La quasi-totalité des data center, les bibliothèques numériques du XXIe, sont sous contrôle américain. Les Etats-Unis ont un quasi-monopole sur les données de santé et sur la recherche médicale numérique, plaçant l’Europe et la France dans une situation de totale vassalisation. Le combat est-il perdu d’avance ?
A Paris, au bord de la Seine, sur la rive gauche, trône en majesté La Bibliothèque nationale de France, François Mitterrand avec ses 4 tours de verre en forme de livres ouverts. Avec ses centaines de millions d’ouvrage de toute nature, la BNF renferme la quintessence de la culture humaine depuis que l’Homme crée et produit de la pensée jusqu’au XXe siècle.
Mais où est la culture du XXIe siècle qui n’est plus dans les livres mais dans le Big Data, ce monde numérique et virtuel qui produit chaque jour des milliards d’information dans tous les domaines ? Ce monde n’est d’ailleurs pas totalement virtuel car ces données doivent être stockées – comme les livres avec leur belle dorure sont rangés sur des étagères – dans des bibliothèques d’un genre nouveau : les data center. Ces bibliothèques ne s’exposent pas à la vue des passants et ne se visitent pas. Elles sont enfouies, dans des endroits généralement tenus secret. Ceux qui en détiennent les clés informatiques les gardent précieusement parce que leur contenu a une énorme valeur. En effet, l’information, la data, est l’or noir du 3e millénaire.
Et cette richesse-là – comme la richesse financière d’ailleurs – ne se partage pas. Elle est extraordinairement concentrée Outre-Atlantique.
Vassalisation de la France
En effet, une récente étude du cabinet Synergy Research révèle que les bibliothèques numériques du XXIe siècle sont toutes ou presque sous contrôle américain, soit parce qu’elles sont implantées aux Etats-Unis, soit parce qu’elles sont sous contrôle d’intérêt américain. 45% des data-centers sont sur le territoire américain, 8% en Chine, 7% au Japon et 5% au Royaume-Uni. La France – pas plus que l’Allemagne – ne figure dans ce top ten. Il existe des data-centers sur notre sol mais ils appartiennent à des entreprises américaines. (L’Usine nouvelle 21 décembre 2016)
Ainsi dans tous les domaines – dont celui de la santé – les chercheurs doivent passer sous les fourches caudines américaines. La dépendance – pour ne pas dire la vassalisation de la France et de l’Europe – est un fait acquis.
La preuve ? Illumina, est une très discrète société, implantée à San Diego. Pesant 20 milliards de dollars en bourse, elle détient le quasi-monopole des machines – les séquenceurs – permettant d’analyser le contenu de notre ADN. “90% des données issues du décryptage du génome dans le monde sortent de nos appareils” affirme, avec orgueil dans l’Expansion en décembre 2016, un des dirigeants de la firme.
Améliorer les diagnostics
D’autres exemples ? Alphabet – plus connu sous son illustre nom de Google – a fait de la santé, à côté de l’incontournable moteur de recherche, un axe stratégique de développement.
On connait assez bien Calico pour ses recherches sur le transhumanisme et l’immortalité. On connait aussi moins Google Genomics qui propose à la communauté scientifique une sorte de plateforme lui permettant de faire des recherches sur le génome mais, l’utilisation de ce ” Cloud” implique le partage des données produites !
On connait encore moins Deepmind, un département dédié à l’Intelligence artificielle qui travaille avec des hôpitaux britanniques pour déterminer si l’IA peut aider les médecins à améliorer leurs diagnostics sur certaines pathologies, et pourquoi pas, un jour les remplacer…
Il y a aussi Verily et Google Fit qui sont des sortes de fonds d’investissement qui prennent des participations minoritaires ou majoritaires dans des start-up ayant des projets en santé numérique pour mieux les avaler si le projet est porteur. Ils s’associent aussi avec des grands laboratoires – Sanofi, Novartis, notamment – sur des projets de développements.
Les ripostes européennes sont d’une pauvreté affligeante
Par ailleurs, il ne faut pas oublier IBM et sa fameuse plate-forme Watson, leader dans le domaine du traitement des data sur le cancer. “Nous travaillons déjà avec des hôpitaux pour les aider, sur la base des connaissances disponibles à proposer les traitements les mieux adaptés à chaque cancer. Et eux, aident Watson à acquérir toujours plus d’expertise” affirme en toute innocence Pascal Sempé, responsable santé d’IBM-France.
Les réponses ou plutôt les ripostes en France et en Europe sont d’une pauvreté affligeante. La loi santé a autorisé l’accès aux données du Sniiram et du Pmsi aux chercheurs qui doivent toutefois justifier de l’intérêt de leurs travaux. Autant demander à un train de banlieue de rattraper un TGV.
Le combat est-il définitivement et irrémédiablement perdu ? Tout le laisse penser mais, les seules batailles perdues sont celles qu’on ne livre pas.
Développer des projets
Dans les années 60 et 70, l’aéronautique civile était le monopole des Américains avec Boeing. Mais, l’Europe – plus exactement, deux pays européens, l’Allemagne et la France – décident de créer Airbus. On sait ce qu’il en est advenu : l’avionneur européen dépasse aujourd’hui l’Américain…
Et si les deux grands pays de l’UE – au lieu de se disputer sur les taux de déficit budgétaire et le nombre de migrants à accueillir – revenaient à leur rôle de moteur de l’Europe en développant des projets comme un Airbus de la santé numérique ?
Au demeurant, l’Europe des projets – pas celle des compromis sur le meilleur moyen de tuer la Grèce et celle des règlements sur la forme et la taille des tomates – est la seule à intéresser les peuples de plusieurs pays qui – si on en croit les enquêtes d’opinion – sont de plus à plus nombreux à vouloir suivre l’exemple britannique et à quitter une Europe à bout de souffle.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Philippe Rollandin*
* Philippe Rollandin est consultant en communication, observateur de la médecine libérale et du système de santé. Ce texte a initialement été publié sur Lalettredegalilee.fr.