L’association SPS (Soins aux professionnels de santé), née il y a un an, se consacre à soigner les professionnels de santé en état de souffrance psychique. Structurée à travers la France, elle sera bientôt dotée d’une plateforme d’appels et de structures d’accueil pour soignants en burn out. L’association dévoile aujourd’hui les résultats d’une vaste étude conduite auprès de 4 000 soignants, dont plus de 800 médecins.

 

Près d’un quart (23%) des médecins ne chercheraient pas d’aide s’ils se trouvaient en situation de souffrance psychologique et plus de la moitié (54%) ne sauraient pas vers qui se tourner. C’est l’un des enseignements de la deuxième étude sur la vulnérabilité des soignants présentée par l’association SPS.

Créée il y a un an avec l’ambition de fédérer l’ensemble des acteurs accompagnant les professionnels de santé en souffrance, l’association a mandaté Stethos pour évaluer la connaissance qu’ont les professionnels de santé des structures susceptibles de les aider et leurs attentes en la matière.

L’an dernier, une première étude avait en effet révélé que plus de 50% des 1905 professionnels de santé interrogés estimaient être ou avoir été concernés par le burn-out et 14% par les conduites addictives. Du 19 septembre au 10 octobre derniers, 4 019 professionnels, dont 842 médecins (mais aussi des kinésithérapeutes, des infirmiers, des pharmaciens, etc.), ont participé à cette seconde enquête. Les médecins répondants ont en moyenne 54 ans et exercent à 57% en libéral, à 27% à l’hôpital ; 16% sont en exercice mixte. 

Les trois quarts des professionnels répondants accepteraient de demander de l’aide s’ils étaient en souffrance, mais seuls 53% d’entre eux (46% des médecins) sauraient à qui s’adresser : entourage familial (43%), confrère/consœur (38%), psychologue/psychothérapeute/psychanalyste (21%), numéro vert anonyme ou association (2% chacun). Les professionnels réfractaires à une aide extérieure invoquent deux raisons principales : l’impossibilité économique d’être en arrêt maladie et la volonté de cacher leur souffrance. 

 

 

Pour près de la moitié (48%) des répondants, la souffrance psychologique d’un professionnel de santé met en danger la vie des patients. Ce sentiment est partagé par 65% des médecins.

 

 

Le Dr Eric Henry, personnellement concerné par le sujet…

“Mon père, instituteur, s’est pendu dans la cage d’escalier. C’est mon frère, à 17 ans, qui l’a décroché. Vous imaginez la souffrance qu’il a traînée avec lui durant des années…

Moi, je n’étais pas sur place, heureusement, mais dans mon lycée, personne ne m’a accompagné. J’étais tout seul, j’ai été renvoyé de l’école. Si je n’avais pas rencontré des copains très structurés, dans le hard rock, j’aurais pu finir dans la rue, SDF avec des chiens. J’ai fait cinq ans de musique avec eux pour avoir une base, et ensuite j’ai commencé médecine.

Le syndrome commun des enfants de suicidés, c’est qu’ils attendent l’âge de la mort de leur proche pour y passer à leur tour. Il faut le leur faire comprendre pour que cela cesse. Il faut employer les mots, pas des périphrases, cela fait partie de la guérison. C’est pour cela que j’en parle. Si SPS fonctionne bien, le mécanisme pourra être mis à la disposition de toute la population. Et on réunirait alors tous les professionnels qui ont déjà travaillé sur le sujet. Par exemple, je voudrais organiser la journée des suicidés et des familles de suicidés. 

À Sainte-Anne-d’Auray, près de chez moi, un agriculteur a planté 650 bougies pour les 650 agriculteurs qui se sont donné la mort en France, j’aimerais approcher ceux qui s’occupent de ce sujet à l’Éducation nationale. Les policiers ont ce qu’il faut pour se soigner, mais pas pour redonner la dignité aux familles. Car les familles traînent cette souffrance pendant des dizaines d’années, il y a une pathologie familiale qui s’installe. Je suis persuadé que si l’on arrive à mettre tout cela en place, le nombre de suicides en France diminuera fortement.”

 

 


 

HARCÈLEMENT DES CAISSES, SURMENAGE, BURN-OUT : “LE BUT, C’EST DE RÉPONDRE À TOUTE DEMANDE DE SOINS D’UN PATIENT SOIGNANT”

 

Vice-président du Cnps, et président du SML, le Dr Éric Henry explique les buts de l’association, qui va s’adresser à tous les médecins et professionnels de santé rendus vulnérables et en souffrance.

 

Egora.fr : Quelle est la finalité de l’association SPS (Soins aux professionnels de santé) ?

Dr Eric Henry : C’est de répondre à toute demande de soins d’un patient soignant en risque psychosocial et d’avoir une réponse étagée. Nous ne sommes pas obligés d’hospitaliser. Si quelqu’un est en surmenage, qu’il se sent harcelé administrativement, qu’il reçoit des courriers comminatoires, que sa caisse de retraite refuse de le payer, etc., nous intervenons pour régler le problème administratif, pour qu’il en soit débarrassé. Ensuite, nous passons aux soins. Il ne faut pas sous-estimer le risque de faillite financière : un libéral qui ne va pas bien et qui n’a pas de remplaçant perd toute sa patientèle au bout d’un mois, ses ressources financières seront amoindries, ce qui va aggraver son burn out. Donc l’idée c’est de se substituer à lui d’un point de vue administratif pour qu’à son retour son outil de travail et ses biens aient été protégés.

Qui se chargera de ce genre de tâches ?

Nous travaillons avec deux sociétés, Pros-Consulte et Psya, qui ont des lignes de psychologues spécialisés. Nous leur demandons de fournir, en plus, une réponse administrative. En deuxième ligne d’intervenants, nous avons des acteurs de territoire déjà identifiés, liés à l’Ordre et à la Carmf, où des médecins généralistes formés peuvent prendre les gens au téléphone. Nous nous sommes rendu compte, dans un sondage, que 75 % des personnes interrogées voulaient avoir des consultations physiques, mais que, par ailleurs, 85 % ne savaient pas où se diriger lorsqu’elles ne se sentaient pas bien. Il va donc falloir préparer un niveau de réponse régional, avec des médecins de territoire bien répartis. Il s’agit d’une nouvelle carte à écrire.

Quelle est l’origine de l’association SPS, née en 2015 ?

C’est le Pr Pierre Carayon, professeur émérite de l’université de Franche-Comté, qui est à l’origine de l’initiative. Il avait adhéré à l’Apss, une association liée à la Caisse autonome de retraite des médecins [Carmf], qui répondait aux demandes de soins psychosociaux des professionnels de santé médecins. Le Pr Carayon a voulu l’ouvrir à toutes les professions de santé et il a organisé un colloque en 2015 à l’Académie de médecine sur ce sujet. Pour ce faire, il s’est rapproché du Centre national des professions de santé [Cnps], et j’ai été choisi pour accompagner ce projet, en tant que vice-président du Cnps.

Ensemble, nous avons imaginé une arborescence simple, la création d’une plateforme nationale susceptible de référencer toutes les associations qui font déjà ce genre de prise en charge. Pour ensuite faire émerger les centres dédiés partout sur le territoire. C’est le stade où nous en sommes actuellement. Nous devrions pouvoir, en décembre, annoncer la création de cette plateforme, puisque nous aurons rencontré d’ici là toutes les cliniques qui se sont portées volontaires pour devenir centre dédié. Il devrait y en avoir au moins un par région.

Et comment avez-vous organisé le montage financier ?

Normalement, tout est autofinancé, à l’exception de la plateforme. Les centres dédiés ont un prix de journée établi, dès lors qu’ils sont validés par l’agence régionale de santé [ARS], et la clinique sera payée. Toutes les consultations physiques seront payées, et les confrères seront rémunérés comme s’il s’agissait d’un patient lambda.

Pour la consultation téléphonique, c’est un peu plus compliqué. Le SML avait fait cette demande dans le cadre de la négociation conventionnelle, mais cela n’a pas abouti. Dans l’association Psya, les consultations téléphoniques coûtent 65 euros TTC par appel. C’est cet argent qu’il va falloir trouver. Il faut que l’État nous aide. J’aimerais que Marisol Touraine, que nous avons contactée, entende ce que nous avons mis en place pour les libéraux et les hospitaliers et qu’elle aura une bonne nouvelle à nous apprendre, le 29 novembre, à l’occasion du 2e Colloque national de l’association SPS.

Ensuite, il nous faudra faire de l’information et de la formation partout en France sur les actions de détection et de prévention à mener. Il faut que la plateforme devienne le numéro unique que tout le monde a dans sa poche lorsqu’il ne va pas bien.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : C. L B