Alors que les négociations CPTS et assistants médicaux devaient s’achever à la fin du mois, la CNAMTS et les syndicats ont décidé de jouer les prolongations. Si les partenaires sociaux partagent une “volonté d’aboutir” pour améliorer l’accès aux soins, il reste des points de blocage majeurs aux yeux du Dr Luc Duquesnel, Président des Généralistes-CSMF. Ce dernier craint en effet que les généralistes ne subissent trop de contraintes en échange d’une aide financière et humaine finalement bien insuffisante.

 

Les deux négociations n’ont pas abouti les 17 et 18 avril comme prévu. Rendez-vous est pris pour le 9 mai. Où en est-on exactement ?

Lors de ces deux séances, il y a eu des avancées importantes mais il reste encore des points de blocage. On continue d’avancer : il y a clairement une volonté des deux parties d’aboutir. Ces deux négociations, initiées par le Président de la République en septembre, ont pour but de favoriser l’accès aux soins : trouver un médecin traitant aux patients qui en cherchent un, et organiser une réponse aux soins non programmés. Collectivement, on s’est engagé à apporter une réponse territoriale à la population. On est tous animé par cette même volonté. Mais il reste du chemin à faire.

 

Quels sont ces points sur lesquels vous êtes parvenus à faire fléchir la CNAMTS ?

L’avancée majeure a été d’envisager la possibilité, de façon incitative, de permettre sur certains territoires d’avoir un assistant médical par médecin. Au regard des expériences étrangères, on sait que c’est ce ratio 1-1 qui permet d’augmenter la patientèle sans travailler plus, et même d’améliorer la qualité des soins.

On demande à l’Assurance Maladie d’identifier ces bassins de vie, ces territoires où la demande en médecin traitant est forte ou sera forte dans les années à venir, en fonction de l’âge des médecins. Les ARS ont fait ce travail en 2017, avec l’indicateur APL (Accessibilité Potentielle Localisée) mais il faudrait qu’il soit remis à jour car les données datent de 2015. Je connais des endroits où il y avait 5 médecins en 2015 et plus qu’un seul aujourd’hui… Il faut donner une certaine latitude aux CPAM pour étendre un peu ces zones d’intervention prioritaires : certains territoires avec un besoin important n’ont pas été retenus car on était limité à 18% du territoire national.

Cette possibilité d’avoir un assistant par médecin, on la réclame depuis le début de la négociation et c’est la première fois qu’il y a une prise de conscience du Directeur de l’Assurance Maladie. Dans ces territoires, un assistant pour 2 ou 3 médecins n’aurait en effet que peu ou pas d’incidence sur le nombre de patients pris en charge : il est hors de question de demander à ces généralistes, qui travaillent déjà beaucoup, de travailler plus.

 

Il y a toujours en contrepartie un objectif d’augmentation de la patientèle…

C’est la règle du jeu. Mais il faut que ce soit incitatif car les freins sont majeurs pour aller vers cette nouvelle organisation. A commencer par les contraintes immobilières : les travaux qui vont nécessiter un investissement de départ (qui paie quand le médecin est locataire ?) puis des coûts de fonctionnement, avec les loyers et charges.

Pour les médecins qui auront un assistant à se partager à 2 ou 3, je pense que les objectifs sont encore trop élevés. Je crains qu’ils soient inatteignables et que les médecins, s’en rendant compte, ne souhaitent pas s’engager.

Il y a aussi des zones où les patients qui n’ont pas de médecin traitant n’en veulent pas ou n’ont pas besoin parce qu’SOS médecins intervient sur la file active, par exemple. Donc ces médecins qui vont prendre un assistant pour 2 ou 3 ne vont pas augmenter beaucoup leur patientèle. Que se passera-t-il dans deux ans, à l’heure du premier bilan ? Très clairement, le Directeur de la CNAMTS nous a dit qu’ils n’auraient pas vocation à bénéficier de l’aide financière. Même si au départ, l’Assurance Maladie nous avait dit que ces négociations avaient également pour but d’améliorer la qualité des soins, on voit bien que l’objectif, certes majeur, mais presque unique, c’est l’accès aux soins.

 

Quels sont les autres points de blocage ?

Il reste un frein majeur, c’est le lien qui est créé avec les CPTS : on ne peut pas obliger un médecin bénéficiant d’une aide financière « assistant médical » à participer aux missions des CPTS. Et notre opposition est chaque jour plus justifiée. On voit des CPTS pousser comme des champignons sur des territoires comme les Hauts-de-France et la Haute-Normandie. Ces CPTS sont reconnues par les ARS, alors qu’elles n’embarquent dans leur projet de santé qu’une extrême minorité des généralistes. Pour obtenir des financements dans le cadre de l’Accord Conventionnel Interprofessionnel (ACI), ces mêmes CPTS vont s’engager à assurer des missions socles qui concernent avant tout les généralistes (accès au médecin traitant, organisation des soins non programmés). Et donc ces missions deviendront opposables aux médecins du territoire qui voudront une aide « assistant médical ».

Attention, nous, Généralistes-CSMF, ne sommes pas opposés aux CPTS, bien au contraire. C’est une organisation territoriale qui a son sens. Mais on doit donner envie aux médecins d’y aller, leur donner un intérêt à agir, leur apporter quelque chose. Alors qu’aujourd’hui, avec l’avenant 7, on a l’impression d’avoir un pistolet dans le dos : si vous n’y allez pas, vous n’aurez le droit à aucune aide. Alors que ces aides sont nécessaires pour améliorer l’accès des soins. Il faut faire confiance aux médecins. Dans les territoires en tension, les médecins généralistes n’ont pas attendu pour essayer de répondre au mieux aux besoins de santé de la population.

Autre point gênant : le fait de n’envisager l’exercice à temps partiel que sous la forme de l’exercice mixte. De plus en plus de jeunes médecins – femmes ou hommes – travaillent à temps partiel. C’est un choix de vie respectable. Quand on travaille 3 jours et qu’on a 700-800 patients Médecin Traitant, ça équivaut à 1300-1400 pour 5 jours de travail. Or, vu qu’on ne prend en compte que la patientèle et pas le temps partiel, ces médecins vont avoir des objectifs totalement inatteignables et n’auront pas intérêt à prendre un Assistant Médical. Je le regrette parce que ce mode de travail est de plus en plus fréquent.

 

Qu’en est-il de l’ACI exercice coordonné et CPTS ?

Les missions socles des CPTS vont concerner avant tout les généralistes. Par exemple, sur le soin non programmé, il y aura un numéro au niveau du territoire de la CPTS ou du département que les patients appellent quand ils n’arrivent pas à accéder à un médecin traitant en journée, avec une secrétaire qui oriente vers des médecins. Cela nécessite 64 heures de secrétariat, soit 2 temps plein et des locaux. Or, tout ça n’est pas envisagé dans les financements de l’ACI CPTS. Le Directeur de la CNAMTS a reconnu cette absence. Les CPTS, qui engageront une organisation spécifique pour le soin non programmé, auront un financement fléché et on peut imaginer des CPTS mutualiser des moyens pour mettre en place des organisations similaires à celles de la permanence des soins. C’est une avancée importante, car on risquait de voir une grande partie, voire la totalité, de l’enveloppe de la CPTS consommée par le soin non programmé. Les autres professions de santé se seraient senties lésées pour les autres actions à mettre en œuvre.

Il va donc y avoir une autre séance de négociation. On partage avec le Directeur de la CNAMTS la volonté d’aboutir : la situation actuelle au niveau de l’accès aux soins n’est pas acceptable. Mais on ne peut pas nous mettre des contraintes, des contraintes d’ailleurs qui concernent essentiellement les généralistes. On est prêts à modifier nos organisations, mais il faut nous en donner les moyens.