“Pur produit de l’échec scolaire”, Aurore Canéla a attendu ses 38 ans pour réaliser son ambition : intégrer la fac de médecine. Refusant de bénéficier d’un quelconque “traitement de faveur”, cette mère de deux enfants a jonglé entre les cours, les gardes et les allers-retours aux Pays-Bas, où son mari a été muté. Arrivée en 1ère année d’internat, elle se rêve “en vieux médecin de famille installé à la campagne”.

 

“Je suis en 1ère année d’internat en médecine générale à la faculté de la Timone, à Marseille. Jusque fin avril, je suis en stage dans une clinique de soins de suite. J’ai 44 ans et j’ai deux enfants, deux garçons de 14 et 12 ans.

Avant de reprendre mes études de médecine, j’ai été infirmière pendant 10 ans. Pour passer le diplôme d’Etat d’infirmière, j’avais déjà dû reprendre des études. J’avais arrêté après le bac. Je viens d’une famille où les études ne sont pas valorisées : c’est pour les fainéants qui ont envie de rester assis derrière un bureau… Aller travailler avec ses mains, ça c’était bien ! J’étais un pur produit de l’échec scolaire. J’ai eu un cursus chaotique. Je suis passée par le BEP agricole, avant de passer un bac technologique. J’ai fait des tas de boulots, comme tirer des palettes à Auchan, jusqu’au jour où j’ai rencontré mon conjoint avec qui je suis depuis 20 ans. J’avais envie de faire des études, mais je ne me l’étais jamais accordé. Et là j’ai fait l’école d’infirmière.

J’ai effectué une grande partie de ma carrière d’infirmière en chirurgie dans une clinique parisienne. J’ai adoré être infirmière. Quand on me dit « t’as fait médecine parce que t’aimais pas faire infirmière », c’est faux ! Je voulais plus : je voulais comprendre ce que je faisais et avoir les bonnes armes pour être décisionnaire.

 

“Je comprends pas, t’as déjà un métier”

L’idée de faire des études de médecine m’est venue petit à petit, à chaque fois que je sortais courir… Naïvement, je me disais qu’en cours du soir, ça devait être possible. Je ne pensais plus qu’à ça. La première réaction de mon conjoint quand je lui en ai parlé a été : « je comprends pas, t’as déjà un métier ». Au bout de quelques minutes, il s’est rendu compte que j’étais décomposée. Finalement, il m’a dit « renseigne-toi ». Il a fallu monter un gros dossier car je n’avais pas le bon bac, etc. J’ai démissionné de mon boulot : si j’avais eu un filet, je me serais permis de rater.

J’ai intégré la Paces à 38 ans. Le plus difficile, ce n’est pas de se retrouver avec des jeunes de 18 ans. Dans mon boulot, je bossais souvent avec des petites jeunes. On se rend pas vraiment compte qu’on est plus âgé… jusqu’au jour où les gens se demandent qui on est et qu’est-ce qu’on a fait avant. Ma peur, c’était surtout sur le terrain. Qu’on me dise au cours d’un stage : « Pourquoi vous prenez la place d’un jeune ? » Au contraire, les gens ont été plutôt bienveillants, voire admiratifs. A l’exception du doyen…

La première année a été ultra intense. J’ai fini avec 14 de moyenne, mais les derniers pris en 2e année avaient pas loin de 16. Je suis passée grâce aux places complémentaires pour les paramédicaux. Si je n’avais pas été infirmière avant, j’aurais dû refaire une année et je ne suis pas sûre que j’en aurais été capable…

Après la première année, quoi qu’on en dise, c’est encore un combat. Si j’ai toujours tout validé, que je n’ai jamais eu de rattrapage, c’est parce que j’étais présente, que j’écoutais attentivement, même si c’est fatiguant. Ce qui était le plus problématique, c’était l’aspect financier car mes études n’étaient pas financées. Après, quand on fait médecine on n’a plus les mêmes besoins : il n’y a plus de coiffeur, de shopping, de restaurants. Les seuls moments qu’on arrive à libérer, c’est pour dormir. Ce qui m’a beaucoup coûté, c’est faire garder les enfants et les allers-retours en avion pour les Pays-Bas.

 

C’est dur pour mes enfants

En effet, alors que j’étais en 1ère année d’externat, mon conjoint a été muté au siège Europe de sa boîte, à Amsterdam. Officiellement, on est basés là-bas et c’est moi qui commute : je suis en France du dimanche soir au vendredi soir. Je n’ai jamais rien changé à mon organisation du travail. Quand j’avais des gardes, je les faisais. Je ne rentrais chez moi que 24 heures, voire je ne rentrais pas du tout. Je n’ai jamais eu de traitement de faveur. En fait, je ne parlais pas de ma situation, ou seulement quand j’apprenais à connaître les gens et qu’ils étaient amenés à comprendre. J’avais déjà pour moi d’être plus âgée…

Je venais en cours tous les lendemains de garde, alors qu’en théorie on peut bénéficier d’une matinée de repos. La seule chose que j’ai demandé au doyen, c’était de sauter la dernière heure de cours du vendredi, pour pouvoir prendre le dernier avion pour Amsterdam. Le doyen n’a jamais accepté de signer. Il a fini par me dire : « Mais enfin, pourquoi vous n’arrêtez pas ? » Je suis partie de son bureau en pleurant. J’ai quand même pris cette heure de cours grâce aux jeunes qui se mouillaient pour moi et signaient à ma place. C’était un risque à prendre, mais je l’ai pris, parce qu’à ce moment-là j’étais partagée entre ma famille et mes études. Ça me permettait de passer une nuit de plus chez moi et ça comptait, car c’est dur pour mes enfants…

 

J’ai eu un classement honorable aux ECN

J’ai profité des 3 mois de disponibilités avant le concours de l’internat pour rentrer chez moi. J’ai passé pour la première fois trois mois avec ma famille aux Pays-Bas. Je ne travaillais que 7 heures par jour -quand d’autres en travaillaient 15- parce que quand mes enfants rentraient de l’école, c’était terminé ! Evidemment, j’ai l’impression de ne pas en avoir fait assez, mais j’ai eu un classement honorable aux ECN.

J’ai pris médecine générale parce que c’est ce que je voulais et qu’à mon âge, ça aurait été une hérésie de choisir une autre spécialité. J’ai 44 ans, j’ai encore pas mal de gardes à avaler et l’air de rien, c’est fatiguant. On est debout, on n’arrête pas, on mange, on boit et on va aux toilettes que si on peut. A un certain âge, ça devient difficile. Et si on fait une spécialité, l’internat dure plus longtemps…

La médecine générale, c’est la belle médecine qui me plaît, celle qui touche à tout. Et c’est ce qui se rapproche le plus de mon projet de vie. Je rêve d’être un vieux médecin de famille à la campagne. Si j’étais jeune et libre et que je n’avais pas d’enfants qui aient besoin d’être scolarisés, j’irais dans le coin le plus perdu qui soit ! Dans l’idéal, j’aimerais avoir une partie salariée et une partie libérale, et travailler en réseau.

Il me reste deux ans et demi avant le diplôme. Ma famille est aujourd’hui au Pays-Bas, mais d’ici là, qui sait ? On a un diplôme européen, c’est juste la langue qui peut être un obstacle, mais ça s’apprend. Soigner des gens, c’est la même chose partout, même si le système de santé néerlandais n’a rien à voir. Il y a beaucoup plus d’éducation à la santé là-bas, les gens se prennent en charge. Les médicaments comme le paracétamol, l’aspirine et les anti-inflammatoires sont en vente libre au supermarché et si on va chez le médecin, c’est qu’on est vraiment mal. Il prescrit facilement un jour de repos pour rester à la maison, et très rarement des antibiotiques. Je ne trouve pas ça idiot… On fait plus de mal que de bien à médicaliser certaines choses, en étant trop interventionniste.

Avec le recul, je pense que mon âge a été une force. On a une vie construite et ça peut mettre des bâtons dans les roues, certes, mais je pense que je n’aurais pas été capable de faire médecine avant. L’âge et l’expérience de mon métier d’infirmière, savoir ce que c’est de se lever tous les jours pour gagner pas grand-chose, m’ont donné la niaque, la capacité à travailler et à ne jamais renoncer.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi Bonin