Deux externes viennent de lancer la plateforme “Paye ta blouse” pour dénoncer le sexisme du milieu hospitalier. Femmes médecins, étudiantes ou encore infirmières rapportent les blagues salaces et remarques machistes qu’elles subissent au quotidien, sans jamais oser en parler. Dans l’univers majoritairement féminin de l’hôpital, le mâle domine.
“Je fais ce que je veux. Si je veux être en retard, je le suis. J’ai même le droit de cuissage sur toi”, rétorque un chef de gynécologie, dérangé dans sa pause-café, à une jeune femme envoyée par sa secrétaire lui signaler qu’il était en retard en consultation. Le genre de remarque que de nombreuses femmes médecins, étudiantes en médecine ou infirmières subissent régulièrement. Sans jamais oser se plaindre, ni même en parler. Pour briser ce tabou, deux externes viennent de lancer un Tumblr rassemblant des témoignages sur le sexisme à l’hôpital, sur le modèle de “Paye ta shnek“, qui dénonce le harcèlement de rue, et de “Paye ta robe“, dédié au milieu juridique.
“Le sexisme est intériorisé dès la première année de fac”
Les deux étudiantes, qui se revendiquent féministes, se sont rencontrées sur Twitter. C’est sur ce réseau social qu’elles se rendent compte qu’elles ne sont pas les seules à avoir été la cible de l’humour carabin au cours d’un stage. “Au sein de la promo, on n’en parle pas. Le sexisme est intériorisé dès la première année, estime Sophie*, étudiante en 6e année de médecine et cofondatrice de la plateforme, qui elle aussi a eu droit à la fameuse blague sur le “droit de cuissage”. “Tous nos professeurs, pratiquement, sont des hommes. On nous transmet des notions sexistes en nous apprenant à déceler certaines pathologies en fonction du sexe : dans les cas cliniques des examens, un homme homosexuel jeune ce sera forcément une IST ; une femme, une salpingite… C’est très cliché.” Des clichés que l’on retrouve ensuite chez certaines diplômées. La plateforme rapporte les propos d’une chef qui ordonne un bilan IST pour une patiente sur le seul motif qu’elle a tatouage. “On sait bien qu’elles ont une vie débridée, les tatouées”, juge-t-elle.
Face aux blagues graveleuses et aux remarques déplacées, il y a celles qui “nient le problème”. Celles qui estiment qu’“on peut s’en sortir avec un peu de répartie”. Et celles que ça dérange, mais qui choisissent de se taire pour ne pas mettre en péril leur carrière dans un monde hospitalier très hiérarchisé. “Une infirmière ira rarement faire une réflexion à un chef, surtout sur le sexisme”, remarque Sophie. Externes et infirmières sont d’ailleurs les catégories les plus représentées parmi la cinquantaine de témoignages reçus par les deux jeunes femmes.
“Le chirurgien a tous les droits”
“Beaucoup de témoignages viennent de chirurgie, relève Sophie. Un chirurgien dans son bloc, il a tous les droits. Il peut faire et dire ce qu’il veut, parce que c’est lui le chef et parce qu’il est stressé.” Comme cet interne qui ordonne à l’externe : “Va te laver les mains, et lave toi bien la chatte aussi pour ton deuxième job après m’avoir admiré au bloc.” Ou ce chef de chirurgie qui lance : “On va faire une incision par derrière. L’externe elle aime quand on lui passe par derrière, on peut y venir à plusieurs.” Ou cet autre qui s’exclame : “Déjà qu’elle sert à rien cette connasse, elle ferait mieux de rester à la cuisine.”
La médecine de ville n’est pas épargnée. ” Oh vous savez, les femmes tout ce qu’elles veulent, c’est s’occuper de leurs enfants et travailler à mi-temps”, répond un généraliste lorsque le patient demande à sa stagiaire quel sera son choix de spécialité. “Il n’y a pas forcément plus de sexisme dans le médical qu’ailleurs, mais le milieu fait qu’il est désinhibé”, analyse Sophie.
Quand le sexisme passe à l’acte
Dérive de l’humour carabin ? Pour la jeune externe, “ces blagues crasses qu’on se permet de dire pour décompresser et parce qu’on vit des choses terribles” reprennent “tous les codes habituels du sexisme”. Pour l’étudiante, les conditions d’exercice ne justifient en rien le fait de blaguer sur le corps des patientes et des étudiantes. “J’aimerais bien déjeuner dans une salle où il n’y a pas de pénis peints au mur”, soupire-t-elle.
Ces témoignages, qui seront publiés sur la plateforme jour après jour, visent à alerter le grand public, mais aussi à faire prendre conscience aux femmes de la santé qu’elles ne sont pas seules. D’autant plus quand le sexisme passe à l’acte. “J’ai des amies qui ont été agressées par des internes en garde. Je suis sûre qu’il y a eu d’autres agressions sexuelles, voire des viols, mais personne n’en parle.”
*Le prénom a été changé, pour préserver l’anonymat.
– “Si vous voulez un vrai kiné allez voir un mec. Elles, elles ne sont bonnes qu’à masser … si vous voyez ce que je veux dire.”
Conseil d’un interne de chirurgie orthopédique à un patient en post-opératoire
– “Je passe la matinée au parc à moules !”
Un chirurgien qui parlait d’aller former des étudiant-e-s en soins infirmiers.
– “Qui sera la suceuse aujourd’hui ? Ah non, tu as de trop petits seins pour être une bonne suceuse ! Les jeunes, laquelle suce le mieux ici ?”
En cours de dissection, la sonde d’aspiration était dénommée « la suceuse ».
– “Bon dis-moi tout de suite, tu te maries, tu fais des gosses ce semestre ? J’aime pas avoir des filles…”
Un chef à une amie interne
– “Et toi tu te la rases comment, ta chatte ?”
Au bloc opératoire, au-dessus d’une patiente dont les organes génitaux étaient exposés.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques