Camouflée sous un faux profil de femme seule cherchant un donneur de sperme, Sarah Dumont a découvert la réalité du don de sperme sauvage en France. Un tabou dangereux mais répandu auprès des couples de femmes, de couples hétéros ou de femmes seules. Cette journaliste indépendante en a fait un livre ponctué de portraits qui révèle une activité confidentielle, illégale mais très accessibles sur le net.
Lire un extrait du livre André, 58 ans, le “père manqué”
Egora.fr : Pourquoi cet intérêt pour le don de sperme ?
Sarah Dumont : J’ai commencé cette enquête il y a deux ans, en entrant en contact avec le donneur le plus prolifique d’Europe, Ed Houben, qui vit à Maastricht, aux Pays-Bas. Cet homme est un guide touristique qui a 112 enfants aujourd’hui, un gros nounours très soucieux de faire le bien. J’ai assisté à une réunion de famille, un lien s’est vraiment créé avec les femmes seules, il assiste aux accouchements si elles le souhaitent, les enfants l’appellent papa. Ed joue un rôle de père plus que de géniteur pour les enfants. Or, cet homme donne du sperme à des couples et des femmes françaises car notre législation sur la PMA très restrictive, génère une demande dans notre pays. Ce constat m’a incitée à enquêter pour en savoir plus et je n’ai pas tardé à découvrir l’ampleur de cette demande. Je pense que si je n’avais pas réussi à avoir des enfants, j’aurais probablement tout essayé moi aussi. L’adoption est très compliquée. J’ai voulu comprendre les difficultés des receveurs et jusqu’où ils étaient prêts à aller.
Et qu’est-ce qui vous a le plus surpris ?
La diversité des profils des donneurs. Et le fait qu’au-delà d’un militantisme revendiquant la PMA pour toutes les femmes, il peut y avoir une certaine inconscience des conséquences futures de leur geste : certains ne se rendent pas compte qu’ils signent pour la vie et qu’ils ont une épée de Damoclès au-dessus de la tête (si l’enfant ou la justice veut les retrouver, Ndlr). L’un d’eux m’a dit qu’il ne donnait pas son sang car il avait peur des aiguilles, alors il donnait son sperme. Mais d’autres sont conscients des risques. J’ai aussi découvert que le don pouvait être une démarche de couple et que la compagne du donneur pouvait participer activement au projet dans une solidarité très forte vis-à-vis de la receveuse. La démarche s’inscrit alors dans le mouvement plus général d’entraide, qui se développe aujourd’hui dans la société. Quand c’est interdit, quand on n’a pas les moyens financiers, on peut s’entraider pour y arriver quand même. On trouve aussi des hommes qui ont des troubles psychologiques, vont monnayer leur services. On sent très vite qu’ils ne font pas cela pour de bonnes raisons.
Pourriez-vous classer les différents types donneurs ?
Les altruistes ne sont pas majoritaires, mais je veux en parler ne serait-ce que pour clouer le bec aux gens qui considèrent que les donneurs de sperme sont des malades. Certains de ces donneurs ont été refoulés des CECOS (Centre d’étude et de conservation du sperme humain) parce qu’ils n’étaient plus dans les critères de sélection. Ils ont plus de 45 ans et n’ont pas encore eu d’enfant. Ces hommes ont souvent été sensibilisés à la difficulté d’avoir un enfant avec leur ex compagne dans un cadre de FIV (fécondation in vitro) et ils veulent aider des couples qui n’ont pas eu cette chance.
On trouve également des hommes qui n’ont pas eu d’enfant, et qui veulent au moins un enfant à eux génétiquement sur la terre. D’autres types d’hommes ont besoin d’affirmer leur virilité, ont le fantasme du patriache qui se reproduit à l’infini, semer leurs gamètes à l’excès leur confère une vraie puissance. Enfin, il y a les profiteurs de la détresse des femmes, ceux qui demandent de l’argent ou du sexe en échange. Ils sont nombreux. Ils demandent des rapports “naturels”’ (au lieu de gestes artisanaux avec don externe et pipette ou gestes semi-naturels : pénétration au moment de l’éjaculation, Ndlr).
Ce qui est très surprenant, c’est que ces donneurs ont pignon sur rue sur internet, comme les demandeurs. On les localise sur des sites dédiés très facilement, alors que cette pratique est illégale.
Il y a un vide juridique. Les donneurs ne risquent rien. Mais les receveuses, elles, savent qu’il y a un risque, elles ont extrêmement peur et sont difficiles à joindre. Elles ont peur aussi que leur vie de famille soit bousculée, si la vérité était révélée. La manipulation de sperme frais, hors des centres agréés par l’agence de biomédecine, est passible de 2 ans de prison et 30 000 euros d’amende, mais elle est impossible à prouver. La justice ne rentre pas dans les chambres à coucher, s’il y a eu rapport sexuel, il n’y a pas de problème. En revanche, ce qui pourrait être problématique et répréhensible, c’est qu’un accord soit passé via une annonce pour la survenue d’un enfant, sans que le donneur renonce à ses droits de père. Le statut de géniteur d’existe pas, on ne peut pas manipuler la filiation et si le procureur de la République considère que l’intérêt de l’enfant n’a pas été prioritaire, il peut exiger une reconnaissance de paternité. C’est le plus gros risque.
Les femmes en couple sont-elles conscientes de ce risque ?
Pas toujours. Ce qu’elles redoutent le plus, c’est que le donneur change d’avis. Elles évoluent dans un climat de peur. Mais ce qui m’a le plus frappé, c’est que personne n’a conscience du risque de bouleversement psychologique qui pourrait survenir si l’une des deux parties, ou l’enfant, vit mal ce qui a été décidé. Si je demande à une maman quelle pourrait être l’attitude de leur enfant, en apprenant qu’il a 48 demi-frères et sœurs, on me répond : “quelle importance, c’est moi, sa famille, c’est moi sa maman”’. Un géniteur me rétorque : “Si on ne prend pas de risques dans la vie, on ne fait rien. Donc, moi, je prends le risque”. C’est à se demander s’ils se rendent comptent qu’ils donnent la vie à quelqu’un qui aura peut- être une autre manière de lire l’histoire. J’ai trouvé cela assez perturbant.
Qu’en est-il des risques sanitaires ?
Certains donneurs présentent des tests sanguins qui datent de plus de six mois, ils peuvent être falsifiés. Sur les sites, parfois, il y a des alertes concernant des donneurs malades. Un homme peut livrer du sperme dans un bistro, au carrefour du coin, il ne donne pas forcément sa véritable identité. La relation doit être basée sur la confiance, les femmes posent des questions, mais à la base, il s’agit de parfaits inconnus.
Quelle est l’attitude du corps médical ?
C’est tabou, ils ne le savent pas. Les femmes ne voient les médecins que lorsque la grossesse est enclenchée. Ils peuvent informer sur les filières de PMA à l’étranger et certains ont dit officiellement qu’ils l’avaient fait. On sent que les professionnels sont de plus en plus nombreux à considérer que notre système est trop conservateur et qu’il faut avancer. Ils critiquent l’anonymat, qui ne serait pas dans l’intérêt de l’enfant et qu’il est temps de se remettre en question car la France est à la traine par rapport à d’autres pays. Il y a une évolution des mentalités.
Depuis les manifestations contre le mariage pour tous, François Hollande a mis de côté sa promesse d’ouverture de la PMA à toutes les femmes…
Oui. Néanmoins, d’ici la fin de l’année, le comité consultatif national d’éthique doit rendre un avis au président de la République sur les nouvelles façons de naître et ce qu’induirait l’élargissement de la PMA à toutes les femmes ou la levée de l’anonymat possible des donneurs. Il y a de fait, un risque de pénurie des dons. Ce rapport a été commandé il y a longtemps au CCNE et il est très attendu par les associations homoparentales.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne
* Sarah Dumont. Super-Géniteurs. Enquête sur le don de sperme sauvage en France. Editions Michalon. 17 euros.