Etendu à tous les patients résidents réguliers en France, pour la part obligatoire, notre système d’assurance maladie est critiqué pour la lourdeur et le coût de gestion de son architecture spécifique, reposant sur un régime obligatoire et des complémentaires. D’où le rêve de plusieurs économistes, politiques et syndicalistes d’intégrer les mutuelles dans un régime unique d’assurance maladie universelle. Une idée d’étatisation qui pourrait bien s’inviter dans la campagne présidentielle.
 

 

Le pavé dans la mare jeté par François Fillon avec son projet de réforme de l’assurance maladie, aura au moins permis à tous les Français de réfléchir à leur assurance maladie, et mesurer à quel point ils y sont attachés. Le candidat vainqueur avait prévu dans la V1 de son programme santé, de recentrer l’assurance maladie sur les remboursements des malades en ALD ou les plus graves, reportant sur les mutuelles et assurances privées (encadrées par une agence), le soin de rembourser le “petit risque”. Tollé, et retour à la case départ pour cette partie du programme, dont une nouvelle version sera dévoilée à la fin du mois, lors d’un meeting à Paris.

 

Mesure de “bon sens”

Petit et grand risque, c’est une notion totalement dépassée“, avait immédiatement lâché Claude Leicher, le patron de MG France suivi par d’autres médecins généralistes, pointant l’inanité de cette notion, pour un soignant. Pour sa part, Marisol Touraine avait évidemment trouvé dans la profession de foi de l’ancien Premier ministre, matière à vanter sa propre politique. Laquelle, affirme-t-elle régulièrement, est parvenue à couvrir sans déremboursements et malgré les difficultés budgétaires de l’assurance maladie, autant les rhumes et angines familiales, que les derniers jours de la vie, les plus coûteux. Exact, si l’on excepte les nombreux déremboursements de médicaments, dont la classe des antiarthrosiques, particulièrement touchée. 

La santé est donc entrée par la grande porte, dans la campagne présidentielle. Et s’impose dans la durée, avec cette nouvelle idée d’assurance maladie universelle ou de remboursement des soins à 100 %, promue par un certain nombre de responsables politiques ou d’économistes de gauche ou simplement de “bon sens”, comme ils le disent, pour des raisons de fond et de forme.

Il en va ainsi de Martin Hirsch, créateur du RSA, homme de gauche (mais ministre de Nicolas Sarkozy), aujourd’hui directeur de l’AP-HP de Paris, qui vient de signer une tribune dans Le Monde, avec Didier Tabuteau, directeur de la chaire santé de Science Po, ancien directeur de cabinet de Martine Aubry et Bernard Kouchner, notamment. Ces éminents spécialistes y défendent une idée “à contre-courant de la pensée dominante” pour “améliorer la protection des Français et réduire les dépenses”  : “étendre l’assurance maladie à l’ensemble des dépenses de santé, en incluant dans la sécurité sociale la couverture complémentaire.

 

Six milliards d’euros par an de frais de gestion

Interrogé par Egora.fr, Claude Le Pen, professeur d’économie à Paris Dauphine, rappelle que notre système de santé à une particularité pratiquement unique, puisqu’il est constitué d’un socle obligatoire pour tous, l’assurance maladie, et d’un étage complémentaire, constitué des mutuelles, assurances privées et institutions de prévoyance, dont le coût est fiscalisé pour les seuls salariés, “et qui est devenu obligatoire depuis l’accord ANI (accord national inter-régime), toujours pour les seuls salariés”.

Notre système “à deux étages”, assurance-maladie et couverture complémentaire (assurances, mutuelles), est “source de complexité, de coût et d’iniquité”, assurent d’ailleurs les deux auteurs de la tribune du Monde, expliquant que les complémentaires santé et la sécu dépensent chacune six milliards d’euros par an en frais de gestion et que leur fusion permettrait “de faire des économies substantielles”.

Six milliards d’euros de frais de gestion, cela représente 4 % environ de la masse financière transitant par l’assurance maladie, qui peut réaliser de solides économies d’échelles et bénéficie d’un marché captif. Mais cela représente parfois jusqu’à 20 % de frais de gestion, pour assurances et autres mutuelles, installés les unes comme les autres dans un univers hyper concurrentiel et qui n’hésitent pas de ce fait, sur les frais de prospection et de publicité tant sur les ondes que dans les médias en général.

De quoi faire réfléchir, en effet. Cette assurance maladie universelle “permettrait de réinjecter à terme des milliards d’euros (…) dans le financement de médecins, d’infirmiers, d’hôpitaux”, rêvent les deux auteurs. “Plus besoin du système particulier de la CMU complémentaire ni d’aide à l’acquisition d’une complémentaire, plus besoin de prévoir la couverture à 100% des affections longues durées (ALD) et plus de moyens à consacrer aux soins et moins aux procédures administratives”, affirment-ils.

 

“Permettre au médecin de rattraper le coût de la pratique”

Voilà la mesure la plus intelligente jamais entendue depuis le début de cette campagne“, a immédiatement salué Jean-Paul Hamon, le patron de la Fédération des médecins de France, en soulignant en substance que la contrepartie de l’augmentation des honoraires médicaux était non négociable. Ce qui n’interdirait pas la pratique des dépassements d’honoraires “pour permettre au médecin de rattraper le coût de la pratique”.

La suppression du ticket modérateur pour les soins primaires, on y viendra tôt ou tard”, argumente Claude Leicher, partisan depuis longtemps d’une disposition reprise par Manuel Valls, dans son programme pour la primaire. Idem pour Jean-Luc Mélenchon, qui veut l’étendre à tous les soins. “Il y a 11 milliards d’euros qui ne servent pas aux remboursements des soins. Cette double gestion interdit une bonne organisation du tiers payant obligatoire. Supprimer ce double circuit relève de la pure logique“’. Le modèle de MG France : le régime Alsace-Lorraine, le seul à l’équilibre, qui propose un remboursement à 90 % des consultations, en tant que gestionnaire de la part obligatoire et complémentaire des cotisations. “Il n’y a pas de dédoublement de frais. Cette proposition reste sur la table”.

Interrogé par Egora sur la pertinence des propositions de certains candidats à la primaire de la gauche, qui imaginent mettre en place une mutuelle pas chère, ou dépendante de la sécurité sociale, comme le proposent Arnaud Montebourg ou Vincent Peillon, le patron de MG France regrette que leur réflexion ait été à ce point embryonnaire. “C’est démagogique, infaisable, irréaliste. Les frais de collecte seront les mêmes que la mutuelle soit chère pour l’assuré ou pas. Il s’agit d’une mesure qui ne sera jamais mise en place“.

Un autre économiste et non des moindre, Pierre-Yves Geoffard, professeur à l’école d’économie de Paris et directeur d’études à l’EHESS (école des hautes études de sécurité sociale), imagine un système où la sécurité sociale prendrait en charge le ticket modérateur ou le forfait hospitalier, aujourd’hui remboursé par les complémentaires, laissant à ces dernières le remboursement des prothèses dentaires et auditives et des lunettes, qu’elles solvabilisent aujourd’hui à près de 90 %. “Les frais de gestion de l’assurance maladie seraient fortement réduits, et chaque assureur pourrait s’engager dans une véritable gestion du risque, dont il aurait la responsabilité pleine et entière”, fait-il valoir dans une tribune parue dans Libération, le 17 janvier dernier. Un projet qui se rapproche de celui de François Fillon, première mouture, et préserve le rôle des mutuelles, mises à bas par la gauche. Ce qui n’est pas le moindre des paradoxes, au vu des longues années de compagnonnage ayant lié le parti socialiste et le mouvement mutualiste.

 

Chambardement

Oui mais voilà. Un tel chambardement sur la sécu n’aurait pas pour seule conséquence, la réduction des frais de gestion. Il serait synonyme de changement de système et d’étatisation complète du système de santé. Et pourrait même induire une suppression des dépassements d’honoraires, aujourd’hui pris en charge par les mutuelles. Pour Claude Le Pen “une telle réforme ne serait pas juste une mesure technique pour économiser les frais de gestion. Ce serait un vrai changement de philosophie. Dans certains pays comme l’Angleterre où existe un seul payeur, il y a un fort contrôle sur les soins, avec des restrictions ou même un rationnement“, a-t-il expliqué dans La Croix.

Autre sujet : le devenir des mutuelles et assurances santé. Martin Hirsh et Didier Tabuteau imaginent pour elles une réforme “avec une période de transition de quatre ou cinq ans”, et l’intégration de certains personnels dans les équipes de l’assurance maladie. En outre, l’ensemble de cette réforme serait soumise à un référendum. 

Principal intéressé par ces propositions et sans doute un peu lassé que toutes ces personnes postulent pour le mouvement mutualiste, Thierry Beaudet, le président de la Mutualité française, considère que cette réforme serait préjudiciable pour nos concitoyens. Elle serait d’une part, source de “déséquilibre de manière très importante, peut être définitivement d’une construction sociale à laquelle l’ensemble de nos concitoyens sont à juste titre fortement attachés“, affirme-t-il.

Interrogé par Les Echos, ce jeudi, le président de la Mutualité française estime que la suppression des 6,8 milliards de frais de gestion, ne se traduirait pas par un réinvestissement dans le soin. “Supprimer les complémentaires santé signifierait la disparition de 5,3 milliards d’euros de recettes fiscales (…) et une triple casse, sociale avec 85 000 salariés dehors pour les seules mutuelles, dont 15 000 professionnels du soin, une fragilisation de l’assurance maladie obligatoire déjà déficitaire et enfin, la réduction de l’offre de soins à tarifs accessibles” (…). Il estime que, privé de cette activité d’assureur, les mutuelles ne seront plus en capacité de demeurer des acteurs sanitaires et du médico-social.

Des prévisions alarmistes, qui n’empêchent pas nos concitoyens, et le pouvoir politique, de critiquer fréquemment les mutuelles, à la fois pour leur opacité, l’importance de leurs bénéfices et la lourdeur de leurs frais de gestion.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne