“Les réseaux de soins remettent en cause le libre choix du patient et portent atteinte au secret médical”. Ce constat est celui de l’Observatoire des réseaux de soins de la Confédération nationale des syndicats dentaires. Catherine Mojaïsky, présidente de la CNSD, explique que ses confrères ont l’impression de se faire voler et que les patients courent le risque de recevoir des soins de moins bonne qualité.

 

 

Egora.fr : Quel est cet Observatoire des réseaux de soins que vous avez mis en place ?

Catherine Mojaïsky : Il a été créé il y a quelques années, devant les retours et témoignages de nos confrères qui nous faisaient part de leur désarroi devant les pratiques de certaines plateformes assurantielles. Ils nous demandaient comment réagir alors qu’ils voyaient leurs patients détournés, partir vers d’autres confrères, sans qu’ils aient les moyens de réagir. Ils avaient un sentiment d’indignation et de colère, l’impression de se faire voler leurs patients par ces plateformes.

On a commencé à recueillir des témoignages. Ça s’est accentué quand on a entamé il y a un a et demi une plainte auprès de l’Autorité de la concurrence pour condamner ces pratiques qui nous semblaient déloyales. Nous chirurgiens-dentistes libéraux n’avons pas le droit de faire de la publicité, alors que les plateformes le font impunément.

On a vu arriver des témoignages de confrères puis de patients, nous faisant part de détournements, d’appels de la part des plateformes, disant “le devis de votre dentiste est trop cher, on peut vous envoyer vers quelqu’un beaucoup moins cher”. Pour certains patients, c’était assez révoltant. Ils faisaient confiance à leur praticien et ils avaient l’impression qu’on cherchait à les envoyer ailleurs. On a eu d’autres témoignages de plaintes sur la qualité. Une patiente a été détournée par une plateforme vers un autre implantologiste, à 120 kilomètres de chez elle. Elle a suivi le conseil de sa complémentaire et fait le trajet pour avoir une extraction et un implant de l’incisive latérale gauche au lieu de la droite. Il ne faut pas imaginer qu’ils ont beaucoup de monde dans leurs réseaux, donc il faut parfois envoyer les patients faire des kilomètres. Vous imaginez l’économie à faire quand vous avez 120 kilomètres à faire, plusieurs fois, sans parler de la perte de confiance ?

Une étude vient de montrer que les réseaux de soins avaient permis une baisse des prix de 19% en dentaire [Voir encadré]. Qu’en pensez-vous ?

Ce communiqué est fait par un lobbyiste qui travaille pour Santéclair, ça discrédite leur travail. Et ils pointent une baisse des coûts, mais à quel prix ? Dans le système de financement des soins dentaires, toute baisse artificielle des soins dentaires entraîne forcément une baisse de la qualité et de la sécurité. Et l’exemple de Dentexia est frappant. Pendant des années, on a dit aux patients qu’ils allaient pouvoir se faire soigner aussi bien et moins cher, et le scandale est arrivé. L’équilibre est rompu, et ça se fait forcément au détriment de quelque chose.

Ce qui est hallucinant dans cette étude, c’est la qualité auto-proclamée des soins. Il n’y a aucun critère qui permette d’évaluer cette qualité. Le seul critère de qualité c’est la durabilité. Ce n’est pas immédiatement que l’on peut décréter qu’une couronne est de qualité ou pas. On est un peu surpris de cette proclamation. Mais le scandale Dentexia n’est pas étranger à ça. On a reproché aux low-cost leurs problèmes de qualité, donc ils ont voulu anticiper la critique sur coût bas et qualité inférieure.

Combien de chirurgiens-dentistes sont adhérents à ces réseaux de soins ?

Ils sont 2 à 3 000, sur 36 000. Ce n’est pas beaucoup, et ça explique pourquoi il y a parfois des kilomètres à faire. Nous, à la CNSD, on a signé en 1997 un accord avec la MGEN. C’était un principe différent. Ce n’étaient pas les tarifs qui baissaient, malgré des plafonnements à des niveaux tout à fait cohérents avec la qualité de soins, mais les remboursements des patients étaient augmentés. Aujourd’hui, 24 000 chirurgiens-dentistes sont adhérents à ce protocole. Quand vous avez des critères cohérents, quand tout le monde y gagne, les gens adhèrent. S’ils n’adhèrent pas, c’est que la formule n’est pas cohérente.

