Le CHU de Toulouse a connu quatre suicides au mois de juin, et deux autres en cours d’année. Sans compter les tentatives, et les appels à l’aide. “La pression est permanente. Ils veulent réduire les effectifs, on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs”, déplore Julien Terrié, manipulateur en radiologie et délégué CGT.

 

Egora.fr : Quelle est la situation au CHU de Toulouse ?

Julien Terrié : En juin, un infirmier s’est suicidé sur son poste de travail. Cet infirmier était en réanimation cardio, qui est un poste très exigeant. Il a eu un accident de travail en 2011, avec des problèmes dorsaux et ne pouvait plus exercer en réanimation. Il y a eu une restructuration, et cet agent a été envoyé dans un autre service adapté à ses restrictions médicales mais moins valorisant et mis dans une espèce de placard. Au sens propre. C’était une chambre sans lumière. Le fait d’être dégradé professionnellement, le fait d’être mis dans un placard… C’est difficilement supportable. Et quand il n’y pas d’amélioration, on pense que ça peut entrer en compte dans l’explication du geste. On ne dit pas que c’est la seule explication. Mais des choses auraient pu être faites par l’employeur.

Il y a aussi trois autres cas de suicide en juin. Les enquêtes sont encore en cours. Ces situations sont hors du lieu de travail. Il y a un infirmier des urgences, une aide-soignante en formation, et une auxiliaire puéricultrice. Elle avait signalé un harcèlement moral auprès du directeur général. Elle était sur un poste soit disant aménagé mais qui ne respectait pas les restrictions. Un certificat médical de son médecin traitant atteste que sa dépression est en lien avec ses conditions de travail.

Nous disons depuis longtemps que les agents avec des restrictions peuvent avoir des rôles dans les services de soins. Même s’ils ne peuvent plus manipuler les patients, ils peuvent avoir un rôle de formation, surtout quand ce sont des personnes expérimentées, comme c’était le cas. Mais la politique du CHU n’est pas celle-là. La direction dit toujours que la personne doit “faire le deuil” de son ancienne activité. Cette expression effroyable revient toujours.

Comment expliquer cette accumulation de drames à Toulouse ?

Au-delà des cas particuliers, il y a un mépris des droits des agents au CHU de Toulouse presque systématique. C’est une bataille permanente pour la prévention des risques professionnels, pour la prévention des droits fondamentaux des agents. On est régulièrement au tribunal. Une directrice avait dit : “Si cette aide-soignante ne sait pas gérer son stress, elle n’a qu’à faire caissière à Casino.” Après ça, pas de sanction. Elle est toujours en poste, et a géré la restructuration où il y a eu le suicide de l’auxiliaire puéricultrice en juin.

Il y a eu un changement de directeur général il y a moins d’un an. Il y a eu un bilan financier un peu plus poussé et il y aurait plus de 40 millions d’euros de déficit, alors que ce qui est annoncé c’est 22 millions. Panique à bord. Il faut trouver des postes d’économies supplémentaires.

Et il y a la logique globale hospitalière hôpital-entreprise, qui a été très forte au CHU. Il y a un contexte de hausse de productivité qui est exagéré et qui crée de la souffrance au travail. Il y a une pression permanente. Il y a aussi eu une restructuration gigantesque. C’est l’une des plus importantes en Europe. Ils ont construit 5 bâtiments hospitaliers en 2014, 2015. Ils ont profité de ce déménagement pour dégraisser beaucoup de personnel, dans des organisations déjà fragilisées. En cumulant les heures supplémentaires, les comptes épargne-temps… On estime qu’il manque 500 à 1 000 personnes, sur un effectif de 14 000.

Quelle est la réponse de la direction ?

Ils disent qu’ils prennent en compte. Qu’ils vont faire attention… Sauf que concrètement, quand on demande des expertises pour risque grave sur un bloc, la direction nous met au tribunal pour éviter l’expertise. C’est une entrave permanente au travail du CHSCT.

Quelles sont vos demandes ?

Des moyens exceptionnels en termes d’effectifs pour faire en sorte d’avoir une organisation de travail fonctionnelle.

On dit aussi au gens d’aller au tribunal et de faire condamner ce management pathogène et agressif. Il y a beaucoup de procédures en cours pour des atteintes au droit. Il y a un agent qui a enchaîné 19 CDD depuis 2007 et qui a été viré en juin 2016. Il était travailleur handicapé. Il y a aussi un agent dont le CDD n’a pas été renouvelé. Dans la fonction hospitalière, c’est au CHU de payer l’indemnité chômage. Ça fait 7 mois qu’elle n’a rien touché. Elle vit avec 0 euros par mois. Les plus visés sont les fins de CDD, c’est un moyen facile de faire baisser la masse salariale, les agents avec restrictions médicales, et ceux qui pointent les dysfonctionnements.

Que pensez-vous du silence de Marisol Touraine sur ces drames ?

Ce n’est pas étonnant. On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Il faut supprimer 22 000 postes. Si les gens peuvent partir tout seul, c’est plus facile. On a quand même un statut de fonctionnaire solide, donc il faut nous faire partir par la pression. De plus en plus de collègues nous disent qu’ils veulent démissionner. Ça devient dangereux, ils arrivent avec la boule au ventre, ils ont peur de faire des erreurs médicales… C’est pour ça qu’on parle de scénario à la France Télécom.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier