Asthmatique très atteint depuis son plus jeune âge, fils et frère de médecins reconnus, Marcel Proust a toujours baigné dans l’univers de la médecine. Il accumule les connaissances, et développe vite une défiance vis-à-vis des médecins qui peinent à soigner ses souffrances.

 

“Il disait : j’ai vu un tel, il a ceci ou cela, je lui ai indiqué ce traitement. Et il le décrivait. Si bien que, voyez-vous, quand on est fils de médecin, on finit par le devenir soi-même”, rapporte le Pr François-Bernard Michel, membre de l’Académie nationale de médecine, au sujet de Marcel Proust. “On sait que la famille Proust compte deux professeurs de médecine, Adrien, le père, et Robert, le fils. On souligne ici qu’il est possible d’en identifier un troisième, le fis aîné, Marcel”.

Celui qui deviendra notamment l’auteur Du côté de chez Swann, naît le 10 juillet 1871 à Paris, dans une famille aisée et cultivée. Son père, le Dr Adrien Proust, est professeur à la Faculté de médecine de Paris et conseiller du gouvernement pour la lutte contre les épidémies. Dès ses premiers jours, Marcel montre une santé fragile. A l’âge de neuf ans, il fait une sévère crise d’asthme lors d’une promenade avec ses parents au Bois de Boulogne. Son père le voit mourir. La maladie le poursuivra et jouera un rôle jusque dans sa littérature.

 

Un travail d’investigation sur sa maladie

“A la fin du XIXème siècle, les soignants de Proust sont de grands maîtres parisiens qui savent peu, ne peuvent rien et abusent d’une posture injustifiée pour s’autoriser une arrogance inhumaine”, poursuit le Pr François-Bernard Michel. Trop souvent qualifié de “nerveux” par les pontes qui l’auscultent, Marcel Proust décide de récuser ce qualificatif. Il entreprend un travail d’investigation sur sa maladie et sur la médecine de manière générale. Ces médecins du siècle finissant, il les moque au fil des pages. Ainsi, le Pr Albert Robin, de la Faculté de médecine de Paris est-il décrit comme un “Casanova de Faculté“. Au sujet du Pr Georges Dieulafoy, alors président de l’Académie de médecine, cité nommément dans A la recherche du temps perdu, Marcel Proust écrit : “Un grand médecin, un professeur merveilleux (…). A ces rôles divers où il excella, il en joignait un autre dans lequel il fut pendant quarante ans sans rival (…) qui était de venir constater l’agonie ou la mort (…) jusqu’à ce que vint le moment de jouer son rôle favori, de réussir son tour de passe-passe exceptionnel, enfiler dans sa poche le cachet de ses honoraires.”

Déçu des médecins qu’il rencontre ou fréquente, incapables de trouver un remède à sa souffrance, Proust s’en remet à lui-même. Dès l’âge de 25 ans, il pratique régulièrement l’automédication. Il fait alors une consommation poussée de narcotiques, de barbituriques, d’adrénaline, de somnifères, d’opium, d’injections d’adrénaline, de nitrite d’amyle ou encore d’éther éthylique dont l’inhalation était courante au début du XXème siècle. Une consommation frénétique, dont Proust connaît les effets néfastes.

 

Médecin autoproclamé

Mais l’autoproclamé médecin, hypocondriaque et enclin à l’automédication connaît quelques accidents. En novembre 1920, il mélange une boîte de véronal avec un autre somnifère et s’empoisonne gravement. Quelques mois plus tard, il absorbe de l’adrénaline pure. Il tente de soigner ses brûlures à l’œsophage et à l’estomac en avalant de la glace qu’il fait venir du Ritz pour une somme exorbitante. Quelques mois avant sa mort, en 1922, son frère le Dr Robert Proust dira de lui qu’il souffre surtout d’une grave intoxication médicamenteuse.

“Son savoir procède de sa perspicacité, de son hypersensibilité à la souffrance physique et psychologique, la sienne et celle des autres, et de son travail de documentation. (…) Il réunit donc les deux fondamentaux de la médecine, le savoir et l’humanisme, initiateurs de conceptions pertinentes. Le malade se fait médecin, diagnostique et traite par correspondance une large clientèle, jusqu’à se considérer “plus médecin que les médecins””, écrit le Pr François-Bernard Michel.

En 1921, dans une lettre à son éditeur Gaston Gallimard, dont le collaborateur Jacques Rivière est grippé, Marcel Proust écrit : “Je suis navré que Jacques ait pris la grippe. Je crois qu’il ne se soigne pas bien. Je lui dirai la marche à suivre pour éviter la grippe. En tout cas, puisqu’elle est finie et qu’il a surtout de la fatigue, il ferait bien (s’il n’a pas d’hypertension) de demander à Roussy si des piqûres d’adrénaline ne seraient pas indiquées. C’est par excellence le remède contre la fatigue (s’il n’y a pas contre-indications comme dans le cas d’hypertension par exemple). Cela ne l’empêcherait pas de reprendre un peu de phytine qui est plus anodin mais pas à dédaigner.”

 

Un repas par 24 heures

En 1904, Marcel Proust s’interroge sur les bienfaits d’une cure que certains lui recommandent. Pour obtenir des réponses, mais surtout exprimer ses doutes, il écrit une longue lettre au Dr Georges Linossier, une connaissance de son père, qui consulte à Vichy et pour lequel l’écrivain a de la considération. Proust y détaille son état de santé, et certaines de ses manies.

“Je suis (au point de vue médical), il paraît, beaucoup de choses différentes, bien qu’à vrai dire on n’ait jamais su exactement quoi. Mais je suis surtout et indiscutablement très asthmatique. Asthme de foins d’abord, mon asthme est devenu assez vite un asthme d’été, puis un asthme de presque toute l’année. Et à la suite de repas trop copieux, il s’est compliqué d’un état d’apparence asthmatique mais d’origine, m’a-t-on dit, intestinale et gastrique qui est aujourd’hui depuis longtemps enrayé (…) Je fais un repas par 24 heures (et entre parenthèse je me permets de vous demander si au point de vue ration d’entretien vous trouvez ce repas suffisant pour vingt-quatre heures : deux œufs à la crème, une aile entière de poulet rôti, trois croissants, un plat de pommes de terre ou frites, du raisin, du café, une bouteille de bière) et pendant l’intervalle des vingt-quatre heures la seule chose que je prends est en me couchant un quart de verre d’eau de Vichy. (…) Si je prends un verre entier je suis réveillé par l’oppression.

(…) Or le conseil que je veux vous demander est le suivant : on m’a conseillé, pour modifier mes mauvaises habitudes de vie, de suivre un de ces traitements psychothérapiques que vous connaissez certainement, qui consistent à isoler le malade, à l’immobiliser, à le suralimenter, à le guérir par persuasion.” Plus loin, Marcel Proust fait au médecin une description détaillée de ses urines et de ses selles : “Je vais beaucoup – et mal – à la garde-robe”.

 

Pneumonie

Mais Marcel Proust craint l’isolement de la cure, il consultera plusieurs médecins dans pouvoir se décider. C’est finalement après la mort de sa mère qu’il s’y résoudra. Il y entre avec la certitude que le traitement ne lui réussira pas, et y restera quelques semaines seulement. Il jura plus tard qu’il en sortit plus malade qu’il n’y était entré.

En novembre 1922, Marcel Proust pose le mot fin au bas du manuscrit d’A la recherche du temps perdu, dont il a commencé la rédaction en 1906. Il vient de travailler trois ans sans relâche dans une chambre glacée, lui qui ne supporte pas le feu de cheminée craignant l’effet de la poussière sur son asthme. A sa gouvernante, il aurait déclaré “Je peux mourir, maintenant.” Il souffre d’une bronchite, qui vire à la pneumonie. Son frère voudrait le faire hospitaliser. Fidèle à lui-même, Proust refuse. Il se prescrit une diète, et ne boit plus que de la bière glacée. Le 17 novembre 1922, il croit voir venir la mort : “Elle est très grosse, et toute noire. Elle est affreuse, elle me fait peur.” Sa gouvernante envoie chercher son frère, désobéissant aux instructions. Il injecte au mourant une piqure d’huile camphrée, lui propose un masque à oxygène. Le 18 novembre, dans l’après-midi, Marcel Proust s’éteint à l’âge de 51 ans.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : F. Na

 

Avec Lefigaro.fr, Le Professeur Marcel Proust de François-Bernard Michel (Gallimard), Lettre de Marcel Proust au Docteur Georges Linossier et Marcel Proust : une désastreuse automédication