Médecins du Monde, la Fédération des acteurs de la solidarité (Fnars) et le Collectif interassociatif sur la santé (Ciss) ont, le 10 janvier, saisi le Défenseur des droits des cas de douze médecins ou dentistes qui avaient fait figurer “pas de CMU” ou “pas d’AME” sur des sites de prise de rendez-vous en ligne. Des pratiques discriminatoires qui devraient faire l’objet de sanctions ordinales. En surfant quelques minutes sur Internet, nous avons nous-même trouvé plusieurs praticiens faisant mention d’un refus de patients en CMU ou AME. Loïc Blanchard, responsable juridique de Médecins du Monde, nous éclaire.
Vous pouvez trouver ci-dessous les images de fiches Doctolib et Monrdv des médecins indiquant leur refus de patients CMU ou AME.
Egora.fr : Comment Médecins du Monde, la Fnars et le Ciss en sont arrivés à saisir le Défenseur des droits ?
Loïc Blanchard : Nous rencontrons souvent cette problématique du refus de soin. Dans ses différentes structures de soins primaires, Médecins du Monde accueille des personnes en situation de grande précarité. Que ce soit par des services publics sanitaires ou -majoritairement- dans le secteur privé, la question des refus de soins est récurrente. Des documents du Défenseur des droits existants listent déjà un certain nombre de types de refus de soins : du rendez-vous extrêmement tardif à la réponse explicite “Vous avez une CMU, je refuse de vous voir”. Il est toujours très difficile de démontrer le refus de soins.
Aujourd’hui, certains médecins se sentent autorisés à écrire leur refus de soins sur des sites de prise de rendez-vous en ligne comme Doctolib, par exemple. Au vu et au su de tout le monde, ils écrivent leur refus de patient en CMU ou AME. Cela a plutôt tendance à nous inquiéter parce que cela démontre que refuser les patients en CMU ou AME est considéré comme toléré et acceptable. On s’interroge sur leur perception de la déontologie médicale.
La saisine du défenseur des droits concerne douze médecins. Mais ils sont beaucoup plus nombreux dans ce cas…
Oui, il y en a beaucoup plus. Les douze que nous avons utilisés pour démontrer les faits avaient pour vocation d’alerter de façon plus générale le défenseur des droits et les ordres professionnels. Cela va, bien évidement, au-delà de ces douzepraticiens. Une des problématiques complexes est de trouver des éléments de preuves pour démontrer le refus de soins.
Cette fois-ci vous avez la preuve… Au-delà du défenseur des droits, allez-vous porter plainte ?
Nous ne sommes pas dans une démarche judiciarisée. D’autant qu’en terme strictement légal, pour déposer plainte, il nous faudrait avoir une qualité à agir, que juridiquement il serait compliqué à démontrer. Mais ça n’est pas le propos. Le but de cette action n’est pas d’attaquer spécifiquement quelques médecins pénalement. Le propos est vraiment d’alerter les pouvoirs publics à travers le Défenseur des droits, qui a une compétence en la matière. Nous voulons aussi en informer les ordres professionnels.
D’autant qu’au travers de la loi de santé, il a été confié aux Ordres des médecins, des chirurgiens dentiste et des sages-femmes une mission de créer une commission pour évaluer les pratiques de refus de soins.
En cas de dépôt de plainte, que risquent les médecins ?
Les risques sont de nature pénale. L’article 225-1* du code pénal érige une nouvelle infraction sur des pratiques de discrimination qui sont dues à des situations de particulière vulnérabilité. L’article 1110-3* du code de la santé publique sanctionne les discriminations sur l’accès à la prévention et aux soins, qui sont aussi érigées en infraction pénale. Il y a aussi les sanctions que les ordres professionnels peuvent prendre.
Au-delà de la sanction pénale, qui n’est pas le but de notre démarche, nous voulons vraiment alerter les pouvoirs publics et les Ordres concernés sur la situation, afin qu’ils prennent leurs responsabilités.
Certains médecins justifient le refus de patients en CMU par le fait qu’ils n’ont pas de lecteur de carte. Est-ce une excuse valable, légalement ?
Ça ne tient pas et ça n’a pas de sens. L’utilisation de la carte vitale est une pratique qui se généralise. Ça n’est pas un argument. Les douze cabinets pour lesquels nous avons alerté le défenseur des droits ne sont pas de petits cabinets. Je suis assez peu enclin à croire qu’ils n’avaient pas de lecteur de carte.
* L’article L. 1110-3 du code de la santé publique qualifie le caractère illégal de tels refus : aucune personne ne peut faire l’objet de discriminations dans l’accès à la prévention ou aux soins. Le fait d’annoncer publiquement le refus de ces patients, même en les réorientant vers les hôpitaux publics, est contraire aux articles 225-1 et 225-2 du code pénal interdisant les discriminations. Cette pratique est ainsi susceptible de caractériser une discrimination en raison du statut, de l’état de santé ou éventuellement de la vulnérabilité économique des patients concernés.
Pour le Dr André Deseur, vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins, “les médecins qui font état du principe de refus de soins des personnes au motif qu’elles seraient attributaires de la CMU-C, de l’AME ou de l’ACS ont un comportement fautif. Des lors que l’institution ordinale en serait saisie, ils doivent pouvoir faire l’objet de sanctions disciplinaires. Le fait d’afficher que l’on refuse les attributaires de la CMU-C ou de l’AME est discriminatoire, contraire aux obligations professionnelles et contraire à la loi. Nous n’avons encore jamais été saisis de cette manière et pour ces cas, mais les médecins encourent en première intention un avertissement ou un blâme sous le contrôle de la chambre disciplinaire nationale d’appel, qui est présidée par un conseiller d’Etat. La persistance ou la réitération peut aboutir à une sanction plus grave”.
Actuellement, le Défenseur des droits instruit près de 50 dossiers concernant les refus de soin. Les suites qui peuvent être données à l’instruction du Défenseur des droits sont les suivantes :
un rappel à la loi (lire ci-dessus) ;
transmission des conclusions du Défenseur des droits aux Ordres pour traitement par les chambres disciplinaires ;
demande au ministre de la Santé de mener une campagne d’information sur les refus de soins ;
demande à l’Assurance maladie de diligenter une enquête pour connaître précisément le pourcentage de bénéficiaires d’une protection sociale qui se voient refuser des soins par les médecins mis en cause.
Le Défenseur des droits avait publié il y a deux ans un rapport “Les refus de soins opposés aux bénéficiaires de la CMU-C, de l’ACS et de l’AME”, qui montrait que le droit à la santé n’était pas encore acquis pour les personnes en situation de précarité.
Voici les captures des pages Doctolib et Monrdv refusant les CMU ou AME.
Cliquez sur les images pour les agrandir.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin