Pionnier un jour, pionnier toujours. Voilà ce qu’on pense en écoutant le Pr Louis Lareng raconter de sa voix rocailleuse l’épopée de la création du premier Samu à Toulouse, dans les années 1960. Car c’est avec la même soif d’entreprendre que le Pyrénéen s’est lancé ensuite dans la création de la protection civile, puis dans l’aventure de la télémédecine. Récemment honoré par l’Université Paul-Sabatier de Toulouse, dont il a été le premier président, Louis Lareng poursuit son travail sur les innovations en e-santé et sur l’intelligence artificielle, à l’ARS de Toulouse. Son âge ? 94 ans.
Lorsque Louis Lareng (prononcer Larhan’) a commencé à réfléchir sérieusement à l’organisation des urgences, dans son hôpital toulousain, il y avait de plus en plus de blessés sur les routes et aucun moyen organisé pour les emmener à l’hôpital. Néanmoins, ailleurs en France, plusieurs grands noms avaient déjà réfléchi à la médicalisation des accidentés sur les lieux, et à leur transport.
Mais à Toulouse, “ils étaient ramassés par les médecins ou les passants, dans leurs voitures“, raconte l’homme de 94 ans avec son fort accent des Hautes Pyrénées où des “r” roulent parfois, par effraction. “Je me suis dit que c’était l’hôpital qui devait se rendre au pied de l’arbre, mais les oppositions étaient fortes, très fortes.” Alors avec un complice, le concierge de l’hôpital, ils se sont organisés pour partir “en cachette” de la hiérarchie sur les lieux de l’accident pour ramener les blessés à l’hôpital. On était dans les années soixante…
“Cela a duré un certain temps, où j’ai été soutenu par beaucoup de personnes, comme la police, les gendarmes et même les militaires qui me laissaient passer, en arguant d’une mission humanitaire. Mais malgré cela, je cravachais, je cravachais… ” se souvient-il. Pire, l’hôpital ne voulait rien entendre et a même envisagé de le faire passer en conseil de discipline.
“Le malade que j’étais allé chercher et sauver en plein Toulouse la nuit précédente était le fils d’un médecin, qui devait plaider contre moi le lendemain en commission de discipline”
Il raconte : “Malgré cela j’allais à l’hôpital le dimanche, et les infirmières me soutenaient à fond. Et c’est ainsi qu’un dimanche matin, elles m’ont informé que le malade que j’étais allé chercher et sauver en plein Toulouse la nuit précédente était le fils d’un médecin, qui se trouvait à son chevet. Et ce médecin était celui qui devait plaider contre moi le lendemain en commission de discipline ! Je suis allé voir et à ce moment-là, fortuitement, j’ai eu un appel affolé de Cahors me demandant de venir vite sauver un bébé qui était en train de s’étouffer ! J’ai passé le téléphone au père du blessé que j’avais sauvé et qui allait bien, et je lui ai demandé : ‘Alors, qu’est-ce que je fais ?’ Il m’a répondu : ‘Vous y allez’ ! Et c’est véritablement à ce moment- là que j’ai fait le Samu. Ce n’était pas officiel. Mais je n’avais plus aucun obstacle”, raconte le professeur, avec un sens certain de l’art oratoire.
Mais ce n’était pas gagné pour autant. Les réticences étaient toujours nombreuses. “J’ai dû faire des réunions à Paris en cachette, au domicile d’un médecin, avec des personnalités qui venaient me voir, toujours en cachette.” Et c’est ainsi qu’à force de ténacité, de persuasion mais aussi de résultats, l’anesthésiste-réanimateur (un pionner de la double casquette, une fois encore) est parvenu à approcher le ministère. Et à décrocher une autorisation officiellement accordée à l’hôpital. Nous étions en 1969.
La vraie loi qui a tout mis en place est celle du 6 janvier 1986 sur les transports sanitaires et l’aide médicale urgente. A l’époque, Louis Lareng s’était laissé tenter par la politique et siégeait sur les bancs de la gauche à l’Assemblée. Il fut le rapporteur de la loi qui porte son nom. “A ce moment-là, la majorité était socialiste, l’Assemblée nationale votait pour, mais le Sénat votait contre. Je peux dire que je n’ai pas ménagé mon temps pour convaincre tous les groupes politiques.” Et au final, il a décroché “l’unanimité ! Le peuple a eu le dernier mot ! Et voilà comment cette loi porte mon nom. Elle est passée contre le gouvernement”, se félicite-t-il, toujours enthousiaste 30 ans après.
“Je ne voulais pas être ministre, je voulais mettre en place le Samu”
Alors, pourquoi pas Louis Lareng, parlementaire et puis aussi ministre ? On lui a demandé, mais “non, ce n’est pas ce que je voulais. Moi, je voulais mettre en place le Samu. Quand on est décidé à faire une chose qui paraît impossible à première vue, il faut être sur place pour la défendre, travailler les décrets, ne pas laisser les choses traîner. Si j’avais été ministre, il n’y aurait pas le Samu”, argumente-t-il.
Car les oppositions continuaient à être féroces. Le Pr Lareng résume : “Le corps médical était contre, il fallait aussi améliorer les transports sanitaires, cela gênait beaucoup de personnes qui s’étaient créé des rentes de situations sans contrôle ni organisation.” Le parlementaire s’est attelé à la tâche pour professionnaliser le concept, ce qui passait notamment par la formation des professionnels médecins et paramédicaux : “ça, j’en ai passé des lois…”, soupire-t-il.
Mais pas question de se reposer sur ses lauriers. Importateur en Europe de la télémédecine qu’il a découverte au Canada, Louis Lareng a créé l’Institut européen de télémédecine, qui a contribué à former nombre de thérapeutes. Et populariser la discipline en France.
Ex-président de la Fédération nationale de la protection civile (qu’il a créée, à la demande de de Gaulle), le professeur se rend tous les matins à son bureau de l’ARS de Toulouse, où se tient son secrétariat de président d’honneur d’un think tank travaillant sur les innovations en e-santé et l’intelligence artificielle. Mais la pénurie médicale le soucie.
“Aujourd’hui, ce qui manque ce sont les médecins. Il faut apprendre à la population la pratique d’un geste simple, qui peut permettre de sauver une vie.” Avec des patrons de la Croix-Rouge, des pompiers et des membres de la protection civile, le créateur du Samu est en train de mettre au point le principe d’une formation courte, pour apprendre aux citoyens un geste qui sauve.
“Si j’avais demandé des autorisations à qui que ce soit, je les attendrais encore”
“Je ne parle pas de soins ni d’une formation de secouriste. Mais mettre le poing sur une plaie qui saigne, faire du bouche à bouche ou dépanner le défibrillateur automatique s’il ne fonctionne pas bien, on doit savoir le faire après une formation très courte. L’homme est par terre, avec un os cassé, il faut tout simplement savoir comment on le bouge. On ne demande pas comment l’os s’est formé. C’est tout. Cela doit pouvoir s’apprendre en deux heures de temps”, plaide-t-il.
Quant à savoir s’il considère que 15 ans pour créer le Samu et 8 ans pour faire émerger la télémédecine en France, c’est bien long, Louis Lareng répond par une pirouette : “C’est long, mais quand on a une idée, il faut savoir saisir les opportunités qui passent. C’est l’histoire du blessé que j’avais sauvé à Toulouse, dont le père médecin était à son chevet. Si j’avais demandé des autorisations à qui que ce soit, je les attendrais encore !”
Légende photo additionnelle : Louis Lareng en 2013 (Wikipédia).
Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne
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