Voulant se mettre en conformité avec la loi accessibilité handicapé, le Dr César Séjourné dont le cabinet était accessible mais pas aux normes, a fait réaliser de lourds travaux et a rédigé une demande de dérogation à sa municipalité. Ce qui fut alors le début de sa galère, et l’a conduit, au final, à déménager. Ecœuré, il enjoint ses confrères : “Surtout, ne soyez pas propriétaires de votre local !”. Et enrage contre toutes ces contraintes qui détournent les jeunes de la médecine ambulatoire.
 

 

“Après avoir fait des remplacements, je me suis installé en 2009 en libéral. Mon associé était un médecin proche de la retraite, qui s’était engagé à me laisser le cabinet au plus tard en 2011. Mais il n’est pas parti – il est d’ailleurs toujours en activité – et la situation devenait difficile puisqu’il fallait partager un local pour deux. J’ai donc été amené à chercher un autre local. Dans ma ville Marolles-en-Hurepoix (91), il n’y avait aucune solution disponible rapidement. Alors j’ai trouvé un pavillon de plain-pied, accessible, que j’ai entièrement rénové. J’ai refait le trottoir pour que les fauteuils roulants puissent accéder, j’ai refait la cour d’entrée, j’ai élargi toutes les portes, j’ai ajouté des lumières du jour pour avoir une bonne luminosité. La seule chose qui manquait, c’était la largeur de la porte d’entrée.

 

Plusieurs milliers d’euros pour déplacer la porte

Elle débouchait sur un petit couloir d’un mètre, alors qu’il fallait une largeur d’un 1,40 m de manière à ce qu’une personne et un fauteuil roulant puissent se croiser facilement. Mais sachant qu’une personne en fauteuil et une patiente avec un landau pouvaient se croiser sans problème dans mon couloir, je me suis dit qu’il n’était pas indispensable que je dépense plusieurs milliers d’euros pour déplacer la porte, étant entendu que je travaille sur rendez-vous. Il manquait aussi des toilettes handicapées, mais ça n’est pas une obligation.

J’ai fait aussi installer une caméra de surveillance dans la salle d’attente. Et là, il faut connaître une petite astuce : pour faire installer cette caméra, une déclaration en préfecture est obligatoire. Mais puisque je ne reçois que sur rendez-vous, la préfecture m’a répondu que je n’étais pas tenu de faire une déclaration car je suis considéré comme un local privé professionnel. En revanche, pour l’accessibilité, je suis tout de même considéré comme un local ouvert au public. Je ne comprendrai jamais comment tout cela fonctionne, c’est l’administration ! Toujours est-il que dans le texte de loi, les cabinets médicaux sont considérés comme des locaux ouverts au public.

 

Je me souviens d’une mère de famille en fauteuil roulant

Donc, pour résumer, lorsque j’ai commencé mes consultations, j’étais accessible, mais pas entièrement aux normes. Je me souviens d’ailleurs d’une mère de famille en fauteuil roulant, si heureuse de pouvoir, enfin, aller voir son médecin sans demander une aide extérieure. Elle était ravie.

J’étais accessible car j’avais refait mon trottoir, il y avait une place de parking. Le principe de la loi, c’est bien que la personne à mobilité réduite puisse aller voir son médecin non ? Pour être aux normes et faire cet aménagement, il fallait toucher au mur porteur, engager un maçon et je savais très bien combien cela risquait de me coûter, plusieurs milliers d’euros. Les sommes à investir étaient disproportionnées. Alors j’ai fait une demande de dérogation pour ma porte d’entrée. Il fallait la faire avant décembre 2014, je l’ai fait le 19 décembre. Ce qui a été un peu compliqué car j’étais le seul professionnel sur la commune à avoir demandé une dérogation. Les autres se sont dit, soit on s’arrangera, soit on verra plus tard. Donc la mairie au départ ne voulait même pas enregistrer ma demande, car elle ne savait pas à quoi cela correspondait. Mais moi, comme je préfère prévenir que guérir, j’ai déposé cette demande.

De mémoire, si on n’a pas de réponse au bout de six mois, cela signifie que la réponse est négative. J’ai donc fait ma demande le 19 décembre 2014, avec la liste des travaux à faire et les devis, et je reçois un courrier de la mairie le 7 février 2015, me disant qu’il fallait que je complète mon dossier. Ce que je fais et là, plus de réponse. Au bout d’un moment, je rappelle et au bout de plusieurs tentatives car je n’arrivais pas à avoir quelqu’un, j’ai enfin une personne de la mairie qui m’explique, en consultant mon dossier, qu’il ne s’agit pas d’une demande de dérogation, mais d’une demande de travaux, puisque je fournis la liste de tous les travaux à faire. Ma demande ne pouvait donc pas être soumise à la commission ad hoc. Mais l’employée m’affirme que ma demande de travaux sera acceptée, car mon dossier est complet. Ensuite, j’aurai trois ans pour les réaliser. J’avoue que, de guerre lasse, j’ai laissé courir. Jusqu’à ce que je reçoive une lettre recommandée, m’informant que ma demande de travaux avait été acceptée.

 

Là, j’ai compris que ce serait sans fin

Ce qui m’a interpellé, c’est qu’ils m’ont fourni des textes précisant que le demandeur devra adresser au préfet et à la commission d’accessibilité, une attestation de conformité dans les deux mois suivant l’achèvement des travaux. Ce qui revient à dire que je devais payer les travaux, et ensuite, payer une société qui venait constater les travaux qui, s’ils n’étaient pas conformes, m’obligeait à tout refaire ! N’en pouvant plus, je me suis rapproché de mon assurance. On m’y a expliqué que j’étais soumis aux normes de l’accessibilité, mais aussi aux normes incendie. Et que l’on serait en droit de me demander si la sécurité était garantie, si les extincteurs étaient placés au bon endroit et ainsi de suite…. Et pourquoi pas les normes environnementales à la recherche de pollution dans l’air ?

Là, j’ai compris que ce serait sans fin, j’en ai eu plus qu’assez d’autant que dans le même temps, j’ai eu droit à un courrier circulaire du maire, informant que les professionnels qui ne répondaient pas aux normes d’accessibilité étaient passibles de sanctions pouvant aller jusqu’à des peines de prison ! J’ai trouvé cela extrêmement choquant.

 

J’ai surtout compris une chose : il ne faut plus être propriétaire

Dans ma commune, il y avait un projet de maison médicale mis en place par la municipalité, mais je n’y ai pas adhéré. Il y a actuellement 4 docteurs et un remplaçant, et il fallait investir, payer 150 000 euros pour accéder à un local que l’on ne pouvait pas revendre sans l’accord de la municipalité. Un collègue m’a d’ailleurs confié qu’il avait payé plus cher en passant par la mairie, que s’il s’était débrouillé tout seul avec un promoteur immobilier.

Moi, j’avais investi énormément dans mon pavillon, j’en avais vraiment assez. Et j’ai surtout compris une chose : il ne faut plus être propriétaire. La législation qui est très claire s’adresse au bailleur, et le courrier du maire était très clair, en conseillant de s’adresser au bailleur pour une remise aux normes. Il n’y avait aucun local en location sur la ville où j’étais, je pense que l’information sur ma recherche a dû circuler et une municipalité de 4 500 habitants, Le Plessis Patée (91220) sans aucun docteur, à 10 Km environ, m’a contacté, en me proposant un local à louer, aux normes. Lorsque je suis arrivé, les trois médecins de la commune d’à côté partaient à la retraite sans successeurs et la situation est devenue dramatique.

J’essaie de prendre le plus de monde possible, plus mes anciens patients, mais la situation va devenir invivable. Dans la ville où j’habite et où j’avais mon cabinet, il n’y a pratiquement plus de cabinets médicaux en centre-ville, ils vont être délocalisés en périphérie pour être aux normes.

 

Je sens une dégradation, un manque de respect

Dans l’un de ses derniers courriers, la CARMF rappelle que 25 % des étudiants en médecine ne s’inscrivent pas à l’Ordre, et qu’il n’y a qu’un jeune sur dix qui décide de s’installer. J’ai eu l’occasion de rencontrer des maires, ils ne sont pas au courant de ces chiffres-là et pourtant, ils veulent avoir un médecin sur leur commune. Les maires peuvent bien vouloir mettre toute la coercition à l’installation qu’ils veulent, ils ne trouveront personne, car sur ces 100 étudiants du départ, il n’y en aura que 6 ou 7 qui décideront de s’installer en médecine libérale. Le métier n’est plus attractif, on doit se mettre aux normes handicapé, on se récupère une augmentation de 3 % de la taxe CFE (ex taxe professionnelle) qu’on ne peut pas répercuter car on a les tarifs les moins chers d’Europe, inférieurs aux chiropracteurs ou aux ostéopathes et les patients nous manquent de respect. Un patient, dernièrement, a refusé de me serrer la main parce que j’avais une demi-heure de retard. Il m’a dit que c’était “inadmissible”. Il oubliait simplement que dix jours auparavant, j’avais vu son fils en urgence pour une agression, mais là, c’était normal que je sois en retard pour les autres.

Je me suis installé en 2009, je suis libéral depuis 2003. Je sens une dégradation, un manque de respect, on ne peut plus prendre de nouveaux patients, sauf avec un mois d’attente. Salarier une infirmière pour répartir les tâches, revient à 5 000 euros mensuels environ, et je ne peux pas me le permettre. Si on ne peut plus investir ou financer, il faudra que d’autres personnes le fassent à notre place, et je pense que cela sera le rôle des municipalités. On peut bien augmenter le numerus clausus, si le métier n’est plus attractif, pourquoi les jeunes voudraient-ils aller s’installer en ville à 23 euros la consultation ? Les 25 euros, on les aura après l’élection présidentielle et pour longtemps, et ce n’est pas avec ça que je vais pouvoir payer mon secrétariat téléphonique”.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne