Les attaques massives qui ont frappé Paris et Saint-Denis il y a un an n’ont pas seulement bouleversé les esprits, mais aussi induit de profonds changements dans la prise en charge des urgences en cas d’attentat. Alors que 20 victimes sont toujours hospitalisées – dont 9 à temps plein – et 600 personnes sont encore suivies psychologiquement, Samu et hôpitaux ont tiré les leçons du 13 novembre.

 

Il y a un avant et un après. Si la prise en charge des 1 774 victimes directes des attentats du 13 novembre, dont 413 ont été hospitalisées, a été unanimement saluée par les citoyens et les pouvoirs publics, les soignants ne se sont pas reposés sur leurs lauriers. Dès le lendemain des attaques, les professionnels de santé ont débriefé. Pour évacuer le stress, mais aussi pour mettre sur la table les dysfonctionnements constatés. Une réflexion a été engagée. Objectif : mieux se préparer au pire.

 



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Les grands préceptes de l’aide médicale d’urgence à la française ont été battus en brèche, notamment en pré-hospitalier. Plutôt que d’installer un poste médical avancé afin de prendre en charge les blessés sur place, il s’agit désormais de “les évacuer le plus vite possible, martèle le Dr Christophe Prudhomme, urgentiste au Samu 93, intervenu auprès des blessés des explosions du Stade de France. Il faut perfuser et intuber si besoin, puis les déplacer pour les mettre en sûreté, quitte à refaire le tri à l’hôpital. Car le risque, c’est le sur-attentat.”

 

Des garrots dans toutes les trousses

Mis à l’index ces dernières années, le garrot a été “réhabilité”. Tous les véhicules de secours de France, pompiers compris, sont désormais équipés de trousses de damage control, comprenant des garrots tourniquet et des pansements compressifs. Les messages diffusés auprès de la population, particulièrement demandeuse de formation aux gestes qui sauvent, ont été revus en conséquence : “On leur apprend à faire un garrot avec ce qu’ils trouvent et à déplacer la victime, tout en veillant à garder la colonne vertébrale droite”, développe le médecin du Samu.

A l’hôpital aussi, les professionnels ont dû se remettre en question. Même ceux qui avaient l’expérience de la médecine de guerre, comme le Pr Philippe Juvin. “Nous avons tous été marqués et pas qu’un peu. Même pour moi qui pensais avoir tout vu et être vacciné, ça a été complexe”, témoigne le chef du service d’accueil des urgences de l’hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP). Le soir du 13 novembre, en à peine deux heures, l’urgentiste et son équipe ont vu arriver 20 ambulances, transportant 53 blessés par balle. “Déjà, l’hôpital n’est pas fait pour accueillir 20 ambulances en même temps ; j’ai donc pris l’initiative d’effectuer le tri des blessés dans la rue. Mais dans ce cas, il faut pouvoir communiquer avec les équipes à l’intérieur.” C’est l’une des “nombreuses” leçons tirées de l’événement. Pour ne pas se retrouver paralysé par un afflux de patients, les bases du tri ont été revues. La priorité, désormais : arrêter les hémorragies pour gagner du temps. “L’hémorragie, c’est le plus mortel, mais aussi le plus curable”, souligne le Pr Juvin. Le service s’est donc doté d’un grand nombre de garrots tourniquet.

Le chef de service a également revu les procédures d’alerte. “Le 13 novembre, j’ai rappelé les médecins individuellement. Ça prend trop de temps. On a mis en place des listes avec rappel quasi automatisé via les réseaux sociaux”, explique le Pr Juvin. Selon qu’il s’agit d’un jour pair ou impair, ce ne sont pas les mêmes professionnels qui seront rappelés de façon à pouvoir garder une “réserve opérationnelle”. Une autre leçon du 13 novembre. “Les jours qui ont suivi les attentats, il y a eu beaucoup de fausses alertes et les équipes étaient épuisées, poursuit l’urgentiste. Si un événement majeur s’était à nouveau produit, nous aurions eu du mal à y faire face.”

 

Face au risque d’attaque chimique

Depuis les attentats, le service a été le théâtre de multiples exercices. Car si tous les urgentistes étaient déjà formés au damage control, ils ne sont pas préparés à tous les scénarios. “Ce qui est vraiment nouveau, c’est qu’on s’est préparés aux attaques chimiques. Dans ce cas de figure, la priorité, c’est de décontaminer le patient avant de le traiter, même en cas d’hémorragie, explique le chef de service. Il a fallu se former techniquement à l’utilisation des douches de décontamination que nous avons installées en dehors du service. Les exercices ont aussi permis d’apprendre à travailler en combinaison.”

Il reste un chantier : celui de la coordination des nombreux intervenants parisiens. “Les retours d’expériences ont montré que des retards ont été pris à cause des informations contradictoires reçues par les différents opérateurs, relève le Dr Prudhomme. Il faut un commandement et une salle de crise uniques. Mais ça, c’est une décision stratégique que l’Etat doit prendre.”

A noter que les équipes de secouristes français et belges ayant pris en charge les victimes des attentats se sont récemment rencontrées, pour partager leurs expériences.

 

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

 

 


 

Un an de recherche sur la lutte contre le terrorisme au CNRS

Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) s’est mobilisé pour pousser la recherche sur la lutte contre le terrorisme. Il organisera une première restitution, le 28 novembre prochain, d’un appel à projets massivement suivi alors que durant l’année, une série d’ateliers thématiques et un vaste programme sur les mémoires se sont mis en place.

Parmi les 300 propositions recueillies dans le cadre de l’appel à projets, 66 actions (projets de recherche, écoles thématiques, ateliers) ont été soutenues par le CNRS, pour un montant total de plus de 800 0000 euros. Toutes les disciplines se sont mobilisées, en premier lieu les sciences humaines et sociales, bien sûr, mais aussi la chimie, l’informatique, les mathématiques et la biologie.

Le 28 novembre prochain, les premiers résultats d’une quarantaine de travaux en cours seront présentés, dans des domaines aussi variés que la neutralisation chimique des explosifs, les trajectoires de jeunes « radicalisés », les amalgames et discriminations contre les musulmans, la fouille de données, les traumatismes des victimes, les atteintes au patrimoine archéologique, la propagande sur internet et le rôle des fictions (TV et films).

Une école thématique « Radicalisations » et des ateliers organisés au siège du CNRS sur la « Genèse des radicalisations », « Les carrières de la terreur », « L’impact des attentats » ont déjà permis aux chercheurs qui ont répondu à l’appel de se rencontrer et de se constituer en nouvelle communauté scientifique incontournable sur les questions de sécurité.

En parallèle, le CNRS a lancé au printemps dernier, avec l’Inserm et héSam Université, le programme 13-Novembre. Son objectif est d’étudier comment se construisent, évoluent et interagissent les mémoires individuelles et collective des attentats. A la fin du mois, le nombre de témoignages filmés devrait atteindre le millier, et trois autres séries d’entretiens seront menées avec les mêmes volontaires au cours des 10 prochaines années.

 

STRESS POST TRAUMATIQUE : PRENDRE EN CHARGE LES VICTIMES DES ATTENTATS

 

En frappant plusieurs centaines de victimes directes ou indirectes, les attentats du 13 novembre ont donné un coup d’accélérateur aux recherches pour améliorer la prise en charge du stress post-traumatique (SPT). Un traitement innovant, venu du Canada, est en cours d’expérimentation.

“Nous devions tout mettre en oeuvre pour apporter les meilleures réponses possibles aux victimes”, a souligné Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) qui soutient un essai clinique ambitieux sur ce traitement. Intitulé “Paris MEM” (Paris Mémoire Vive), l’essai compare les prises en charges habituelles des psychotraumatismes à un traitement mis au point par le professeur canadien Alain Brunet.

Les prises en charge classiques incluent les antidépresseurs qui ont souvent des effets secondaires importants et diverses thérapies comportementales et cognitives destinées à réduire les comportements d’évitement et à remplacer les pensées et les émotions non désirées par d’autres.

Parmi les techniques en vogue figurent l’hypnose, et surtout la technique de désensibilisation dite EMDR (Eye Movement Desentization and Reprocessing) qui consiste à “reprogrammer” le cerveau par des mouvements oculaires. Mais l’efficacité de certaines de ces techniques reste discutée par les experts, qui évoquent un nombre important de rechutes.

C’est pourquoi l’AP-HP a décidé de tester la méthode canadienne de “blocage de la reconsolidation de la mémoire”. “La psychothérapie de soutien ne suffit pas. Il faut des techniques pour aider les patients à s’en sortir rapidement“, souligne le Dr Dominique Januel, de l’établissement public de santé publique de Ville-Evrard (93) qui participe à l’expérimentation de la méthode Brunet, comme 14 autres centres en France, dont huit hôpitaux de l’AP-HP.

Déjà testée avec succès au Canada, elle consiste à intervenir sur le souvenir émotionnel en utilisant le propanolol, médicament déjà commercialisé pour soigner la migraine et l’hypertension. Une heure après avoir avalé son comprimé, le patient est invité à écrire le récit de son trauma, puis à le relire la semaine suivante et ce pendant six semaines à l’issue desquelles le souvenir traumatique s’estompe, comme le montre un premier petit essai clinique présenté lors d’un congrès aux Etats-Unis.

En France, l’étude Paris MEM, pilotée par le Pr Bruno Millet, psychiatre à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, portera sur 400 personnes au total touchées par les attentats de 2015 et 2016 (victimes, proches ou professionnels de santé et de sécurité impliqués).

Une cinquantaine ont déjà été recrutées, dont une dizaine a terminé le traitement, selon le Pr Millet qui s’est refusé à toute évaluation préliminaire de celui-ci. Martin Hirsch fait pour sa part état d’une “amélioration spectaculaire” chez deux jeunes qui ont pu sortir du Bataclan alors que les terroristes étaient en train de recharger leurs armes.

De son côté, l’étude “Remember”, menée par le neuropsychologue Francis Eustache à Caen, vise à mieux connaître les symptômes du SPT, à en mesurer l’évolution, et à comprendre pourquoi tout le monde ne réagit pas de la même façon. “Face à un même trauma, des personnes vont développer des symptômes et d’autres pas, pour des raisons encore mal connues“, explique-t-il.

Les quelque 200 participants, dont 120 rescapés et témoins directs des attentats du 13 novembre 2015, passent notamment une IRM qui mesure l’activité de leur cerveau pendant qu’ils effectuent un petit exercice consistant à repousser mentalement une image.

Cette situation permet de mesurer au plus près les mécanismes” des images intrusives caractéristiques du SPT“, explique le Pr Eustache. L’étude fait partie d’une vaste enquête (“programme 13-11”) coordonnée par le CNRS et l’Inserm, qui inclut un millier d’entretiens filmés avec des volontaires, touchés à des degrés divers par les attentats. L’objectif n’est pas de soigner, mais les participants affirment ressortir “apaisés” des entretiens, souligne Denis Peschanski, historien au CNRS, co-directeur du programme.

Participer à cette démarche scientifique, de connaissance, c’est pour eux une façon de passer du statut de victime à celui d’acteur, de commencer à donner du sens à quelque chose qui n’en a pas”, ajoute le Pr Eustache.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : C. L B

 

[Avec AFP]