Charles* a été médecin conseil pendant près de 10 ans. Passionné de médecine et de droit, il pensait que cette voie était faite pour lui. Mais c’était sans compter la pression permanente pour faire du chiffre, le harcèlement et les contraintes bureaucratiques. Il a fini par démissionner mais garde un traumatisme très fort de son expérience. Il se confie en exclusivité à Egora.

 

“Moi qui ai toujours aimé le droit en plus de la médecine, je n’ai pas hésité longtemps avant de choisir le métier de médecin conseil. J’ai commencé assez jeune, après avoir fait quelques remplacements en médecine générale. J’avais plutôt envie de faire du salariat.

Je suis arrivé dans une caisse dans laquelle il y avait déjà eu des problèmes. Peu de temps après mon arrivée, plusieurs médecins sont partis. Aucun n’a tenu plus de deux ans. Je me suis retrouvé à devoir faire le boulot de deux temps plein. C’était déjà très compliqué. J’étais seul à gérer deux départements. Avec le recul, je me dis que j’aurais dû démissionner à cette époque-là. Puis un autre médecin conseil est arrivé. C’est tout de suite allé mieux.

 

Je venais travailler le matin avec la boule au ventre

Jusqu’à mon arrêt maladie. A mon retour, ça a été l’horreur. On m’a fait payer mon absence. J’ai alors réalisé qu’il me faisait exactement ce qu’il avait fait à mes prédécesseurs… Tout pour m’embêter. Lorsque je le voyais en entretien, il me maintenait que tout allait bien.

Mais rien ne s’arrangeait. Je n’avais plus le droit de prendre de congés. Je devais encore venir pendant mes jours de repos. La direction continuait à maintenir que tout allait bien, m’obligeant à signer des documents pour l’attester. D’autres avant moi étaient déjà passés par là. C’était de l’abus de pouvoir total.

Puis, les choses se sont arrangées pour moi. Ça a été mieux. Mon chef a fini par me respecter et admettre que je servais à quelque chose. Avec le recul je me dis que s’il me harcelait, c’était très probablement parce que lui-même était harcelé par ses supérieurs.

Mais l’ambiance générale dans la caisse était très mauvaise. Je venais travailler le matin avec la boule au ventre. On a eu un questionnaire mis en place par le CHSTC sur nos conditions de travail. Tout le monde avait répondu la même chose, il y avait des cas de harcèlement, de maltraitance au travail, un manque d’écoute… Au final cette étude a été complétement étouffée. La pression n’a fait que s’accentuer.

Des collègues arrivaient le matin et découvraient qu’ils n’avaient plus de bureau, d’autres me disaient compter les jours avant la retraite. Ceux qui étaient en arrêt de travail pour burn-out étaient contrôlés dès leur deuxième jour d’arrêt. Les conventions collectives n’étaient pas toujours appliquées. Je travaillais dans une caisse qui avait de très bons résultats en coûts de gestion. Mais à quel prix ? Les pressions sur le personnel n’arrêtaient pas.

Quand je vois tout ça, je me dis que j’ai bien fait de partir. Pourtant ça me faisait peur. J’avais l’impression de ne savoir faire que ça. Je me demandais ce que j’allais faire. Mais les conditions de travail étaient tellement horribles qu’il le fallait. Les dossiers étaient de plus en plus compliqués. Les gens contestaient tout.

 

Mon travail en soi me plaisait

Le problème c’est qu’il y a des contraintes budgétaires, alors on fusionne les caisses, les services. On se retrouve avec des surcharges de travail. On manque de moyens pour bien travailler… Par exemple l’informatique… Il n’y avait pas un jour sans qu’il n’y ait un plantage sur mon ordinateur.

Mon travail en soi me plaisait. Je faisais quand même de la médecine. Je voyais des patients avec des pathologies rares. J’avais la satisfaction de travailler avec des assistantes sociales et des médecins du travail, d’accompagner des gens dans le handicap… Etre médecin conseil, c’est aussi ça. Dans mes avis j’étais assez libre. Mais tout était compté… A la fin de l’année, au conseil d’administration était présenté le nombre de reprises d’arrêts de travail, le nombre d’accords d’invalidité, le nombre de refus que j’avais faits. En tant que médecin conseil, on était libres mais complétement fliqués. Il fallait faire du chiffre. Plus on fait de reprises, mieux c’est. On nous demandait d’envoyer un maximum de courriers. La pertinence des courriers, ils s’en foutaient complétement. Je n’avais pas le temps de bien faire mon travail, de faire de la qualité. Mais ils s’en foutaient de la qualité, tant qu’on faisait du chiffre. Les aberrations étaient quotidiennes.

Je devais aussi passer des heures à remplir des tableaux de bord. Une fois par mois, le cadre de mon service nous demandait de compter notre stock. J’étais déjà débordé de boulot mais il fallait que je compte le nombre de dossiers que je n’avais pas encore traités. J’y passais facilement 1h30. Une fois que le tableau de bord était rempli, il fallait remplir le recueil d’activité. Je devais préciser le temps passé à compter mon stock. Puis à chaque fois que je faisais des dossiers, il fallait que je le rentre dans le recueil d’activité. A la fin du mois, je devais faire remonter le temps que j’avais mis à faire mon recueil d’activité ! Je passais presque plus de temps à remplir le tableau de bord qu’à faire des dossiers.

Parfois on m’envoyait pendant de longues périodes faire des contrôles de facturation des hôpitaux. En soi, pourquoi pas, c’était une nouvelle mission qui m’intéressait. Mais pendant mon absence personne ne s’occupait de mes dossiers. Il m’est arrivé de rentrer de mission et d’avoir une pile de 200 dossiers qui m’attendaient. En plus il y avait des délais partout. Pour les ententes préalables il fallait répondre dans les 15 jours par exemple, alors que m’étais absenté pendant un mois…

 

Tout le monde s’imagine qu’être médecin conseil, c’est la planque

D’extérieur, personne ne s’imagine à quel point le stress est permanent. Tout le monde s’imagine qu’être médecin conseil, c’est la planque. Alors que non. Je me rends compte que je travaillais dans une entreprise de destruction. Je sentais que j’allais finir en arrêt pour burn-out. Je me suis ruiné la santé. Le fait d’être en conflit avec tout le monde est éprouvant. En tant que médecin conseil on est en conflit avec les gens, les médecins, la direction. Je pense que je n’étais pas fait pour ce métier.

Le jour où j’ai envoyé ma lettre de démission, un poids énorme disparaissait de mes épaules. J’ai commencé à aller mieux à ce moment-là. D’ailleurs, depuis que j’ai démissionné, je n’ai plus de crise de tachycardie.

Depuis j’ai retrouvé un boulot en tant que médecin salarié. Je réalise à quel point tout est simple, loin de l’administration. Les gens sont sympas. C’est nouveau.

Je me verrai bien m’installer en tant que généraliste, mais j’attends de voir comment les choses vont se passer avec la loi de santé. Pour l’instant j’essaye d’oublier l’administration. Je réalise que ça a vraiment été un traumatisme. J’ai été psychologiquement atteint. Nous étions des pions.”

 

* Le prénom a été modifié.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin