La loi Leonetti/Claeys sur la fin de vie confie des responsabilités supplémentaires au médecin traitant et permet de réaliser des sédations terminales en ville. Mais les difficultés et des lourdeurs de la charge pourraient bien rebuter les médecins généralistes déjà débordés. Le sujet a été débattu lors des JNMG 2016, qui viennent de se clore à Paris. 

 

La loi Leonetti/Claeys sur la fin de vie de 2015, confie une responsabilité supplémentaire au médecin généraliste traitant. Celle d’aider et conseiller le patient dans la rédaction de ses directives anticipées allant de pair avec la désignation d’une personne de confiance. Ces directives auront ensuite à être conservées dans un endroit proche du patient ou de son médecin traitant, le mieux étant le dossier médical partagé (DMP) ou, à défaut, le dossier médical conservé à l’hôpital.

 

“Elles s’imposent aux médecins”

Les directives anticipées sont très engageantes pour les médecins, car elles concernent toutes les personnes, même sous tutelle et n’ont plus de délai de validité, mais elles peuvent être modifiées“, a commenté le Dr Olivier Mermet, administrateur de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), qui intervenait aux Journées nationales de médecine générale (JNMG) 2016. Engageantes, cela signifie qu’elles s’imposent aux médecins urgentistes qui doivent aller vérifier leur présence sur le DMP, à moins d’une urgence vitale, qu’elles concernent une demande inappropriée (illégale notamment) ou non conforme à la réalité médicale.

Médecin généraliste et membre d’un réseau de soins palliatif, le Dr Mermet développe la mission qui est désormais dévolue à ses confrères : “expliquer au patient l’évolution de la maladie et les techniques et traitements mis en place, l’aider dans la rédaction des directives, participer à l’orientation et la coordination du malade… Le tout sans trop insister car certains patients ne veulent pas en entendre parler.”

D’autre part, la loi Leonetti/Claeys donne désormais la possibilité dans un cadre de soins palliatifs, de procéder à une sédation profonde et continue au domicile, si le patient ne peut s’exprimer, dans le cas d’une affection grave et incurable, avec un pronostic vital engagé à court terme et une souffrance réfractaire au traitement. Ou dans le cas d’une affection grave avec un pronostic vital pas immédiatement engagé mais qui le deviendrait si on enlevait la ventilation, ce qui serait accompagné de souffrances. En traitement palliatif, le produit ainsi que le matériel (seringue électrique) sont rétrocédables en ville.

 

“Avant d’accepter, il faut…”

Pour cette mission ultime et rare – trois fois environ dans une carrière alors qu’un médecin généraliste accompagne entre 3 à 5 fins par an de vie à domicile, estime le Dr Mermet – le praticien devra assumer une lourde charge.

Avant d’accepter, il faut lister tout ce qui peut générer du stress ou de l’inconfort pour le patient, prévient-il. Vérifier que tout a bien été mis en place, que le malade a été écouté, informé, tout comme sa famille. Qu’il est bien soulagé de ses symptômes, qu’il bénéficie d’un éventuel soutien psychologique et de soins de nursing et que le domicile est adapté”. Précaution utile : s’adjoindre les services d’un réseau, qui pourra fournir aide et informations pour les difficultés financières éventuelles traversées par la famille.

Lorsque l’arrêt du traitement se profile, après avoir “attendu un délai raisonnable”, précise la loi, le médecin traitant devra mettre en place une procédure collégiale, c’est-à-dire recueillir l’avis d’un deuxième médecin et réunir l’équipe soignante au domicile. Devant la lourdeur et la difficulté pour un médecin libéral d’assumer une telle tâche, le Dr Mermet conseille aux praticiens “de se faire aider par une structure de soins palliatifs“, lui mettant personnellement en place une HAD (hospitalisation à domicile).

 

L’équipe de soins primaires est-elle optimale ?

Et c’est encore une nouvelle série de questions qui attend le médecin traitant, une fois que le patient et son entourage ont été informés, et que la demande d’arrêt de traitement est validée.

Notamment : quand mettre en place la sédation, en fonction de la famille, de l’entourage, de l’équipe soignante de nuit ? Que se passe-t-il si le malade vit seul (ouverture de la porte) ? L’équipe de soins primaires est-elle optimale, quel relai possible si les choses se passent mal (psychologue, anesthésiste, hôpital de repli) ? Quel accompagnement pour la famille, les équipes soignantes ? Le médecin doit aussi donner des explications sur le double effet (un médicament qui soulage peut également hâter la mort), désormais reconnu et accepté par la loi. Sur l’arrêt de la nutrition et de l’alimentation, considérés comme des traitements, qui laissent la place à du nursing et des soins de bouche, il doit aussi éclairer la famille et les proches, et envisager de les suivre aussi après le deuil.

Il faut encore prévoir qui va signer le bon de décès, viser l’aménagement de la pièce, savoir qui va venir après le décès et envisager éventuellement des soins particulier du corps, en relation avec la religion du patient…

“Il y a très peu de personnes formées à ces tâches qui sont théoriquement et légalement possibles. Il faut un travail de coordination des équipes soignantes, or la loi semble prendre tout cela à la légère“, a relevé Olivier Mermet, qui observe surtout que les médecins traitants “passent très vite la main et hospitalisent”.

 

“Il faut apaiser la famille, c’est le bon sens”

Cette opinion est partagée par le Pr Anne de la Tour, la présidente de la SFAP, qui trouve que la direction générale de la Santé “est vraiment très soucieuse de savoir comment les choses se passent à domicile. En 2005, il n’y
avait pas eu de diffusion officielle des directives de la loi Leonetti.
Elle est restée presque confidentielle. Mais aujourd’hui, il y a un
enjeu de pouvoir sur la communication autour des directives anticipées”,
reconnaît-elle.De son côté, la SFAP œuvre à la diffusion des recommandations pratiques auprès des professionnels sur le terrain.

Dans sa pratique quotidienne au service de soins palliatifs et douleurs chroniques au Centre hospitalier Victor Dupuy d’Argenteuil (Val d’Oise), le Pr de la Tour se laisse guider par les directives anticipées “un outil de dialogue“, et la hiérarchie de l’information. 1) Les patients ou sinon, les directives, 2) la personne de confiance et 3) enfin la famille. “La loi dit que l’alimentation et l’hydratation peuvent être arrêtés, l’esprit de la loi, c’est de ne pas entretenir l’agonie, cela doit se faire dans la collégialité. Il faut apaiser la famille, c’est le bon sens. Ecouter ceux qui se taisent, tout en gardant notre distance et une traçabilité de nos échanges”, précise-t-elle.

Pour le Dr de la Tour, la reconnaissance du double effet “permet de ne plus avoir peur des conséquences des morphiniques et apaiser le malade, ce qui n’est pas une euthanasie“. Mais elle s’inquiète des effets de cette loi “qui est d’initiation politique. Ce texte demande de la recherche, de l’esprit critique. Il ne faut pas trop attendre de la loi” estime-t-elle, rappelant que la médecine “reste un art. Il faut voir tout ce qui peut être fait autour de la prise en charge, ne pas oublier la souffrance des proches, des soignants. Oser la prise en charge, ce n’est pas une banalisation”.

 

“On manque de médecins généralistes sur le terrain”

Mais peut-on raisonnablement envisager de procéder à de telles fins de vies en ville, alors que l’on manque de médecins libéraux partout en France et que ceux qui restent sont débordés de travail ? Comment assurer le suivi d’une agonie qui peut durer plusieurs jours, fournir la prescription ? “On manque de médecins généralistes sur le terrain, a reconnu le Pr de la Tour.Il faut une permanence, une présence au domicile. La SFAP veut nouer des partenariats avec des bénévoles, mais ce ne sera pas suffisant“. La Haute autorité de santé conseille la collaboration avec l’HAD, ou un réseau. Or, les réseaux et les équipes de ville ne sont pas habilités à prescrire, ils ne peuvent que donner des conseils aux médecins traitants, qui prescrivent. L’idée soumise par le Pr de la Tour serait de réfléchir au principe d’une prescription exceptionnelle, par un médecin du réseau, en cas d’urgence.

Il y a d’autres solutions que la sédation, a-t-elle conclu. Or, ne sait pas ce que vivent les malades sous sédation, mais on l’inscrit dans la loi, alors qu’il faudrait prioritairement, mener des travaux de recherche, c’est regrettable”.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne