“L’absence de généralistes nous cloue au pilori de l’irréalisme”. Dans son discours d’intronisation, le nouveau président de l’Académie de médecine, le Pr Claude Jaffiol, a tenu des propos forts en faveur des médecins généralistes. Il fait de l’élection du premier médecin généraliste à l’Académie un des objectifs de son mandat. De manière générale, il entend dépoussiérer l’institution.

 

Egora.fr : Lors de votre discours d’intronisation en tant que nouveau président de l’Académie de médecine, vous avez dit : “l’absence de généralistes nous cloue au pilori de l’irréalisme”. Qu’est-ce que cela signifie ?

Pr Claude Jaffiol : L’Académie de médecine comporte des membres titulaires et correspondants. Jusqu’à maintenant, il n’y a pas de généralistes dans nos rangs. Nous sommes quelques-uns à être convaincus que la présence de généralistes est indispensable. Ils représentent la majorité des praticiens français. La médecine générale a acquis un droit de cité universitaire, dont le rôle est de former les futurs praticiens qui exerceront en cabinet, privé ou public. La place de la médecine générale dans le paysage médical français est très importante. Je suis donc convaincu qu’il faut le faire. Nous avons prévu d’intégrer dans notre Académie, au moins un, peut-être deux, professeurs de médecine générale qui représenteront cette spécialité. Personnellement, j’ai œuvré dans ce sens et je continuerai à veiller à ce qu’on puisse mener à bien cette décision.

Comment expliquer cette absence jusqu’ici ?

C’était un problème de recrutement. Pour intégrer l’Académie, il fallait être universitaire, avoir des titres… Il était difficile pour des généralistes de remplir ces conditions. Aujourd’hui, les choses ont changé puisqu’il y a des universitaires généralistes, des professeurs de médecine générale.

Il faut dire également que dans une des commissions de travail, il y a des généralistes présents à titre consultatif et qui jouent un rôle important dans les prises de décision de cette commission.

Cette absence est-elle due à ces conditions de recrutement ou à des réticences de certains spécialistes ?

Non, non. C’était uniquement une question de statuts et d’organisation des élections à l’Académie. Il fallait avoir un dossier très consistant et c’était difficile à des généralistes de terrain de le remplir.

Que peuvent apporter des généralistes à l’Académie de médecine ?

Ah, ils peuvent apporter énormément de choses. Ce sont des praticiens de terrain. Ils sont en première ligne avec le public, les patients. Ils sont en première ligne pour être avertis des accidents thérapeutiques, lorsqu’une épidémie se déclenche, ou pour juger de l’efficacité des nouveaux médicaments.

Permettre aux généralistes de rentrer à l’Académie, c’est aussi une forme de reconnaissance de cette spécialité ?

Bien sûr ! C’est une reconnaissance du rôle de la médecine générale dans l’organisation de la médecine dans notre pays. C’est aussi bénéficier de l’expérience. Les candidats qui vont se présenter pour le poste sont des gens qui sont universitaires, des professeurs de médecine générale, et qui ont une expérience pratique importante, qui ont exercé en cabinet.

Comment attirer ces candidats généralistes ?

Ils s’attireront d’eux-mêmes. Intégrer l’Académie de médecine représente une promotion importante, et pour ces universitaires généralistes cela a un attrait certain. Eux sont intéressés d’y rentrer car ils seront dans une institution prestigieuse, et de notre côté nous ne pourrons que bénéficier de leur expérience.

Vous souhaitez aussi élargir l’Académie aux femmes, aux jeunes…

C’est certain. Les étudiantes en médecine sont aujourd’hui majoritaires et il est prévisible que dans les 10 années à venir, les femmes vont être majoritaires dans la pratique médicale. Et ce dans beaucoup de spécialités. C’est le cas par exemple en chirurgie. Elle était quasi exclusivement masculine, mais elle est de plus en plus pénétrée par des femmes chirurgiens. Et d’autre part, nos consœurs ont une excellente compétence. Elles méritent leur place. Aujourd’hui, il y a des femmes au sein de l’Académie de médecine, mais elles sont encore minoritaires. Cela s’explique par le fait que les femmes étaient jusque-là minoritaires en médecine. La féminisation est un phénomène assez récent.

Et pour attirer les jeunes ?

Il y a un rajeunissement de l’Académie parce que des limites d’âge ont été mises pour être correspondant ou titulaire. Mais cette évolution se fera avec le temps.

Quel nouveau rôle doit jouer l’Académie dans la société ?

Elle joue déjà un rôle important, il ne faut pas dire qu’elle ne fait rien. Je rappelle qu’elle est conseillère du gouvernement en matière de santé, qu’elle est interrogée sur des problèmes de santé publique. Elle s’autosaisit sur des problèmes médicaux et scientifiques de la pratique quotidienne. Je vous citerai la vaccination, les médicamentes falsifiés, la place des généralistes dans l’organisation du soin des maladies chroniques. L’Académie est très active.

Ce qu’il faut développer, ce sont les outils de travail notamment numériques pour mieux faire connaître nos travaux. Il faut envisager les réseaux sociaux, développer une version anglaise de nos travaux. Il faut aussi s’ouvrir vers le public, qui est intéressé par les questions de santé. Souvent, le public ne sait pas vers qui se tourner. Il a des informations contradictoires à la télévision, dans la presse. Il est quelquefois désemparé. Or, il peut trouver à l’Académie des informations solides, sûres, qui sont passées au crible de notre analyse. Je pense aussi aux associations de patients. Nous organiserons aussi des séances qui seront ouvertes au public. La prochaine sera consacrée au dépistage du cancer. Tout cela est une perspective à développer. Ça peut continuer à maintenir l’Académie dans le cours actuel dans l’évolution de la médecine. Il faut ouvrir certaines portes qui étaient entrebâillées jusqu’à maintenant.

On a finalement l’impression que vous souhaitez apporter un peu de modernité à l’Académie…

Oui, il y a eu une progression considérable si l’on regarde ces 20 dernières années. Au départ, l’Académie était un cercle assez fermé de médecins qui avaient eu une carrière prestigieuse et restaient en vase clôt. 

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier