Depuis sa première élection à la tête du Conseil national de l’Ordre des médecins en 2013, le Dr Patrick Bouet n’a eu de cesse de faire évoluer l’institution afin qu’elle représente au mieux les médecins qu’elle incarne. Il se réjouit de l’arrivée de femmes dans les conseils départementaux.

 

Egora.fr : L’Ordre a toujours été un univers très masculin et plutôt âgé… Pourquoi a-t-il fallu en passer par une loi pour rajeunir les troupes ?

Dr Patrick Bouet : Je peux poser la même question pour l’ensemble de la République française. Pourquoi a-t-il fallu en passer par une loi pour féminiser les structures et les institutions de la République. Probablement parce qu’effectivement, il fallait qu’un dispositif législatif permette cette parité. Il n’y avait pas de raison que l’Ordre échappe à ce qui est un dispositif général de la République.

Pourquoi y avait-il si peu de femmes candidates avant ces élections ?

Il faut repartir de l’histoire. Rappelons-nous que l’Ordre moderne a été recréé en 1945 à un moment où la féminisation était encore très relative dans le monde médical. Petit à petit, et aujourd’hui c’est une vraie réalité, nous sommes arrivés à une proportion de 60% de femmes étudiantes en médecine. Il y a aujourd’hui 50% d’hommes et 50% de femmes inscrits à l’Ordre. Entre-temps, comme pour toute structure élective qui a des responsabilités importantes, nous avons constaté que ceux qui étaient le plus disponibles et candidats de façon générale étaient les médecins en fin d’activité, puisqu’ils pouvaient plus facilement dégager du temps. Avant, une population de femmes jeunes, investies dans leur métier, n’étaient pas forcement spontanément candidates pour être membres de l’Ordre. Nous étions plutôt dans une situation où il y avait des femmes, souvent proches de la retraite. Mais depuis une dizaine d’années, il y a des femmes qui arrivent dans les conseils départementaux. Cela a mis du temps à devenir concret au niveau de l’échelon national.

Va-t-il y avoir des aides pour permettre aux jeunes de tout gérer ?

Nous savons qu’en 2022 nous aurons 50% d’hommes et 50% de femmes dans l’ensemble de l’institution. La loi introduit à la fois la parité et un rajeunissement au niveau des candidatures. Cela va poser le vrai problème de la professionnalisation des conseillers ordinaux et de la façon dont nous allons pouvoir les accompagner pour qu’ils puissent accomplir leurs missions, et garder des niveaux d’indemnisations qui leur permettent de compenser les pertes de revenus. C’est un gros travail que nous menons actuellement, avec les autres ordres d’ailleurs, pour voir comment nous allons pouvoir accompagner ces nouveaux élus.

Y-a-t-il déjà des premières pistes évoquées ?

Nous organisons l’activité des ordres pour qu’il y ait des structurations fonctionnelles qui leurs permettent de diversifier leurs capacités d’action. La plupart des conseils départementaux et régionaux ont pu avoir plus de collaborateurs qui vont pouvoir aider les jeunes professionnels et les nouveaux élus. Enfin, nous allons voir comment à partir de la cotisation, et sans l’augmenter, nous allons pouvoir porter une aide par l’indemnisation pour que ceux qui sont en activité et qui ont des pertes de revenus puissent les voir compenser.

Désormais, il n’y a plus de candidatures individuelles mais uniquement des binômes homme/femme, qu’est-ce que cela va changer en pratique ?

Qu’il s’agisse d’homme ou de femme, je ne doute pas que leurs engagements soient de même nature au service de l’institution et de l’ensemble du système de santé. Ce qui changera, et nous le souhaitons, c’est que nous serons plus proches de la réalité sociologique du corps médical aujourd’hui. Nous voulons une institution qui représente tous les médecins qui exercent sur le territoire français et dont l’activité est l’acte principal. Cela va nous permettre d’être plongés au cœur des réalités.

Finalement, sur ce point vous n’avez pas attendu la loi…

Depuis que je suis élu, c’est l’action que nous menons. Le simple fait que j’aie été élu, en tant que médecin généraliste en activité, en est une illustration. Nous avons voulu que l’institution ordinale soit la plus proche possible des réalités. C’est d’ailleurs ce qui rend aujourd’hui notre discours crédible et partagé.

Qu’est-ce que les jeunes femmes pourront apporter de plus à ces conseils départementaux ?

Le fait qu’aujourd’hui elles constituent 60 % des étudiantes et 50% du corps médical va nous montrer des réactions ou des adaptations dont il faudra que nous tenions compte dans l’évolution réglementaire de l’exercice médical.

Certains témoignages de jeune femmes conseillères départementales, font état de machisme et de misogynie à leur encontre, comment s’assurer qu’au-delà de la loi, en pratique, les comportements vont changer ?

Croyez-vous que quand il y aura 50 % de femmes et 50 % d’hommes il pourra encore y avoir des discours de cette nature… Quand j’ai été élu en 1989, je n’ai pas été très bien accueilli, et j’étais un homme. Il était difficile pour les jeunes professionnels en activité d’entrer dans une structure qui avait pour tradition d’être composée de praticiens en fin d’activité. Ça évolue progressivement. Depuis quelques années, ça s’est accéléré. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de jeunes qui entrent dans les conseils départementaux et, je l’espère, qui arriveront au conseil national. Les quelques élections qui viennent de se dérouler montrent qu’elles intéressent les jeunes professionnels. Le passé est derrière nous, moi je regarde volontairement l’avenir. C’est un ordre “nouveau” au sens de la régénération de sa représentation, que j’attends dans les élections qui vont se succéder, en 2019 et 2022.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin

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