Médecin anesthésiste, le Dr Bakari Diallo a été accusé d’avoir volontairement provoqué la mort d’une patiente pour compromettre son chef de service. Les trois ans d’enquête n’auront réussi qu’à démontrer une impressionnante querelle d’egos entre les médecins du service d’anesthésie-réanimation du CHU de Poitiers.

 

Le 30 octobre 1984, Nicole Berneron, 34 ans, est opérée au Centre hospitalier de Poitiers d’une tumeur de la parotide. L’opération est simple, c’est un ORL, le Pr Fontanel qui doit s’en charger. Mais ce matin là, le professeur ne trouve pas d’anesthésiste disponible, il contacte le Pr Pierre Mériel, chef du service d’anesthésie-réanimation, qui prend le dossier à la volée. En entrant dans le bloc, le Pr Mériel est accompagné de Denis Archambeau, qui passe à Poitiers sa 2eme année de CES. C’est la première fois que les deux médecins travaillent ensemble.

 

Il en est sûr, on a voulu le saborder

L’opération se termine, lorsque les infirmières constatent une légère cyanose au niveau des lèvres et du lobe des oreilles. L’électrocardioscope indique une bradycardie à 45 battements par minute et la fréquence cardiaque ralentit de plus en plus. Les infirmières appellent le Pr Mériel. A son arrivée, la jeune femme est en arrêt cardiaque. Malgré l’injection d’adrénaline et d’isuprel, Nicole Berneron décède après 1h15 de réanimation.

Dans l’après-midi, l’anesthésiste ne cesse de penser à l’opération. Que s’est-il passé ? Il en parle à ses collègues… On lui suggère un surdosage en protoxyde d’azote. Intrigué, il retourne en salle d’opération, observe les tuyaux du respirateur : ils sont inversés !

Pierre Mériel se rend à la direction. Il en est sûr, on a voulu le saborder. Une semaine plus tard, le professeur organise une conférence de presse. Publiquement et sans équivoque, il parle d’assassinat. Deux suspects sont désignés, ses deux collègues, Denis Archambeau et Bakari Diallo, un autre anesthésiste.

Très vite, l’enquête explore la piste engagée par le Pr Pierre Mériel. Car les deux jeunes médecins ont un mobile : la vengeance. Surtout le Dr Diallo. La veille de l’opération il avait appris, de la bouche de son chef de service, sa mutation en urologie. Elle faisait effet le lendemain.

 

Des relations impossibles

Il faut dire que depuis 1978 et son arrivée au sein de l’unité d’anesthésiologie du CHU de Poitiers, les relations entre Diallo et son chef, Mériel, étaient compliquées, pour ne pas dire impossibles. Chacun étant animé par un profond désir de reconnaissance et de pouvoir. Car, si aux yeux de tous, le Dr Bakari Diallo est un médecin très compétent, passionné par son métier et extrêmement cultivé, c’est aussi quelqu’un de très exigeant, perçu comme arrogant, voire méprisant ce qui lui vaut l’animosité de certains collègues.

Le Dr Diallo, et son ami Denis Archambeau sont donc mis en examen. Evidemment ils nient le sabordage, et soutiennent l’hypothèse d’un accident que Mériel aurait voulu camoufler en complot. Car en réalité, le Pr Mériel est la seule et unique personne qui a vu les tuyaux du respirateur inversés… Mais pendant sa garde à vue, Archambeau, exténué, commence à évoquer des soupçons envers le Dr Diallo. Surtout il avoue avoir été mis au courant, par Bakari Diallo, la veille de l’opération, de l’inversion des tuyaux. Il se rétracte immédiatement mais le mal est fait, le Dr Diallo est inculpé pour assassinat.

Suivront trois ans d’instruction. Mais la justice manque de preuves. Le procès s’ouvre le 15 février 1988 dans l’enceinte du tribunal de grande instance de Poitiers. Pendant sept jours, la cour d’assises se penche sur les personnalités des trois protagonistes, sur leurs relations de travail. Elle épluche les comptes-rendus d’opération et les rapports d’autopsie et écoute les points de vue d’un nombre impressionnant de pontes de la médecine, dont les expertises sont plus contradictoires les unes que les autres. 300 journalistes assistent au procès, la presse se passionne pour cette rocambolesque affaire criminelle sur fond de querelle d’égos entre médecins.

 

Les contradictions du dossier favorables aux médecins

L’avocat général réclame 15 ans de réclusion criminelle contre Diallo et Archambeau. La délibération durera plus de 5 heures pour livrer un verdict surprenant : l’acquittement général. Pour les jurés, il semblait évident que l’accusation du Pr Mériel a influencé l’enquête, empêchant toute objectivité de l’instruction. Le doute et les contradictions du dossier ont été favorables aux médecins. L’affaire est classée.

Aujourd’hui, Pierre Mériel est mort, Denis Archambeau est anesthésiste à l’hôpital Cochin, à Paris, et Bakari Diallo, a réintégré le CHU de Poitiers. Il est responsable du centre de traitement de la douleur et de soins palliatifs de l’hôpital, centre qu’il a créé en janvier 1999. Il continue à pratiquer l’anesthésie environ une fois par semaine, dans des hôpitaux parisiens. “Cette affaire m’a beaucoup appris sur l’homme et la société en général, analyse- t-il, au cours d’une des rares interviews qu’il a donné en 2000. Je suis devenu très prudent dans mes fréquentations et me laisse difficilement approcher : une mauvaise surprise est toujours possible et cela se vérifie encore dans la vie quotidienne.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu

 

[D’après un article du Point et un mémoire de DESC d’anesthésie-réanimation, réalisé par C. Thuile et H. Chaouky]