Christian Gauchet est un Strasbourgeois de 47 ans, “privé de thèse”. Il fait partie de la quarantaine de victimes collatérales d’un décret paru en 2004 obligeant les étudiants en médecine à soutenir leur thèse avant la fin de l’année universitaire 2011-2012 sous peine de ne plus pouvoir la passer. Aujourd’hui il touche le RSA et exerce en tant qu’agent immobilier indépendant. Mais il a un espoir que cela change. En effet, un amendement gouvernemental au projet de loi “montagne” prévoit que les étudiants en médecine générale de l’ancien régime puissent se réinscrire à l’université pour présenter leur thèse et donc exercer la médecine. Il nous raconte son histoire.

 

“Le Samu, c’est ma passion, je suis fait pour ça. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle j’ai tardé à soutenir ma thèse. Je ne voulais pas devenir docteur en médecine trop vite, car à l’époque les postes au Samu pour les médecins généralistes étaient limités à deux ans, renouvelables éventuellement deux fois. Je me disais donc que c’était dans mon intérêt de ne pas lancer le compte à rebours trop tôt, histoire de pouvoir rester le plus longtemps possible dans ce domaine. J’ai donc exercé en tant que faisant fonction d’interne (FFI) au Samu pendant plus de 17 ans.

Financièrement, j’avais un salaire faible mais mes gardes étaient payées correctement, car j’étais considéré comme médecin senior. Au prix de pas mal de gardes, j’arrivais à m’en tirer à environ 3 000 euros par mois. En plus quand on travaille beaucoup, on n’a pas le temps de dépenser ses 3 000 euros, donc ça faisait beaucoup d’argent ! 

 

On passe de maître du monde à plus rien du tout

Le temps passait et je m’éloignais des préoccupations scolaires. Quand ça fait six ans que l’on sait que l’on doit passer sa thèse, on se dit qu’on n’est pas à un jour près. On entre dans une spirale de procrastination dans ce domaine. Puis, j’ai fini par m’y mettre, et en février 2013 alors que j’avais quasiment terminée ma thèse, je suis allé à la fac de médecine de Strasbourg chercher un dossier pour la soutenir.

C’est là que j’ai appris de la bouche de la chef de la scolarité que je n’avais que jusqu’au 31 décembre 2012 pour le faire. Nous étions donc un mois et demi après la date butoir, que je ne connaissais pas. La chef de la scolarité m’a dit que les seuls moyens d’être au courant de cette date limite étaient de lire le Journal officiel tous les jours ou d’avoir été sur le site internet de la fac de médecine pendant deux semaines, en septembre 2012. Bref, elle m’a confirmé que je n’avais aucun moyen d’être mis au courant. Moi qui allais à la fac le cœur léger en me disant que j’allais enfin être débarrassé de ma thèse, je suis ressorti totalement effondré… Je n’avais plus le droit de me réinscrire. En tant qu’étudiant, je n’avais droit à aucune indemnité chômage.

 

C’était comme si je n’avais que le bac en poche

J’ai fait une dépression. Pour caricaturer les choses, on passe de maître du monde à plus rien du tout. J’ai toujours exercé mon métier avec humilité, mais en tant que médecin du Samu on résout des situations dramatiques, il n’y a jamais de routine, on est toujours en éveil. C’est très valorisant. Puis brutalement, tout s’arrête.

J’ai essayé de m’adresser à telle ou telle personne, de retrouver des gens dans la même situation que moi… Ça ne donnait rien. Puis aux alentours de 2014, j’ai été contacté par le syndicat des jeunes médecins généralistes (SNJMG), qui s’intéressait à l’affaire. Nous avons alors commencé à organiser les choses de façon collective. Il n’y a que le SNJMG qui nous a ouvert ses portes. J’étais en plein abattement. Quand j’ai vu que des gens prenaient les choses en main, ça a été un vrai soulagement. Je n’étais plus tout seul sur mon île déserte.

Depuis presque quatre ans, je suis au RSA. A Pôle Emploi, j’ai réalisé qu’il n’y avait aucune passerelle pour les étudiants en médecine. Je ne pouvais rien faire valoir de mes études. C’était comme si je n’avais que le bac en poche. Je postulais à des offres d’emplois non qualifiés, comme l’entretien des espaces-verts sur les ronds-points ou homme à tout faire dans les collèges. Pour ces contrats, il fallait simplement envoyer un CV, sans lettre de motivation. J’imagine qu’en lisant mon CV, les employeurs devaient se dire qu’il y avait une erreur. Ils passaient au CV suivant.

 

Je regarde mes mails toutes les trois minutes

Puis ma conseillère Pôle Emploi m’a soumis l’idée de devenir agent immobilier indépendant. Il n’y avait pas besoin de diplôme particulier. J’ai débuté en juillet 2016. Pour l’instant je n’ai rien vendu, donc ça ne m’a pas rapporté un centime.

J’ai la chance d’être célibataire sans enfant donc je m’en sors péniblement avec le RSA et l’argent que j’avais mis de côté. A 47 ans, j’ai aussi de l’aide de mes parents. On peut dire que c’est la classe.

Depuis quelques jours, moi comme mes camarades d’infortune avons une lueur d’espoir. Un amendement à la loi “montagne” viserait à combler les déserts médicaux. Il serait question de nous permettre de terminer notre cursus en échange d’une affectation dans un désert médical. Il semblerait qu’une commission paritaire créée à l’Assemblée soit favorable à ce projet. Cela devrait repasser au Sénat, mais a priori tout le monde est d’accord. Mais, j’ai vu mon député il y a moins de deux semaines qui m’a dit que la loi ne serait pas votée avant le 24 février. Je n’en sais pas plus.

Si la loi est votée, je soutiendrai ma thèse pour enfin devenir docteur en médecine. Je ne rêve que de cela. Je suis sur le qui-vive. Je regarde mes mails toutes les trois minutes. Cette galère va peut-être enfin prendre fin. Cela arrive à un moment où je n’y croyais plus. L’espoir est de retour.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Bonin-Berrebi