Installée depuis un peu plus d’un an dans un village de la côte bretonne, le Dr Isabelle Ezanno a vu affluer les patients des communes alentours, au fil des départs en retraite. Jeune maman de deux enfants, elle ne peut plus faire face. Pour ne pas sacrifier sa vie de famille ou déplaquer, elle a choisi de transférer son cabinet dans une maison de santé. Pour cette généraliste de 39 ans, les élus locaux comme les professionnels de santé installés sont coupables de ne pas avoir préparé l’avenir.
 

 

Pendant 7 ans, j’ai exercé en cabinet de groupe à Saint-Etienne, dans la Loire. Pour des raisons personnelles, j’ai souhaité m’installer en Bretagne. En avril 2015, je suis venue dans les environs de Carnac (Morbihan) pour prospecter en vue d’une association ou d’une collaboration. En vain.

Je me suis finalement installée en septembre 2015, à Crac’h. Suite au départ d’un médecin, la mairie proposait à la location un local, qui ne pouvait contenir qu’un bureau. L’idée de m’installer seule ne m’inquiétait pas plus que ça… Ce n’est pas une zone sous-dotée. La côte est attractive, notamment pour les médecins parisiens qui veulent y finir leur carrière.

 

Contrainte de travailler jusqu’à 5 jours avant mon accouchement

Au départ, le rythme me convenait. Petit à petit, j’ai vu arriver des patients de la commune voisine, Saint-Philibert. Le médecin de la commune était partie à la retraite quelque mois auparavant et certains patients n’ont pas souhaité être suivis par son successeur. Je voyais en moyenne 15 patients par jour. Mais du jour au lendemain, en février dernier, je suis passée à 30 patients par jour : ce dernier venait de partir sans préavis. Il a fallu que je prenne un secrétariat à distance car je ne pouvais plus gérer les appels. J’ai même été contrainte de travailler jusqu’à 5 jours avant mon accouchement !

C’était plus de patients que je ne pouvais, et plus que je ne voulais. J’ai connu ce niveau d’activité à Saint-Etienne, mais c’était dans un autre contexte avec des patients moins lourds. Aujourd’hui, j’ai deux enfants : l’un de deux ans et demi, l’autre de 5 mois. Je veux pouvoir consacrer plus de temps à ma vie familiale. Les patients vous demandent des nouvelles de vos enfants, à 19 heures, sans se douter qu’on aimerait plutôt être auprès d’eux qu’au cabinet…

 

Je ne veux pas travailler 70 heures par semaine

Je ne pouvais plus être seule à assurer le travail. Et les jeunes collègues que j’arrivais à trouver pour des remplacements ne souhaitaient pas s’installer seuls. Alors j’ai rencontré le maire de Saint-Philibert pour évoquer son projet de maison de santé. Je me suis posée beaucoup de questions sur le fait de transférer mon cabinet là-bas… Si je veux pouvoir exercer 25 ou 30 ans, il faut que ce soit dans de bonnes conditions. Je ne veux pas travailler 70 heures par semaine, être sur le pont 24h/24 comme les médecins d’avant.

La construction de la maison de santé a démarré le jour où je me suis engagée. Il y aura deux ou trois cabinets médicaux, un cabinet infirmier, deux kinés, un ostéopathe et un podologue. L’inauguration est prévue en 2018.

Il y a forme d’incompréhension, de méconnaissance des élus locaux. Ils veulent tous leur propre maison de santé, mais c’est souvent trop tard et les conditions ne sont pas forcément réunies pour qu’il y ait plusieurs médecins sur chaque commune. Les médecins ne tombent pas du ciel. Pour que les médecins s’installent et qu’ils restent, il faut créer une dynamique avec les professionnels de santé sur place. Ici, les médecins sont âgés. Et ils n’ont pas pensé à l’avenir. Ils auraient dû prendre des jeunes en stage, pour qu’ils soient ensuite tentés de s’associer ou de collaborer. De même pour les remplacements : les médecins installés s’auto-suffisent. Alors les jeunes vont ailleurs…

 

Soulagée pour l’avenir

Depuis mon retour de congé maternité, je suis à mi-temps. Avec la comptabilité et la paperasse, ça représente 40 heures, en fait. Hors épidémies hivernales, j’ai une file active de 800 patients et j’essaie de ne pas aller au-delà. Si je n’avais pas trouvé un remplaçant régulier, j’aurais déjà mis la clé sous la porte. Je ne voyais plus ma famille. Aujourd’hui, il envisage de rester avec moi, nous apprécions notre façon de travailler ensemble, mes patients l’apprécient et je me sens soulagée pour l’avenir.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques