“Les généralistes ont beaucoup de Lyme dans leurs cabinets. Mais ils ne les voient pas comme tel”, regrette le Pr Christian Perronne, chef de service en infectiologie qui vient de publier La vérité sur la maladie de Lyme. Il dénonce une censure organisée autour de cette maladie, déplore que les médecins soient poursuivis, et réclame que des programmes de recherche puissent être financés.

 

 

Egora.fr : La maladie de Lyme est un sujet sensible chez les médecins. Comment l’expliquez-vous ?

Pr Christian Perronne : Il y a eu une telle censure sur cette maladie, on a nié cette maladie pendant 40 ans, on dit que c’était une maladie imaginaire… La maladie de Lyme était très peu enseignée pendant les études. On a expliqué que c’était facile à diagnostiquer, avec un érythème migrant, des signes cliniques clairs, une sérologie parfaite et que ça guérissait en 15 jours d’antibiotiques. Ce n’était même pas la peine d’en parler. Les médecins généralistes en France connaissaient à peine le nom de la maladie il y a quelques années. Ils pensaient qu’ils n’en verraient jamais, que ça n’existait qu’aux Etats-Unis, alors que c’était décrit en Europe depuis plus d’un siècle.

Le drame de ces malades, pour la forme chronique, c’est que les signes sont subjectifs. C’est “j’ai mal”, “je suis fatigué”, “je n’arrive pas à me concentrer”… Le médecin dit que c’est le stress, le surmenage, que c’est psy. Et les signes objectifs, qui peuvent toucher la peau, les os, le cœur, les muscles, les articulations ou les nerfs, ne sont pas spécifiques du Lyme. Il va toujours y avoir un autre diagnostic. Et puis quand ces malades insistent trop, se plaignent et harcèlent trop leur médecin, ils sont envoyés en psychiatrie. Les hôpitaux psychiatriques sont remplis de “lymés”, j’essaie d’en sortir régulièrement.

Il y a aussi la dérive actuelle de la médecine. La médecine factuelle, ou médecine basée sur les preuves, repose sur un trépied. Un tiers pour les données scientifiques, un autre pour l’expérience du médecin, et un dernier tiers pour le désir du patient. On doit tenir compte des trois. Aujourd’hui quand on parle de médecine factuelle, on ne parle que des publications dans les journaux médicaux ou des études randomisées. On apprend au jeune médecin que si un patient se plaint de trop de choses, c’est psychosomatique. On ne croit plus que ce qui est prouvé. Il faut une imagerie, un test biologique, un traitement publié contre placebo… C’est très bien dans certains cas, mais des situations complexes et multifactorielles sont beaucoup trop compliquées pour être évaluées avec les techniques actuelles. On n’a jamais la preuve de ce qu’ont ces malades. Ils échappent aux radars des examens complémentaires. Ils sont dans un no man’s land entre la microbiologie et la psychanalyse.

Vous comprenez les réticences des généralistes par rapport à la maladie de Lyme ?

Tout à fait. Les généralistes ont beaucoup de Lyme dans leurs cabinets. Mais ils ne les voient pas comme tel. Ce qui leur fait peur, et je comprends, c’est qu’une consultation de Lyme peut durer une heure, surtout au début. Et ils n’ont pas le temps, ils ont un boulot de dingue. Je ne les attaque pas du tout, au contraire, j’ai beaucoup d’admiration pour leur métier. Ils ont été formés comme ça, je ne leur jette pas la pierre. Ils travaillent en réseau avec des spécialistes qui disent “Lyme, ça n’existe pas”. Ils entendent ça tout le temps.

Ce qui nuit aussi à la cause du Lyme, c’est qu’il n’y a pas eu beaucoup de publications dans des grands journaux. Il y a beaucoup de publications scientifiques, mais du fait de la censure qui a été organisée autour de cette maladie, elles n’ont pas pu être acceptées dans certains journaux majeurs. Ils ont toujours refusé de publier contre ce que disait la Société américaine de maladies infectieuses (IDSA). Et tout ce qui n’a pas été publié n’existe pas.

Vous avez le sentiment que tout ça est en train de changer ?

Oui, la ministre vient de donner le feu vert pour financer un projet de recherche sur le Lyme et les co-infections, avec une partie vétérinaire. C’est la première fois qu’un tel projet en France est accepté. Avant, il n’y avait aucune recherche. Ou alors de la recherche bidon avec des “experts” qui ont obéi à l’IDSA sans se poser de questions. En Europe, y compris à Strasbourg, tous les centres de référence ont été inféodés à l’IDSA.

J’ai aussi travaillé sur la tuberculose, sur le Sida, l’hépatite C… Quand j’ai déposé des projets de recherche dans ces domaines, ce n’était pas toujours facile, mais j’ai toujours réussi à avoir des financements. On avait aussi l’aide de l’industrie. Comme elle n’est pas dans le Lyme, on n’a pas de fonds. Elle n’y a pas adhéré parce qu’on n’a pas arrêté de leur dire que c’était une maladie rare qui guérissait seule. Ils doivent changer de regard sur ces maladies. Ils vont y venir.

Vous faites beaucoup référence au Sida dans le livre. Vous faites un parallèle concernant le déni de la maladie ?

Oui, même si le déni du Sida a duré très peu de temps par rapport au Lyme. Les deux maladies ont un peu émergé au même moment. Le Sida a connu un déni terrible. Au début ça a été très dur pour les malades. Ce sont les mouvements des patients qui ont permis une prise de conscience politique. Ça a débloqué des sommes énormes. Tout n’a pas été rose du jour au lendemain, mais des progrès rapides ont été faits. Alors que le Lyme n’a pas bougé d’un poil depuis 40 ans.

Certains vont dire, encore pendant un certain temps, que je raconte n’importe quoi, mais il faut que ça bouge. Beaucoup de généralistes soignent des malades de Lyme, mais ils ont peur parce que certains ont été suspendus par le Conseil de l’Ordre. C’est quand même grave, il faut que ça s’arrête. Il y a des lois aux Etats-Unis pour les protéger, au Canada aussi. Mais en France, on continue de les attaquer.

Les médecins hospitaliers ne vont pas se mettre au Lyme avant des années. Il faut que les médecins, en premier lieu les généralistes, qui y croient soient formés. Comme on l’a fait pour le Sida au début. Les infectiologues qui avaient pignon sur rue se moquaient du Sida, en disant que c’était une lubie d’un petit nombre de médecins. Il y avait très peu de centres dans les hôpitaux, mais très vite se sont mis en place des réseaux ville-hôpital avec les généralistes. La plupart des généralistes voyaient très peu de malades vivants avec le VIH. Mais quelques-uns, très motivés parce qu’ils étaient sensibilisés, ont fait un travail superbe. Ils ont fait bouger les choses, il y a eu une reconnaissance gouvernementale et il y a eu des moyens pour la recherche.

Vous expliquez que la crainte de la maladie de Lyme s’explique par une crainte de prescrire trop d’antibiotiques ?

C’est la principale cause de résistance de beaucoup de médecins. Ce qui m’énerve c’est qu’ils sont tombés dans une sorte de lutte contre les antibiotiques, à mon avis excessive et maladroite. Ils ont fait fuir l’industrie pharmaceutique qui ne développe plus les milliers de molécules anti-infectieuses qu’ils ont dans leurs placards. Et surtout, ce qui est idiot, c’est qu’il y a des molécules anti-infectieuses qui sont des anti-parasitaires qui ont une action sur les Borrelia et les maladies associées. Il y a même des anti-lépreux qui marchent. Mais on n’a plus le droit de les utiliser si on n’a pas une certitude diagnostique, donc dans le Lyme, on est mal parti. On a plein de bâtons dans les roues pour développer des stratégies qui n’auraient pas d’influence sur la résistance aux antibiotiques. Si je parle de ça à mes collègues, ils vont me dire “Des anti-parasitaires dans le Lyme ? C’est du charlatanisme.” Non, c’est publié. Mais ils ne connaissent pas la littérature.

Que conseiller à un généraliste sur le sujet ?

Je lui conseillerais de se former. Quelques groupes de généralistes assurent des formations. Ce n’est pas d’un niveau scientifique très élevé pour l’instant. Ils ont leur expérience, ils ont l’expérience de choses publiées, mais tout dans cette expérience n’est pas publié. C’est un peu ce qu’on leur reproche.

Il faut surtout que les autorités acceptent que des formations soient faites par des médecins qui croient au Lyme chronique et qui en ont l’expérience. Pour l’instant c’est compliqué.

Il faut aussi un engagement formel des autorités pour arrêter les persécutions de médecins. A ce moment-là, on pourra commencer à travailler en réseau, faire des formations… Il faudrait mettre très rapidement autour de la table les quelques laboratoires de biologie vétérinaire qui font des diagnostics superbes et qu’on puisse organiser le transfert de cette technologie sur des laboratoires de microbiologie humaine. Les animaux sont mieux dotés en termes de tests que les humains. C’est quand même un scandale.

 

Un nouveau protocole de soins en juillet

Marisol Touraine a annoncé un nouveau protocole de diagnostic et de soins, qui sera présenté en juillet. C’est une demande importante des acteurs de la maladie de Lyme, qui dénoncent aujourd’hui un protocole imposant des tests de diagnostics qu’ils jugent peu fiables.

Un groupe de travail, auquel participeront des représentants de malades, doit être constitué. Il se réunira pour la première fois en mars.

“C’est une avancée positive car ce programme va remplacer la Conférence de consensus de la SPILF de 2006, maintenant considérée comme obsolète par le ministère”, a réagi le Pr Perronne. “J’espère que les futurs participants dont beaucoup ne croiront toujours pas au Lyme chronique mettront de la bonne volonté pour avancer. Il y aura dans le groupe des représentants de malades, ce qui est crucial.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin