Cet été, Egora est revenu sur les grands procès qui ont impliqué des médecins. Le 21 octobre 2013, quatorze ans après les faits, le troisième procès d’assises s’ouvre pour le Dr Jean-Louis Muller, accusé du meurtre de son épouse. Que s’est-il passé, le soir du 8 novembre 1999, dans le sous-sol du pavillon du couple Muller et de ses deux enfants, à Ingwiller, dans le Bas-Rhin ?
Dès l’ouverture du procès, à Nancy, le médecin réitère ce qu’il a toujours affirmé. “Je suis innocent.” Pourtant, par deux fois, la justice a condamné le généraliste à vingt ans de réclusion criminelle. Pour ce procès en appel, il s’est offert les services du célèbre Maître Dupond-Moretti. En l’absence de témoins directs et de preuves indéniables, l’accusé parviendra-t-il enfin à faire naître un doute, qui doit lui être profitable, dans l’esprit des jurés ?
“Il y a ma femme qui vient de se suicider”
Lors des procès précédents, le Dr Jean-Louis Muller s’est montré agacé, arrogant, puis absent en choisissant de garder le silence parce qu’on lui refusait une reconstitution. Cette fois, derrière la vitre du box des accusés, le médecin légiste aux cheveux grisonnants parle calmement, mais avec aplomb. “Mon père était médecin généraliste. Il partait le matin à 6 heures, et rentrait le soir à 10 heures. Donc les relations avec mon père, c’était le dimanche à l’église.” Le bac en poche, le jeune Jean-Louis choisit médecine. Au début des années 1980, il rencontre Brigitte Oudille. Elle est coquette et délicate. Elle aime la littérature, l’Italie et a peur des armes, pour lesquelles son mari a, au contraire, une vraie passion. Ce lieutenant-colonel de réserve en possède plusieurs et il est l’auteur d’une thèse sur “Les effets des projectiles de petit calibre à grande vitesse initiale, aspects médicaux, chirurgicaux et médicaux légaux”, soutenue en 1984 à la fin de ses études. Quand le couple s’installe dans une belle maison d’Ingwiller, une commune de 4 000 habitants près de Strasbourg, le Dr Muller reprend le cabinet de son père. Brigitte travaille comme documentaliste. Bientôt, ils auront deux enfants.
Et le 8 novembre 1999, à 21 heures 24, cet appel de Jean-Louis Muller à la gendarmerie : “Il y a ma femme qui vient de se suicider.” Une demi-heure plus tard, deux agents découvrent cette femme de 42 ans, allongée sur le dos dans la salle de jeux des enfants. Sa boîte crânienne est en partie arrachée, la moitié du cerveau expulsée, un 357 Magnum à ses pieds.
Puis vient le temps des énigmes. L’affaire Muller compte beaucoup de questions sans réponses. Et parmi elles, la question des empreintes. Aucune empreinte digitale n’a pu être décelée sur l’arme retrouvée aux pieds de Brigitte Muller. Pour les uns, cela signifie forcément qu’elle a été tuée et le 357 Magnum ensuite essuyé. Pour les autres, on a déjà vu des cas de suicide sans empreinte sur l’arme. D’autres encore disent qu’un assassin intelligent n’aurait jamais essuyé l’arme sans y apposer l’ADN de la victime. Les derniers se demandent pourquoi Muller aurait pris soin d’essuyer ses empreintes, puisque l’arme était la sienne.
“Comment expliquer que vous ne vous êtes jamais manifesté”
Et puis Brigitte avait des projets, plaide l’avocat de sa famille. Elle avait même un amant qu’elle voyait depuis quelques semaines. Une liaison qui aurait pu faire perdre la tête à son mari. “Si un jour il m’arrive quelque chose, il ne faudra pas croire Jean-Louis”, aurait-elle confié à son beau-frère, sur le ton de la plaisanterie. Et enfin, elle détestait les armes. “Elle aurait choisi les médicaments pour mourir dignement, comme Marylin Monroe”, affirme une amie d’enfance à la barre.
Après huit jours de procès, arrive ce qui avait tout d’un coup de théâtre. Un commandant de gendarmerie a des informations capitales à révéler. Entrent alors en scène les deux gendarmes arrivés chez le couple Muller après l’appel du médecin. Ils veulent informer le tribunal d’un détail qui leur est revenu, quatorze ans plus tard : lorsque Jean-Louis Muller leur a ouvert la porte, il avait les cheveux mouillés. “Comme s’il sortait d’une douche et s’était passé la main dans les cheveux”. Le médecin a-t-il donc pu tuer sa femme, puis monter prendre une douche pour enlever traces de sang et résidus de tir ? “Vous savez qu’on a trouvé des particules de tirs sur son visage et ses mains ?” l’interpelle Me Dupond-Moretti. Sous les questions du tribunal, les souvenirs des gendarmes se font de plus en plus confus. Et il y a ces quatorze ans de silence, qui agacent la présidente. “Vous n’êtes pas sans ignorer qu’une instruction a été ouverte, elle a duré presque sept ans. Vous avez forcément compris que c’était important. Comment expliquer que vous ne vous êtes jamais manifesté, jamais allé voir un de vos collègues pour en parler ?” Les gendarmes balbutient, le coup de théâtre vire à la farce.
Quand au bout de quatorze ans, il n’y a ni témoin, ni preuve formelle, ni mobile, tant pour étayer la thèse du suicide que celle du meurtre, c’est l’intime conviction des jurés qui décidera du dénouement du procès. “Est-il illégitime qu’une femme qui est belle, intelligente, cultivée, raffinée, puisse à un moment de son existence ne pas envisager de refaire sa vie ? Parce que sa vie n’est plus une vie”, clame l’avocat de la défense pour convaincre les jurés que le Dr Muller, “passionné d’armes”, “belliqueux et belliciste”, a pu tuer sa femme. Ces propos suffiront-ils à faire entrer dans l’esprit des jurés que le Dr Muller a utilisé ses compétences de légiste pour maquiller le meurtre de sa femme en suicide ? “Il y a des gens qui se défenestrent, qui se jettent sous des trains. Vous pensez que c’est beau ? Que la mort c’est beau ? Vous pensez que l’esthétisme a à voir là-dedans ? Les gens qui se suicident, vous pensez qu’ils n’ont pas d’enfants ? Qu’ils ne les aiment pas ?” En défense, Eric Dupond-Moretti rend coup pour coup.
“J’affirme que Jean-Louis Muller est totalement innocent du crime qu’on lui a reproché”
Au dixième jour de ce troisième procès, les jurés sortent. C’est l’heure de la délibération. Dans la salle d’audience, ne restent que les proches de Jean-Louis Muller. Les parties civiles ont préféré s’en aller. Et puis, la présidente et les jurés font leur retour. “A la question ’Jean-Louis Muller est-il coupable d’avoir, le 8 novembre 1999, tué son épouse à Ingwiller’, les jurés ont répondu ’Non’”. Une réponse accueillie dans les larmes et cris de joie, de Jean-Louis Muller et de ses fils. Le 31 octobre 2013, à 59 ans, celui qui aura passé 600 jours derrière les barreaux est enfin libre. “J’affirme que Jean-Louis Muller est totalement innocent du crime qu’on lui a reproché, déclare Eric Dupond-Moretti quelques minutes après le verdict. Il a perdu sa réputation, sa maison, son travail, sa liberté, il a choisi de revenir malgré tout devant la justice et justice lui a été rendue.”
En février 2015, Jean-Louis Muller obtient près de 400 000 euros d’indemnisation pour préjudice moral, pertes de revenus et perte de son cabinet médical. En mars dernier, l’ancien médecin a attaqué l’Etat pour faute lourde. Il réclame une indemnisation de deux millions d’euros.
Aujourd’hui, Jean-Louis Muller tient une chambre d’hôte dans les Vosges avec sa nouvelle compagne.
Source :
www.egora.fr
Auteur : F. Na
[Avec Franceinter.fr, Lemonde.fr et Francebleu.fr]