Quelles sont les critiques qui vous remontent sur les réseaux de soins ?

Les atteintes au libre choix du patient et au secret médical. Quand vous envoyez un devis à une plateforme pour savoir combien vous allez être remboursé, dans un certain nombre de cas, vous recevez un petit courrier en réponse en disant que s’ils préfèrent un professionnel du réseau, le reste à charge sera diminué. Vous avez une volonté délibérée de détourner les patients de leur praticien. Si le patient ne réagit pas, il va recevoir un petit coup de fil pour le convaincre d’aller voir le Dr Y qui lui fera beaucoup moins cher. Avec des critères qui ne sont absolument pas objectifs. Quand vous lisez un devis sur une couronne, vous êtes incapable de savoir quel type de couronne c’est. Dire que ce sera la même en moins cher, ce n’est absolument pas possible et mensonger. Et une couronne plus chère peut aussi être justifiée par une qualité de fabrication différente.

Pourquoi parle-t-on d’atteinte au secret médical ? Parce que les gens qui travaillent sur ces plateformes ne sont pas des professionnels de santé et ont accès aux informations médicales des patients. Ils savent quel est son état de santé et quels sont les traitements qu’il suit. Si ça, ce n’est pas une atteinte au secret médical… C’est caractérisé. Ça pose de réels problèmes.

Un rapport de l’IGAS doit bientôt être publié au sujet des réseaux de soins, vous avez été entendus ? Qu’attendez-vous de ce rapport ?

Nous allons être auditionnés la semaine prochaine. On espère qu’il va y avoir une vision objective. On avait de grands espoirs dans l’Autorité de la concurrence, devant laquelle nous avons porté plainte il y a 18 mois. Les échos qu’on en a semblent dire que le volume n’est pas suffisant pour porter atteinte au marché. Ils ne vont, a priori, pas condamner les réseaux de soins. On espère que l’IGAS corrigera le tir.

La vérité, c’est qu’aujourd’hui, il y a un vrai problème de remboursement sur tous les actes de prothèses et d’orthodontie, donc il faut absolument qu’on améliore les choses, mais pas par une baisse artificielle des tarifs.

On a tendance à associer les réseaux de soins et la gauche. Pensez-vous qu’une alternance politique l’année prochaine pourra mettre un coup de frein aux réseaux de soins ?

Je ne suis pas sûre qu’il y ait une couleur politique dans les réseaux. La première tentative de légiférer sur les réseaux de soins, c’était avec la PPL Fourcade en 2011. A l’époque c’était encore un gouvernement de droite. Je ne suis pas convaincue qu’il y ait une volonté farouche, dans aucun parti, d’aller changer la donne. D’ailleurs, on a contacté les différents groupes parlementaires. C’est quand même eux qui ont légiféré et qui n’ont toujours pas rendu le rapport annuel promis sur la PPL Leroux. On l’attend toujours. Pourquoi ils ne le sortent pas ? Il y a peut-être des choses trop gênantes, ou alors ils s’en foutent. C’est une option.

 

Réseaux de soins et baisse tarifaire : une étude controversée

Les réseaux de soins ont permis des “diminutions tarifaires des professionnels de santé partenaires de ces réseaux varient de 10 à 50 %” par rapport au prix moyen du marché. C’est une enquête de Santéclair, du CISS et de 60 millions de consommateurs qui le dit. En dentaire, ils auraient provoqué une baisse des prix de 19% en moyenne, “soit un gain moyen de 343 euros pour un acte“. Malgré cela, admet l’étude, “les réseaux n’ont pas permis de réduire le renoncement aux soins“, qui touche 20% des Français. La cause ? Une sous-utilisation des réseaux, assure le document. C’est “par manque d’information” sur ces réseaux que les Français continueraient de renoncer aux soins.

Comme Catherine Mojaïsky, la CSMF a aussitôt dénoncé une “étude partisane”, “commandée par un financeur des réseaux de soins”. “Comment peut-on parler de “qualité contrôlée”, comme le conclut cette étude, lorsque c’est le payeur qui fait ce contrôle ? Seuls des organismes extérieurs et indépendants, dont c’est le métier exclusif, peuvent procéder à des contrôles qualité. Ceci est la base de toute démarche qualité“, conclut la CSMF.

 


Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier