Augmentation des coûts des médicaments innovants, opacité dans la fixation des prix, enjeux socio-et macro-économiques font craindre une remise en question d’un accès équitable et pérenne aux traitements onéreux en cancérologie.

 

La 1ère Journée nationale de débats sur “l’équité d’accès aux médicaments innovants et coûteux en cancérologie”, a eu lieu à l’initiative de La Ligue contre le cancer le 23 septembre dernier. Après plusieurs mois de mobilisation, La Ligue contre le cancer, par la voie de sa présidente, le Pr Jacqueline Godet, estime qu’il est temps de trouver des solutions.

 

Egora.fr : Quels étaient les objectifs de cette journée ?

Pr Jaqueline Godet : La Ligue nationale contre le cancer a été la première association en France à médiatiser la question de l’équité d’accès aux médicaments innovants contre le cancer. C’est en sa qualité de lanceuse d’alerte et dans sa capacité à réunir autour d’elle les parties prenantes, y compris des malades et des anciens malades qui ont bénéficié de médicaments innovants et coûteux, qu’elle a initié cette première journée inédite de débat sur l’équité d’accès aux médicaments innovants et coûteux en cancérologie.

Les objectifs de cette journée étaient de dégager des pistes, concrètes et réalistes, pour maintenir l’accès aux soins pour tous, aujourd’hui et dans les années à venir, à partir des différents exposés de la situation. Ces derniers ont notamment porté sur les enjeux de l’innovation thérapeutique dans les systèmes de santé français et étrangers, sur le mécanisme de fixation du prix d’un médicament innovant et sur la défense de l’accès à l’innovation thérapeutique pour tous. De nombreux témoignages ont aussi permis de comprendre comment les personnes malades avaient bénéficié de ces traitements.

Cette journée se doit de marquer un tournant. Si elle a été un temps exceptionnel d’échanges d’opinions et de propositions venant concrétiser neuf mois intenses d’actions, elle doit initier une ère de solutions pour endiguer l’augmentation du prix des médicaments innovants qui soit en mesure de permettre à chacun de continuer à recevoir les soins dont il a besoin tout en préservant le système de santé auquel les Français sont attachés.

Quelles sont les inquiétudes de La Ligue contre le cancer concernant les traitements anticancéreux ?

Les médicaments innovants contre le cancer peuvent sauver la vie des personnes malades. Très efficaces, ils sont également très chers et peuvent atteindre plus de 100 000 euros par traitement pour certains d’entre eux. La Ligue contre le cancer s’inquiète de l’avenir de notre système de santé et de sa capacité à pouvoir soutenir des soins très onéreux pour toutes les personnes malades ; elle redoute une future inéquité d’accès à ces médicaments onéreux. Or notre pays se doit de garantir un accès équitable aux médicaments innovants qui guérissent et sauvent des vies.

L’accès à l’innovation thérapeutique vous paraît-elle en péril ?

L’innovation est une source majeure de progrès thérapeutique, notamment dans le domaine de la cancérologie, ce dont tout le monde se félicite. La France a choisi de favoriser l’accès à l’innovation, via différents leviers, ce qui est une bonne chose. Les autorisations temporaires d’utilisation (ATU) et la liste en sus s’inscrivent pleinement dans cette logique. Nous bénéficions également d’un modèle solidaire qui n’interdit pas la prescription d’un médicament pour des raisons de coût. Mais pour combien de temps encore ?

La soutenabilité des finances de la Sécurité sociale soulève en effet quelques interrogations. Faute de pouvoir accroître les prélèvements obligatoires et face à la nécessité de plafonner les dépenses d’assurance maladie, les solutions ne sont pas légions dans un contexte économique contraint. Le dilemme mérite un débat public et démocratique.

Le mécanisme de fixation des prix des médicaments vous semble-t-il adapté ?

Le principe de fixation des prix est discutable, à double titre. Tout d’abord, les médicaments innovants relèvent d’une nécessité et non d’un choix pour les personnes malades qui en ont besoin. Il n’est donc pas éthique de fixer leur prix en fonction du service rendu. Je prends pour exemple le laboratoire qui produit le Sofosbuvir. C’est à partir de cette logique du service rendu que ce dernier justifie son prix, arguant qu’il guérit plus de 90 % des personnes atteintes par le virus de l’hépatite C et évite ainsi les futures dépenses qu’engendreraient cancers du foie, cirrhoses ou greffes hépatiques. Le mécanisme de la fixation des prix de l’innovation est ainsi rendu opaque par les enjeux sociaux et macro-économiques propres aux laboratoires qui viennent polluer la juste valeur de l’innovation. Ils rendent illisibles les coûts véritables de la recherche, du développement, de la production et de la distribution. Ce sont pourtant ces coûts qui devraient seuls être pris en considération. Tout autre argument utilisé pour justifier le prix de ces nouveaux médicaments n’est pas acceptable.

D’autre part, les marges de négociations sont très faibles, du propre aveu du Comité économique des produits de santé (CEPS). L’absence de représentants des usagers dans cette instance illustre parfaitement le manque de débat démocratique sur cette question, alors que ce sont justement les usagers du système de santé qui financent les innovations thérapeutiques.

Quels sont les engagements des autres associations sur ce sujet ?

En mars 2016, un appel a été publié par un groupe de 110 cancérologues sur l’urgence de maîtriser les prix des nouveaux anticancéreux. Ce texte dénonçait notamment le coût des médicaments innovants risquant à terme d’en compromettre une prescription équitable et s’inquiétait de la pérennité du régime de santé solidaire dont les Français bénéficient. Quelques mois plus tard, en juin 2016, Médecins du Monde lançait une campagne et une pétition contre les prix des médicaments pour soigner le cancer et l’hépatite C. L’association, désireuse d’alerter l’opinion publique sur les futurs risques de rationnement, prenait pour exemple le traitement contre l’hépatite C soumis, en raison de son prix, à un rationnement.

En avril 2016, La Ligue avait lancé une pétition “Pour la fin des prix exorbitants des médicaments contre le cancer !” qui a recueilli à ce jour plus de 68 000 signatures et annonçait en août son soutien à la pétition “Guérison contre profits, notre cancer n’est pas monnayable !” portée par quatre malades et anciens malades.

Ces engagements montrent combien le débat autour de cette question prend de l’ampleur : l’opinion publique commence à prendre conscience de la menace qui pèse sur notre système de santé.

Dans sa mission de défense des personnes malades,la Ligue contre le cancer s’est mobilisée en faveur d’une transparence dans la fixation des prix et exige la mise en place de mécanismes d’adaptation du prix, au cas par cas, qui tiennent compte de critères liés à l’utilisation des médicaments innovants (nombre de patients, nombre de prescripteurs, efficacité, etc.).

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Marielle Ammouche