libre, optimiser les journées de formation universitaires et en autonomie pour intégrer ces notions de gestion du cabinet.

Quelles sont vos conditions ?

L’augmentation du nombre de MSU, qui pour l’instant ne nous semble pas suffisante. Oui, il y a une hausse de 13.7% en un an selon les chiffres du CNGE. Mais déjà, on n’est pas à 12 000. Et ensuite, le gros problème c’est la répartition. Il y a encore des subdivisions où c’est compliqué de permettre aux internes de faire leurs deux stages en ambulatoire. A Lyon ou Marseille, ils ont du mal à appliquer la maquette du 3ème cycle. A Lyon, leur premier stage, qui est censé être en première année, est souvent fait en 2ème année car ils n’ont pas assez de maitres de stage pour tous les internes de 1ère année.
Le nombre d’enseignants de médecine générale est toujours largement insuffisant : un enseignant pour 80 à 86 étudiants, c’est le ratio le plus bas toutes spécialités confondues. Pour avoir un accompagnement correct des étudiants sur leur projet professionnel, il faut un nombre d’enseignants suffisant, on n’en est pas encore là. En plus, avec la réforme du 2ème cycle, il y a une volonté d’impliquer davantage les enseignants de médecine générale.

 

 

Sur ces deux conditions, le Pr Renard se montre optimiste. Il affirme que c’est la demande qui va créer l’offre et que la filière a 4 ans devant elle.

Les enseignants, on en aura besoin dès le début. Quant aux MSU, on n’est pas sûr d’avoir le nombre suffisant quand ce sera nécessaire. On ne va pas refaire comme la réforme du 3ème cycle et l’appliquer alors que tout le monde n’est pas prêt. Ce sont les étudiants derrière qui vont en pâtir.

Mais les étudiants sont-ils prêts à effectuer une année en plus ?

Les enquêtes menées localement montrent qu’en moyenne 60% des internes sont prêts à l’envisager à condition que les éléments manquants dans la formation actuelle soient intégrés. Dans tous les cas, ça ne s’appliquerait pas de façon rétroactive pour les internes actuels.

A quoi ressemble la 4e année idéale ?

Cette 4ème année, ce sera la phase de consolidation de la médecine générale. Et on doit être vigilants sur un certain nombre de points : il ne faut pas que ce soit du remplacement déguisé que ce soit pour boucher les trous dans certains services comme on peut encore le voir. Il faut vraiment qu’elle soit pertinente pour la formation de l’étudiant et pour son projet professionnel, qu’il ait les clés pour s’installer au plus vite.
On réfléchit à un statut intéressant, notamment en termes de rémunération. Le statut de “Docteur Junior” des autres spécialités ne nous semble pas adapté à l’ambulatoire puisqu’il permet des gardes de senior, avec la possibilité d’accéder au secteur 2.
On ne souhaite pas avoir une 4ème année qui ne fait que se rajouter. Il faut que la totalité de la maquette soit pensée de façon cohérente pour porter un projet de formation.

Pensez-vous qu’une 4ème année professionnalisante peut augmenter la part de jeunes qui s’installent dès la 1ère année après le diplôme ?

Si elle est mise en place correctement, avec un accompagnement et une autonomisation, on espère fortement que ça va faciliter les installations.

 

La maquette actuelle

D’une durée de trois ans, le DES de médecine générale compte 200 heures d’enseignements environ, et 6 semestres de stages.

Durant la phase socle (première année), deux stages sont réalisés : un stage aux urgences et un stage en cabinet auprès d’un généraliste MSU de niveau 1.

La phase d’approfondissement (2ème et 3ème années) comporte quatre stages :
– un stage en médecine polyvalente,
– un stage santé de la femme : praticien avec grosse activité de gynéco et/ou PMI, ou service hospitalier,
– un stage santé de l’enfant : patricien avec grosse activité de pédiatrie et/ou PMI, ou hospitalier en pédiatrie ou urgences pédiatriques
– un stage ambulatoire en soins primaires en autonomie supervisée (Saspas), effectué en dernière année.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

Sur le même thème :
“Le remplacement des internes menacé”, s’alarme l’Isni
Plus de 10 000 généralistes maitres de stage : bientôt la 4ème année d’internat ?
Classé dans les 100 premiers aux ECN, il a choisi la médecine générale dans un désert
Installation : une enquête révèle ce que veulent les jeunes médecins
Désaffection pour la médecine générale : ce médecin sonnait déjà l’alarme en 1971 [VIDEO]