En 40 ans de visites avec SOS, le Dr Jean-Baptiste Delmas a bien des histoires à raconter. Dans cet extrait de son livre Médecin, SOS, il se souvient d’une visite, à trois heures du matin, chez une jeune femme qui souffrait des yeux. Un coup de soleil ? En janvier ?

 

Au ministère de la Santé, lorsque je présidais SOS Médecins-Île-de-France ou que j’assurais le secrétariat général de la Fédération nationale SOS que j’ai fondée, les huissiers ne me demandaient même plus mes papiers : ils me reconnaissaient.

Ce jour-là, je m’y trouve je ne sais pour quelle raison et on me demande, à mon passage devant un bureau : « Quel est l’appareillage pour lequel SOS Médecins est le plus souvent appelé en urgence en raison d’un accident ? »

 

Couteau à huîtres et bouchon de champagne

Il s’agissait en fait de préparer une campagne de sensibilisation à certains accidents de la vie courante. Après avoir passé en revue le couteau à huîtres qui transperce la paume de la main et le bouchon de champagne qui fait exploser un oeil mais ne sont pas des appareillages domestiques, je réponds : « Les lampes à bronzer, bien sûr. »

Je ne souhaite en effet à personne de prendre un « coup d’arc » : le nom que l’on donne aux accidents dus à un rayonnement ultraviolet (UV) puissant qui touche des yeux non protégés.

Il est 3 heures du matin : elle hurle à la mort dans son lit en se frottant les deux yeux, ce qui ne fait qu’accentuer la douleur et aggraver les blessures. Pas la peine de me dire ce qui s’est passé, le contexte parle tout seul : elle a un superbe coup de soleil alors que nous sommes en janvier. Et j’affirme, sûr de moi : « Vous avez fait une séance d’UV hier soir. 

– Ouiiii, j’ai maaaaal ! Je veux de la morphiiiiine ! – Et vous avez fait cette séance vers… 9 heures ce soir, c’est-à-dire il y a exactement 6 heures. – Ouiiii ! Au secouououours ! »

 

Une lampe à bronzer achetée ou offerte l’année d’avant

Six heures, c’est le délai précis après lequel les cellules de l’oeil brûlées par les UV se détachent, mortes, laissant la cornée à vif. Et chaque clignement des paupières, grattant la plaie, ne fait qu’aviver la douleur, par ailleurs insupportable. Alors ceux qui, en plus, se frottent les yeux…

Il s’agit le plus souvent d’une lampe à bronzer achetée ou offerte l’année d’avant, et dont la notice a été perdue, cette notice qui précisait bien de ne jamais s’exposer sans les lunettes coquilles spéciales qui, de toute façon, ont été égarées entre-temps car remisées dans un autre tiroir.

Il est enfin question d’interdire ces appareils définitivement et sous toutes leurs formes. Ce n’est pas trop tôt…

Cet autre monsieur vient lui aussi de se réveiller en pleine nuit : la douleur dans ses deux yeux devient intenable. Il pense avoir une conjonctivite. Foudroyante, alors, la conjonctivite ! Après avoir hésité sur le diagnostic, car il n’a pas fait de séance d’UV, lui, et instruit par l’expérience, je lui demande son métier : s’il pratique la soudure à l’arc. « Non. »

Alors, s’il sait de quoi il s’agit, a-t-il vu cet après-midi un soudeur à l’arc ?

« Ah oui. En effet : il y a un chantier dans la rue. Ils refont les canalisations. » 

Il avait admiré un peu trop longtemps les belles étincelles projetées par le soudeur accroupi au bord de la tranchée. Sauf que l’ouvrier, lui, portait un masque spécial qui le protégeait des UV. 

Le badaud, même stationné à quelques mètres, aura la désagréable surprise de se réveiller en hurlant en pleine nuit, sans même savoir pourquoi, ayant déjà oublié son arrêt prolongé devant le chantier.

 

La prochaine fois, il fera attention

Nous disposons d’un traitement miracle, dans nos trousses : deux gouttes dans chaque oeil, et la douleur disparaît en moins d’une minute. Mais il nous faut alors nous éclipser rapidement : l’effet ne dure que quelques instants, et la douleur revient, aussi vive qu’avant si nous n’avons pas ajouté, par exemple, une piqûre de calmant dans la fesse.

Beaucoup de patients nous demandent ces gouttes, mais nous refusons malgré les supplications et les hurlements d’en laisser sur place. Et encore plus de les prescrire. Pas par sadisme : parce que les patients en remettraient toutes les dix minutes pour ne plus avoir mal, et continueraient ainsi de se frotter les yeux, arrachant ce qui reste de leur cornée sans y prendre garde, pouvant perdre, cette fois-ci définitivement, la vue.

C’est imparable : pendant une grosse semaine, le patient devra garder les deux yeux fermés en permanence, sauf pour y introduire les gouttes cicatrisantes. La prochaine fois, il fera attention à la notice de la lampe à UV ou aux chantiers dans la rue.

Les chantiers de nos rues sont volontiers surchargés de panneaux explicatifs relatifs pour les uns au mode de financement, ou pour d’autres s’excusant pour la gêne supposée ou annonçant la finalité du trou creusé ainsi que la date prévue de remise en état.

Étrangement, aucun panneau ne mentionne jamais le risque sanitaire pourtant évident représenté par le poste de soudure à l’arc. Attend-on qu’un gamin, sortant de l’école et hypnotisé pendant deux ou trois minutes par la jolie lueur bleue et les étincelles, se soit grillé les deux cornées pour prendre une décision aussi simple ?

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Jean-Baptiste Delmas