Les violences n’épargnent pas le monde de la santé, une série de faits divers récents nous le rappelle. Et les professionnels hospitaliers ou libéraux prennent progressivement conscience de la nécessité de mieux les signaler pour pouvoir y apporter des réponses appropriées. État des lieux.

 

25 millions d’euros par an, sur trois ans. C’est la somme que Marisol Touraine a promis, ce lundi, pour lutter contre la violence dans les établissements de santé. Ce plan prévoit du matériel de vidéo-surveillance, des patrouilles mobiles Vigipirate, ainsi que des formations pour les professionnels.

C’est à la suite du meurtre d’une infirmière et d’une aide-soignante perpétré par un patient dans un hôpital psychiatrique à Pau en 2004, drame fortement médiatisé, que les questions de sécurité à l’hôpital ont connu un tournant. Les faits divers qui touchent le monde de la santé sont aujourd’hui de mieux en mieux cernés, et les tentatives de réponses, à la fois sécuritaires et médicales, commencent à être plus organisées. Mi-septembre, un médecin a été grièvement blessé lors d’une agression d’une rare violence aux urgences du centre hospitalier de Saint-Denis. La victime a eu les deux poignets fracturés. L’agresseur, âgé de 21 ans, qui accompagnait son frère et se plaignait que les soins n’aient pas été suffisamment rapides, a été immédiatement arrêté. Jugé en comparution immédiate, il a dit regretter son geste. Désormais placé sous contrôle judiciaire dans l’attente de son procès fixé au 4 novembre, il encourt cinq ans de prison.

Quelques jours plus tôt, les urgences d’un des établissements des Hôpitaux civils de Lyon (HCL) reçoivent un blessé victime d’une rixe entre bandes rivales, une bagarre dont les derniers coups de couteau s’échangeront dans le hall de l’hôpital. Début septembre, à Vincennes, c’est une infirmière libérale qui est violemment agressée par un patient au domicile. Alertées, les forces de l’ordre ont abattu l’individu qui a donné un coup de couteau à une policière pendant son interpellation. À Creil, la même semaine, l’unique généraliste du quartier sensible du Moulin a dévissé sa plaque après “une série d’agressions verbales répétées, insultes, menaces et provocations physiques”, comme l’indique désormais une affichette à la porte de son cabinet.

Est-ce à dire que le niveau de violence augmente continuellement en ville et à l’hôpital ? Difficile à affirmer. En revanche, la tolérance à la violence recule, et les signalements des faits sont en progression.

 

En ville, la médecine générale en tête des signalements

Dans quelques semaines, le Conseil national de l’Ordre des médecins détaillera les données 2015 de son propre Observatoire de la sécurité des médecins, centré sur la médecine de ville. En 2014, le niveau de violence constaté avait atteint son troisième niveau le plus élevé depuis la création de cet outil en 2003. “La minoration des faits est de moins en moins importante, remarque le Dr Christian Bourhis, chargé de cet observatoire au sein du Cnom. Cette année, nous constatons un peu moins d’agressions graves mais davantage d’injures et d’insultes, peut-être parce que les médecins hésitent moins maintenant à nous les signaler. Porter ces faits à la connaissance de l’Ordre leur permet également, quand ils ne souhaitent plus suivre un patient pour cette raison, de ce couvrir du risque de refus de soins non urgents.”

Si la médecine générale concentre toujours les deux tiers des signalements, certaines spécialités commencent aussi à être très représentées. Les derniers chiffres traduisent également des améliorations de la sécurité dans certains territoires, mais des dégradations dans d’autres, notamment dans certaines zones rurales. Depuis la signature d’un protocole entre les ministères de la Santé, de la Justice et de l’Intérieur en 2011 sur les questions de sécurité en médecine de ville, des conventions entre les Cdom et les représentants des forces de l’ordre ont été conclues dans une soixantaine de départements dont, depuis l’année dernière, Paris, le Var et les Alpes-Maritimes. Des réunions d’information sur les questions de sécurité sont organisées au niveau local avec la police ou la gendarmerie

 

Les boutons d’alarme sont peu utilisés 

L’école de police de Clermont-Ferrand a réalisé une vidéo pour expliquer aux médecins libéraux les conduites à tenir de manière préventive. “À l’issue de ces réunions, il est également proposé aux médecins qu’un policier ou un gendarme passe au cabinet pour faire un diagnostic de sécurité”, précise le Dr Bourhis. Si les boutons d’alarme sont peu utilisés dans les cabinets de ville, dans certains départements il existe des numéros spéciaux d’appel à la police pour les médecins. Des caméras de vidéosurveillance des mairies peuvent également être placées sur le chemin du cabinet ou des systèmes de géolocalisation des médecins pendant les visites sont aussi parfois proposées.

“Il faut que les mesures soient à chaque fois adaptées à la réalité du terrain, insiste le Dr Bourhis. Dans certains quartiers difficiles de mon département de l’Oise, des policiers peuvent par exemple faire, à la demande du médecin, des visites régulières au cabinet afin de dissuader la présence de dealers aux alentours. Mais il y a quand même aussi beaucoup de départements où tout se passe bien et où de telles mesures de prévention de la violence ne sont pas forcément nécessaires.” En cas d’agression, le dépôt de plainte est également facilité pour les libéraux, sur rendez-vous avec un interlocuteur dédié, dans les départements où des conventions ont été signées. Dans tous les cas, les Cdom peuvent renseigner le médecin.

 

“Culpabilité de ne pas avoir été à la hauteur”

Et pourtant, les soignants ont encore une réticence culturelle à porter plainte ou même simplement à faire remonter les faits. “C’est vrai que c’est compliqué pour les soignants de relever ces événements indésirables, reconnaît le Dr Rachel Bocher, présidente de l’Inph. C’est comme s’ils étaient dans une forme de culpabilité de ne pas avoir été à la hauteur, car cela les renvoie à leurs motivations de soignants, qui est de panser, consoler et protéger. Mais c’est très important de dire ce qui s’est passé, ne serait-ce aussi que pour avoir des moyens supplémentaires.” Cette psychiatre a connu les améliorations de la sécurité dans les services depuis une dizaine d’années : système d’alerte dans les bureaux de consultation, mise en place des chambres de soins intensifs pour isoler les patients en risque de passage à l’acte.

“Mais la meilleure des sécurités reste la formation des personnels et la présence d’équipes suffisamment nombreuses, dit-elle. Il faut aussi apprendre aux soignants qu’ils ne peuvent pas tout accepter de la part des patients.” Un avis partagé par l’urgentiste Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Amuf. “Il faut que les préconisations qui sont anciennes soient appliquées par les administrations, à commencer par la formation, qui est la première des préventions, martèle-t-il. Dans mon ancien Samu, on formait les personnels par des jeux de rôle pour apprendre à réagir face à l’agressivité. En outre, quand des faits se produisent, il faut que les directions des hôpitaux accompagnent les soignants dans leur démarche de plaintes.”

C’est ce qui a, en effet, été normalement prévu par les accords “santé sécurité justice” signés entre les différents ministères concernés en 2005, à la suite du drame de Pau. Depuis, 530 conventions locales ont été signées entre des établissements de santé et les forces de l’ordre. De plus, un commissaire de police est détaché auprès de la Dgos pour aider les établissements à définir leur politique de sécurité. Le niveau de sécurité a également été amélioré dans la plupart des grands établissements. Ainsi, par exemple, les Hospices civils de Lyon (HCL) ont repensé leur politique de sécurité depuis 2012. “Il est très important d’impliquer les médecins chefs de service et les directeurs de groupements hospitaliers dans la politique de sécurité, explique Cédric Versaud, directeur du département prévention et sécurité générale des HCL. Personnellement, j’aime aller au contact des soignants qui sont les plus proches du public car il faut avoir un maximum d’informations du terrain pour apporter la bonne réponse. En matière de sécurité, c’est important de répondre aux faits quand ils se produisent mais surtout il faut travailler par anticipation en faisant des analyses de vulnérabilité.”

 

“Ne pas laisser passer les incivilités”

Les HCL ont ainsi mis en place un dispositif contre les rapts de nourrissons et un dispositif pour prévenir l’errance des personnes désorientées. “Dans le premier cas, c’est un risque théorique que nous avons identifié, et les équipes ont trouvé notre proposition pertinente, explique Cédric Versaud. Dans le second, ce sont les soignants qui nous ont expliqué leurs difficultés à gérer les patients désorientés en plus de leur activité de soins.” Aux HCL, ce sont 230 agents hospitaliers qui sont en charge de la sécurité au sens large. “Nous avons également développé des formations à la neutralisation d’individus dangereux pour le personnel soignant, ajoute Cédric Versaud. Quant au bureau des admissions, nous avons appris au personnel à réagir face à l’énervement d’un patient et à ne pas laisser passer les incivilités.”

Une réponse sécuritaire qui n’est pas incompatible avec une approche médicale, comme par exemple la politique de réduction des violences qui a été mise en place aux urgences de l’hôpital Bichat à Paris. “On est bien sûr toujours confronté à la violence qui est liée à l’alcoolisation ou à des pathologies psychiatriques pour laquelle la réponse est d’abord le soin ainsi qu’à une part minime de violences importées, comme par exemple des rixes entre bandes rivales qui peuvent nécessiter une intervention rapide et musclée de la police“, raconte le Dr Christophe Choquet, responsable d’unité fonctionnelle au SAU du groupe hospitalier Bichat-Claude-Bernard. Dans les cas d’agression, les personnels sont fortement incités à porter plainte. Pour faciliter leurs démarches, des contacts ont été noués avec les commissariats des arrondissements voisins. “Mais il faut savoir que la très grande majorité des cas de violences aux urgences sont générés par le caractère anxiogène de ces services, explique le Dr Choquet. Même une personne normalement tolérante à la frustration peut avoir des comportements outranciers dans une situation de stress et d’inquiétude. C’est pourquoi nous avons voulu travailler sur les questions d’organisation : réduire les délais d’attente, améliorer le retour d’information aux patients et aux proches mais aussi mieux contrôler les accès pour que les personnels puissent travailler dans de bonnes conditions.”

Ainsi, en dix ans, le nombre d’interventions des services de sécurité de l’hôpital est passé de deux ou trois par jour à deux ou trois par semaine. “Il ne suffit pas de mettre des vigiles partout, abonde le Dr Prudhomme. Il faut que les conditions d’accueil aux urgences soient adaptées et que les médecins puissent être disponibles pour les patients.” Au service des urgences de Saint-Denis, suite à l’agression du médecin, la direction de l’hôpital a annoncé qu’un agent de sécurité serait disposé en permanence aux urgences la nuit. Une partie de la réponse sans doute. Mais une partie seulement.

 

« Faire que les signalements augmentent et que les violences baissent »

Arnaud Poupard, commissaire de police détaché auprès du ministère de la Santé, auteur du rapport annuel de l’Observatoire national des violences en milieu de santé (Onvs). Il a été nommé le 19 septembre conseiller pour la sécurité générale du directeur général de l’AP-HP.

Egora.fr : Comment sont collectées les données qui alimentent l’Observatoire national des violences en milieu de santé ?

Arnaud Poupard : Pour les soins de ville, ce sont les différents ordres professionnels qui collectent les informations, et nous en publions la synthèse en annexe de ce rapport. En revanche, s’agissant des établissements de santé, nous recevons directement les signalements des hôpitaux volontaires. Ce ne sont donc pas des données exhaustives. Il est du coup impossible de tracer des évolutions comparatives, car les données ne sont pas issues d’un panel d’établissements exactement identique d’une année sur l’autre. Mais notre souhait est que le maximum d’établissements soient volontaires pour faire remonter leurs données afin que nous puissions dresser un tableau aussi précis que possible du phénomène. Nous avons aussi remarqué que le premier filtre à la déclaration est souvent les soignants eux-mêmes, qui hésitent à signaler. C’est pourtant indispensable dans l’intérêt de tous. Mon travail est de faire que les signalements soient en hausse mais que les violences baissent. Nous avions 12 400 signalements en 2013 et 14 500 en 2014, mais cela ne veut pas dire pour autant que les faits augmentent.

Pourquoi les soignants hésitent à en parler, à votre avis ?

Parfois, c’est par méconnaissance du dispositif. Mais trop souvent les soignants pensent, à tort, que signaler ne servira à rien. Je rappelle que quand on injurie un soignant c’est une infraction pénale aggravée. Les injures et les menaces sont des violences qui ne sont pas acceptables. C’est pourquoi il faut les signaler, au même titre que les infractions les plus graves comme les coups, les vols, les dégradations et les crimes.

Quels sont les services les plus concernés ?

Parmi les établissements qui ont souhaité porter des faits à la connaissance de l’administration centrale, le plus grand nombre d’actes concernent les services de psychiatrie, d’urgences, puis de gériatrie. Nous souhaitons désormais opérer une distinction entre les violences liées à une pathologie des autres, tout simplement parce que la réponse ne sera pas être exactement la même. Dans le premier cas, elle relève d’abord du domaine du soin et dans le second de problématiques de sécurité. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas utiliser des dispositifs de sécurité pour prévenir des faits liés à des pathologies mentales, mais la réponse n’est pas que sécuritaire.

Que nous apprennent ces chiffres ?

En matière de sécurité comme en médecine, il faut partir d’un diagnostic et ne pas simplement agir sur un symptôme. C’est pourquoi je vais toutes les semaines dans les établissements de santé pour aider les équipes à poser ce diagnostic et à développer leur sécurité. Il n’y a pas de réponse unique. Un service peut avoir besoin d’un vigile tandis que pour un autre il sera plus utile d’avoir un agent de médiation. Depuis les accords « santé sécurité justice » de 2005, les forces de l’ordre peuvent également venir dans les hôpitaux pour établir un diagnostic partagé et les conseiller.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Véronique Hunsinger