Tous les services d’urgence de France tiendraient un registre des perles de patients. Une sorte de catharsis pour ces professionnels confrontés au meilleur et au pire de la nature humaine. Chroniqueur dans l’âme, le Dr Philippe de Boërio a rassemblé les 200 anecdotes les plus drôles et les plus loufoques dans Les Perles des urgences (Ed. Leduc, 9.90 euros). Des histoires qui font sourire, mais interpellent aussi sur la tendance à appeler le 15 pour “tout et rien”.

 

Demain, ne manquez pas notre Top 10 des perles des urgences.

 

Egora.fr : Comment avez-vous collecté ces perles ?

Dr Philippe de Boërio : J’écris des chroniques de ma vie médicale depuis des années. J’ai commencé à SOS médecins, souvent au terme des nuits. La nuit, tout est plus fort. Les émotions sont plus fortes, les confidences plus intenses. Psychologiquement, les rencontres, les situations humaines sont différentes de celles de la journée. Je ne pouvais pas finir une garde à 6 h du matin, ranger ma voiture et me coucher. J’avais besoin de faire ressortir ce que j’avais vécu dans l’écriture. C’était un bon moyen de séparer la vie professionnelle et la vie personnelle. Quand Facebook est arrivé, j’ai commencé à publier ces anecdotes.

Plus tard, j’ai continué à faire ces chroniques aux urgences et au Samu. De temps en temps, je collectais des perles des autres. J’avais un stock mais ce n’était pas suffisant pour un livre. J’ai donc interrogé les confrères des 3 Samu dans lesquels je travaille – 27, 78, 92 – et des urgences de Mantes-la-Jolie. Et puis dans tous les services d’urgences – c’est méconnu – on a toujours un registre des perles des patients. J’ai lancé un appel sur les sites dédiés aux professionnels du Samu pour qu’ils partagent ces perles. J’en ai reçu des centaines ! Mais elles étaient trop souvent incompréhensibles du grand public… Quand on utilise l’anesthésiant Pentothal et que les gens nous disent “j’ai reçu du pain complet”, nous ça fait sourire mais ça fait pas rire les gens.

Personnellement, quel est votre plus grand fou rire ?

Un dimanche soir, une mère m’appelle à propos de sa fille de 17 ans, qui a mal au bide. C’est une constipée chronique, qui va aux toilettes une fois par semaine, elle a tout le temps mal au ventre. J’aurais très bien pu l’envoyer à la pharmacie, mais bon un dimanche soir, à 23 heures… Je lui dis : “Pour la dégager un peu, vous pourriez faire un petit lavement avec de l’eau chaude. Est-ce que vous avez une poire ?” “Des poires on en a pas, mais des pommes et des clémentines on en a”. Ça, c’est délicieux. Par respect pour la personne, je n’ai pas rigolé, mais j’ai serré les dents de rire.

Une autre qui est arrivée récemment et donc n’est pas dans le livre. Une jeune fille de 18 ans qui tombe enceinte suite à une soirée en boite avec un copain. Coup du sort : grossesse gémellaire. Aux urgences, on en parle. Et là vient une question d’une naïveté… “Docteur, pour mes jumeaux, ma grossesse ce sera 9 ou 18 mois ?”

Il y a aussi ce jeune des cités qui tirait sur la corde aux urgences et voulait absolument un arrêt maladie ; je ne sais plus ce qu’il avait, mais ça relevait de l’ongle incarné. Il me l’a demandé plusieurs fois et devant mon refus, a fini par lancer : “ziva docteur, un arrêt fatigué !” J’ai éclaté de rire.

Parfois, c’est nous qui faisons les gaffes. Un jeune homme avec une dame d’un certain âge que l’on prend pour sa mère, alors que c’est sa compagne… Et comment gérer le monsieur de la quarantaine avec la femme et la maitresse ? Une dans le couloir, l’autre dans la salle d’attente parce que monsieur a eu un accident : ça nous est arrivé plusieurs fois avec les infirmières. On est confronté à la réalité de la vie. Tous les secrets, toutes les trahisons, tout tombe quand on est face à la vie, à la mort. Tout s’ouvre au grand jour. On a matière à collecter des perles en permanence. Mais parfois c’est plus dramatique… Je prépare d’ailleurs un ouvrage, une chronique des urgences, où je raconte la solitude, le chagrin des gens. Ces personnes âgées qui nous appellent la nuit pour des douleurs imaginaires parce qu’elles ont juste besoin de parler, de ne plus être seules.

Que révèlent ces anecdotes de l’état des urgences en France ?

On est dans la nature humaine, dans la spontanéité. Le langage médical est compliqué, les gens confondent les mots et font des néologismes… Il n’y a pas de message politique.

On voit quand même qu’il y a des gens qui vont aux urgences ou sollicitent le Samu pour rien… Comme cette personne qui appelle pour savoir si elle peut boire un Efferalgan dont les bulles se sont envolées. Est-ce que vous en voyez de plus de plus ?

En régulation centre 15, on a toujours des demandes loufoques. Comme l’histoire de : “j’ai congelé mon sperme, mon frigo est en panne : est-ce que je peux aller à l’hôpital pour vous l’amener ?”

Mais effectivement – j’en parlais hier soir avec un collègue –, maintenant on a des dizaines d’appels qui ne relèvent pas de l’urgence qui tombent sur le 15. Il y a quelques années, le 15 c’était pour un truc grave. Aujourd’hui, comme pour les pompiers, on appelle pour nous dire : “Mémé est pas comme d’habitude, je la trouve un peu fatiguée, j’aimerais qu’elle aille aux urgences ; envoyez-moi une ambulance avec des pompiers.”

Nos autorités administratives ont canalisé le besoin de réponse de la population aux problèmes médicaux. Il y a de moins en moins de généralistes. Avoir un rendez-vous dans la journée, ça devient une gageure ; on parle plutôt d’une semaine. Alors les gens vont aux urgences pour une bronchite. L’Etat providence est bien inscrit dans les mentalités… Les gens appellent pour tout et rien au 15. Le numéro n’a plus cette connotation de gravité. “Un conseil médical, appelez le 15” : ça fait partie des campagnes de publicité de notre numéro. Aujourd’hui, on est prestataires médicaux pour du grave et du moins grave. On remplit la mission, mais pour nous c’est un enfer. Cette nuit, j’ai régulé un appel toutes les 2 minutes, pour du petit conseil. Cet ouvrage, avec ces demandes loufoques ou abusives, reflète cette tendance.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques