Derrière l’accident de bus tragique qui a coûté la vie à 6 collégiens le 14 décembre 2017, se cache peut-être un problème de santé publique : l’addiction aux benzodiazépines. A l’instar du médecin de la conductrice, qui pourrait bien être mis en examen pour lui avoir prescrit de la zoplicone sur le long terme, les prescripteurs se retrouvent souvent démunis face à l’insomnie. Et ce, alors que leur responsabilité peut être engagée.

 

“Je me battrai pour que les médecins qui la suivaient soient eux aussi poursuivis.” L’avocate de trois des familles de victimes de Millas ne mâche pas ses mots. En décembre 2017, lorsqu’un bus scolaire est percuté par un train au passage à niveau de Millas (Pyrénées-Orientales), le bilan est terrible : six adolescents trouvent la mort. Alors que la SNCF a été dédouanée, on a appris récemment que la conductrice, mise en examen pour homicide et blessures involontaires, prenait de la zopiclone depuis 7 ans. Ce médicament aurait-il pu entraîner cette baisse de vigilance ? La responsabilité de son médecin peut-elle être engagée ?

Rien n’est encore prouvé et l’instruction n’a pour l’instant pas retenu la responsabilité de la zopiclone dans l’accident. Mais si cela devait être le cas, alors la question d’une responsabilité médicale pourrait être recherchée. A un poste de sécurité, comme celui de conductrice d’un bus, le rôle du médecin donnant un agrément tous les 5 ans pour la conduite de ce véhicule pourrait être questionné, de même que celle du médecin qui lui en a prescrit durant deux ans. L’information sur les risques liés à la conduite a-t-elle bien été délivrée par les médecins ? De son côté, la patiente avait-elle averti les différents médecins qui la suivaient de cette consommation de zopiclone ?

 

 

Tous les médecins peuvent être amenés à prescrire un hypnotique et pourraient alors se retrouver dans une telle situation. Au-delà de cette question des responsabilités, le drame de Millas met au jour deux véritables enjeux de santé publique : la surconsommation de benzodiazépines et la prise en charge de l’insomnie.

 

13% des patients

En France, la consommation de benzodiazépines et apparentés – comme la zopiclone ou le zolpidem – reste très importante. Selon l’ANSM, ce sont plus de 16 millions de boites de zopiclone qui ont été vendues en 2015 pour un total d’environ 46,1 millions de boîtes de benzodiazépines à but hypnotique. Ainsi 13,4% de la population prend au moins une fois dans l’année des benzodiazépines, dont 10,3% à but anxiolytique et 5,6% à but hypnotique.

Ces médicaments sont initiés à 82% par les généralistes qui sont en 1ère ligne et font face aux demandes parfois pressantes des patients. Il existe des différences nettes entre les sexes : 16,6% des femmes en consomment, contre 9,7% pour les hommes avec une nette augmentation en fonction de l’âge.

 

 

Si la consommation reste importante, des efforts de réduction sont faits petit à petit. Ainsi, l’ANSM note une baisse de 5,7% de la proportion d’utilisateurs de benzodiazépines anxiolytiques ou hypnotiques entre 2012 et 2015, notamment pour les hypnotiques (-12,8 %). On constate aussi une légère diminution des initiations : on passe en 2012 de 1,5 % de la population à 1,2 %  qui ont initié un traitement en 2015, soit environ 744 000 patients.

Comme dans le drame de Millas, la durée est un élément important afin de limiter l’addiction aux benzodiazépines. En 2015, la durée du premier épisode de traitement est inférieure ou égale à 28 jours dans environ 76 % des cas et à 12 semaines dans 90 % des cas. Mais, ce sont quand même 14 à 15 % des nouveaux utilisateurs de benzodiazépines qui ont une durée de traitement non conforme aux recommandations –  28 jours pour l’insomnie et 3 mois pour les troubles anxieux – dont environ 2 % de plus d’un an.

 

Traiter l’insomnie sans hypnotique

Mais alors que faire ? Le clonazépam avait déjà vu sa prescription initiale limitée aux seuls pédiatres et neurologues : sa consommation a logiquement baissé de 84% en 5 ans. La zolpidem, régulièrement citée dans les études sur les ordonnances falsifiées, est passée en prescription sécurisée en 2017. Mais cela revient à déplacer le problème vers d’autres molécules.

Au lieu d’une prescription, qui risque d’entraîner une dépendance, la prise en charge de l’insomnie mériterait d’être plus investiguée, voire de faire l’objet d’une consultation spécifique. Que se cache-t-il derrière le “je dors mal” du patient ? Plusieurs pistes sont possibles.

 

 

On peut d’abord différencier insomnie aiguë – et souvent réactionnelle – et insomnie chronique. De même, il faudrait différentier les troubles de l’hygiène de sommeil et le besoin de sommeil propre à chaque patient, avec l’aide notamment d’un agenda de sommeil facilement utilisable en consultation de ville. Il est important de faire le point sur les comorbidités : des douleurs insomniantes à la dépression et aux troubles anxieux, en passant par le syndrome des jambes sans repos. Voire si nécessaire utiliser des techniques de thérapie cognitivo-comportementale ou même orienter vers un centre spécialisé. Des mesures importantes qui peuvent permettre, à terme, de limiter la prescription de benzodiazépines alors qu’en France 15 à 20% de la population souffre d’insomnie, dont 10% de façon sévère.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Clément Guillet

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